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Ecrire pour dénoncer la glorification de la médiocrité

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Zaid Tayeb
Mon franc parler a souvent été pris pour de l’effronterie par certains de mes supérieurs hiérarchiques les plus proches de mon cercle de travail, de mes collègues avec qui je partage la langue française comme matière scolaire ou comme moyen de culture, mais également par certains de mes camarades. Il est possible que la rudesse de mes propos et la violence de mon expression me viennent de ma nature de paysan que la langue française a métissé. Je me suis nourri de l’air de la campagne, des cimes de ses montagnes, des bords de ses oueds, et repus des longues discussions des campagnards sur les choses de la campagne qui relèvent du réel et de la légende, de la piété et de la polissonnerie, de la bête et de l’homme, de ce qui est de la mosquée et de ce qui est de la confrérie. A parts égales auxquelles est venue se greffer une autre culture entrée par effraction dans ma campagne et dans ma tête. L’homme est le produit de son milieu. Je suis le produit de la campagne, mais un produit vicié, corrompu, malsain et délicat, sensible, tendre, avec une barbe de derviche dans une tête d’homme du monde.

La parole est destinée à l’usure immédiate. Elle se consomme chaude et en un seul repas. Elle ne se conserve pas. L’écriture, quant à elle, elle est destinée à être référencée, archivée. La parole est l’immédiat, l’instantané, l’écriture est l’ultérieur, l’à-venir.

L’écriture n’a jamais été pour moi un plaisir à satisfaire, un besoin à exprimer, une envie à manifester ou à exhiber en public, mais un surplus à m’en libérer, une tare à m’en défaire. Le fardeau déposé, quel soulagement pour le corps, pour l’esprit surtout ! Le premier mot écrit sur une page n’est jamais raturé, ni échangé contre un autre. C’est lui qui a le seul et unique droit à l’existence car il exprime le mieux ce qui se passe dans ma tête. S’il émerge en premier, c’est qu’il répond à un besoin primordial. Aucun autre mot ne lui sera substitué. Et comment le sera-t-il donc ? C’est la phrase qui doit être manipulée et adaptée à l’utilisation du mot, et non le mot échangé contre un autre. J’assois le mot dans la phrase, parmi d’autres mots. Je lui trouve des accompagnateurs pour qu’il puisse jouir du confort qui lui sied. J’assujettis la phrase au mot. La phrase au service du mot, voilà ce qui caractérise mes écrits. C’est ce qui leur donne un caractère violent, belliqueux, insolent.

Quand est-ce qu’on écrit ? Quand la tête est pleine de choses violentes, elle a besoin d’être vidée de son surplus, des éléments qui font le trop plein. La tête est comme un verre. Tant qu’il n’est pas bien rempli, il ne déborde pas. Il est plein à ras. Une seule goutte le fait déborder sur le support où il est. Il en tombe plus que la goutte qui l’a fait déborder. Il en est ainsi de la tête. Seul le trop plein est écrit. Le reste, c’est le ferment. De temps en temps, la tête a besoin d’être vidée. Faire le point, c’est cela écrire ; C’est aussi faire le plein. Se ressourcer.

Quand j’ai écrit quelques petites choses de ce genre à propos d’un écrivain en herbe, sur une page à caractère littéraire, j’ai été censuré par son administrateur, sous le prétexte que cela est indigeste pour l’auteur de l’autobiographie. Cela aurait été sans aucun doute vrai si j’avais soumis l’écrivain à une analyse psychologique, dont, certes, je suis plus qu’incapable. On peut très bien me fermer un espace où poster mes écrits, mais on ne me fermera jamais la bouche qui n’est pas seulement destinée à recevoir mais également à donner. De la même manière, je continuerai, non pas à seulement dénoncer les torts et les travers mais également à les corriger, au risque de réveiller l’ire de certains intellectuels habitués à recevoir des tapes amicales sur l’épaule, à être gratifiés de faux sourires. La critique objective n’a pas de cœur, elle a une raison. Et la raison ignore les coups de cœur.

 

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