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Extrait 4 de mon second roman ‘’El Gasir de la honte’’ page 86-87

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tayeb zaid


Il n’y avait pas, hélas, que les chiffres qui le rebutaient et freinaient en grande partie sa scolarité ! Une autre langue allait alourdir encore plus son apprentissage hasardeux et chancelant. Il avait toujours pensé qu’elle ne s’écrivait pas, qu’elle se parlait entre les membres d’une tribu, d’une caste, d’une communauté, tout comme cette autre langue que parlait son père avec les paysans et qu’il ne comprenait pas. La langue française était pour Tahar comme l’amazigh : elle se parlait ; elle ne s’écrivait pas. A l’inverse de l’amazigh qui se transmettait par héritage, de père en fils et de génération en génération, la langue française était entrée dans le pays et dans son système culturel par effraction. Pourquoi apprendre le français, l’écrire et l’enseigner dans les écoles alors qu’il était une langue que personne ne connaissait, ni ne parlait en dehors de quelques soldats français installés à Ilma pour un certain temps puis partis un beau jour ? A moins que l’on ait voulu faire croire aux habitants que ces étrangers entrés dans le pays de manière illégale ou avec la vilaine complicité du makhzen n’aient pas eu l’intention de rentrer chez eux et qu’au contraire, ils attendaient l’arrivée d’autres. A moins que le caïd et les dignitaires qui l’entouraient, veuillent, pour des raisons qui leur étaient propres et qu’eux seuls pouvaient savoir et garder secrètes, qu’ils y restent avec leur langue. Il y aurait eu sans doute une complicité ou un accord tacite établi dans les coulisses entre les premiers et les seconds pour faire apprendre aux enfants du pays une langue qui n’avait aucun intérêt ni pour les petits, ni pour leurs familles, ni pour Ilma. Le caïd, les dignitaires et les Français avaient sans aucun doute des affinités communes à partager et des intérêts communs à développer et à sauvegarder. Ils étaient, à n’en pas douter, faits les uns pour les autres comme le vassal pour le seigneur, l’esclave pour le maître, le gibier pour le chasseur, la honte pour la prostituée. Tous les enfants des paysans scolarisés dans l’école d’Ilma devaient donc apprendre sans raison apparente la langue française pour pouvoir comprendre quelques soldats français et être compris d’eux ! Qui pouvait croire cela ?

Et puis, c’étaient les soldats français, à cause de leur petit nombre, qui devaient apprendre leur langue et non eux la leur ! S’exclama Tahar avec beaucoup d’indignation, conscient de l’absurdité de l’entreprise. Qui avait eu cette idée saugrenue et contraire au bon sens et aux usages en vigueur ? Le caïd et les dignitaires devaient certainement être au courant de cette absurdité à l’échafaudage de laquelle ils avaient participé, de manière consciente ou étourdie ! Comment pouvaient-ils accepter que ce soient les Arabes et les Amazighs qui apprennent le français et non les Français l’arabe et l’amazigh ? Il se pourrait qu’ils aient été les instigateurs de cette idée ! Elle leur aurait été dictée ou imposée par les Français ! Mais comment une poignée de Français pouvaient-ils obliger beaucoup de tribus à apprendre leur langue et non l’inverse ?

Le caïd et les dignitaires ne devaient pas ignorer que ceux qui apprennent la langue des autres se placent, contraints ou de leur propre gré, plus bas que ceux dont on apprend la langue. Ce serait comme si les Français leur faisaient signe de l’index. Et ce serait l’appelé qui irait vers l’appelant. Le langage de l’index est sans équivoque et par conséquent sans appel. Il est plus expressif et plus autoritaire que la langue des mots qui est polysémique, qui prête à plus d’une interprétation et conduit à la confusion. Le langage de l’index, lui, n’en admet qu’une et une seule, celle de baisser la tête et de s’exécuter.

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