Home»MRE»LETTRE À M. ABDELKRIM BENATIQ , MINISTRE CHARGÉ DES MAROCAINS RÉSIDANT À L’ÉTRANGER ET DES AFFAIRES DE LA MIGRATION

LETTRE À M. ABDELKRIM BENATIQ , MINISTRE CHARGÉ DES MAROCAINS RÉSIDANT À L’ÉTRANGER ET DES AFFAIRES DE LA MIGRATION

1
Shares
PinterestGoogle+
 

Par Abdelkrim Belguendouz
Membre du collectif informel des chercheurs marocains en migration

En mon nom personnel et je pense être l’interprète de tous les collègues ayant été présents du 4 au 10 décembre 2018 à la semaine mondiale de Marrakech sur les migrations , sous les auspices de l’ONU , tout en saluant les efforts entrepris par le ministère avec l’ensemble de ses cadres , je souhaiterais Monsieur le Ministre vous remercier vivement pour votre démarche participative et inclusive , joignant le geste à la parole , votre ouverture d’esprit et votre soutien efficace à notre participation en tant que collectif informel des chercheurs marocains en migration , grâce à la prise en charge par le ministère .

Les universitaires , chercheurs et experts marocains en migration ont pu ainsi , dans le cadre de la 11ème session du Forum Mondial Migration et Développement , sous présidence marocco-allemande , organiser un atelier réussi sur le thème suivant : «Enjeux et défis migratoires du Maroc entre l’Afrique et l’Europe ». Tout comme nous avons pu contribuer au débat permis par le riche programme de side évents , de tables rondes et de rencontres en marge du Forum et de la Conférence internationale sur le Pacte mondial sur les migrations et bénéficier des échanges qui ont eu lieu .

Responsabilités migratoires africaines du Maroc

Après la signature le 10 décembre 2018 à Marrakech de l’accord de siège entre le Maroc et l’Union Africaine relatif à la création à Rabat de l’Observatoire Africain des Migrations , qui suppose aussi la mise en place d’un Observatoire National des migrations internationales ( immigration étrangère au Maroc , émigration vers l’extérieur, communauté marocaine à l’étranger ) , nous sommes interpellés en tant que chercheurs et chercheuses en migration , pour nous impliquer étroitement dans l’intérêt des migrant-es , celui du Maroc et de l’Afrique en particulier . Dans le cadre d’une démarche proactive relative aux migrations exigeant des actions collectives , les chercheurs et universitaires doivent en effet jouer un rôle fondamental en matière d’élaboration , d’analyse , de suivi des politiques migratoires et en tant que force de propositions en ce domaine .

Dans cet esprit constructif , conformément à l’Agenda Africain pour la Migration , qui constitue un apport majeur du Royaume du Maroc à l’Union Africaine , nous souhaiterions vivement qu’il y ait un agenda national de la recherche en migration , et que soit organisé le partenariat scientifique avec votre département ainsi qu’avec toutes les autres institutions nationales œuvrant dans le champ migratoire , dans l’intérêt national , l’esprit de responsabilité et de citoyenneté , avec le respect de l’autonomie et de l’indépendance d’esprit des chercheurs .

Pour un Pacte national sur les migrations

Se rencontrer comme vous le concevez , monsieur le ministre , entre département et chercheurs à fréquence régulière pour débattre , échanger collectivement , faire le point sur des questions d’intérêt commun , formuler des propositions d’aide à la prise de décision , est une très bonne chose . À titre personnel , une des thématiques à retenir serait la suivante ; statut , place et rôle des migrations dans le nouveau modèle de développement du Maroc ; la migration internationale étant à prendre en considération dans ses trois volets : immigration étrangère au Maroc , émigration vers l’étranger , communauté marocaine à l’étranger .

De la même manière qu’au plan mondial , la communauté internationale a eu besoin d’un Pacte mondial pour les migrations ( à renforcer et à équilibrer bien entendu par l’arsenal juridique existant à statut contraignant et beaucoup plus avancé , notamment la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille) , à l’échelle du Maroc , il y’a besoin d’un dialogue national sur la question migratoire au Maroc dans ses divers volets , avec la nécessité d’avoir un Pacte national en la matière , impliquant des consensus fondamentaux sur plusieurs aspects : être Marocain à l’étranger , sens de la citoyenneté extra-territoriale , binationalité des MRE et ses implications , droits politiques des MRE par rapport au Maroc , MRE et Imarat Al Mouminine , intégration (ou insertion ?) des immigrés au Maroc etc.

Organiser le partenariat scientifique

Parallèlement à cela , certains éléments organisationnels pourraient , de mon point de vue personnel , être pris en considération :

– En matière de communication , informer les chercheurs de toutes les activités publiques et rencontres organisées par ou en partenariat avec le département . L’agenda pourrait intéresser des profils particuliers parmi les chercheurs .

– Communiquer aux chercheurs , aux étudiants , aux médias , aux parlementaires , aux syndicalistes et à tous les acteurs sociaux et culturels concernés , les études sur les migrations élaborées par le ministère ou commanditées par ses soins à d’autres organismes , privés ou internationaux . Cette transparence , qui n’existe pas encore en dépit de plusieurs appels , est incontournable . Espérons qu’avec la très prochaine inauguration du nouveau site web du ministère , ces études et rapports seront désormais publiés .

– Selon les possibilités , faire participer les chercheurs aux forums et colloques internationaux sur la migration auxquels le département est convié , en tenant compte des profils requis selon les thématiques .

– Associer les chercheurs d’ici et de la-bas parmi les MRE aux études , rapports de recherche et consultations lancés directement par le ministère ou en partenariat avec d’autres institutions ou organismes , en prenant en considération les compétences et profils existants parmi le collectif multidimensionnel de chercheurs .

– En vue d’instaurer un cadre de partenariat scientifique pérenne et efficient , mettre en place un groupe conjoint informel de coordination ( ministère – chercheurs ) auprès de M.le Ministre pour envisager des mesures pratiques après les trois rencontres de consultation et l’expérience de Marrakech , organiser , gérer et suivre le partenariat scientifique entre les deux parties , dans le cadre d’une feuille de route partagée . Concrètement , il s’agit de définir les possibilités , conditions et modalités de contribution des chercheurs à l’action multiforme du Département .

– Mettre en place un comité scientifique auprès du département , pouvant suivre et évaluer les recherches commanditées par le département auprès de bureaux d’études ou d’autres organismes .

– Instituer un Forum d’échanges entre les chercheurs et universitaires MRE et les chercheurs et universitaires au Maroc travaillant sur les questions migratoires .

Avoir un cadre stratégique pour les citoyens MRE

Au plan plus général , en matière de politiques publiques dans le domaine migratoire et de leurs cadres globaux d’intervention , certaines priorités seraient , de mon point de vue personnel , à prendre en considération .

1- Si depuis fin 2014 , une stratégie nationale existe en matière d’immigration et d’asile au Maroc , en dépit de certaines insuffisances à surmonter , l’implication multidisciplinaire des divers chercheurs marocains en migration , qu’ils soient à l’intérieur du Maroc ou à l’extérieur , est hautement souhaitable pour l’élaboration d’une stratégie nationale globale , cohérente et intégrée en direction des Marocains établis à l’extérieur .

En ce domaine , l’étude IRES (2012-2013) sur l’émigration marocaine à l’horizon 2030 n’a pas abouti sur une réelle vision prospective . D’un point de vue strictement personnel , c’est ce qui explique le passage suivant du discours du Trône du 30 juillet 2015 , dans lequel Sa Majesté le Roi Mohammed VI rappelle de manière très claire et nette cette nécessité : «Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée , fondée sur la synergie et la coordination entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration , et pour rendre ces institutions plus efficientes au service des intérêts des Marocains de l’étranger » .

Par conséquent , une nécessité impérieuse s’impose . Concernant le cadre général d’intervention des politiques publiques relatives au MRE , il ne s’agit pas de procéder à quelques modifications ou ajustements . L’impératif est la réalisation d’une étude prospective sur les MRE à l’horizon 2030 , avec comme objectif , dans le cadre d’une démarche participative et inclusive en particulier de la société civile MRE , l’élaboration d’une stratégie nationale globale , cohérente et intégrée en faveur des MRE à l’horizon 2030 .

Dans le cadre de l’étude , il s’agit également de produire une réflexion sur la place , l’évolution des rôles ainsi que la coordination des différentes institutions en charge en totalité ou en partie de la migration comme le CCME , la Fondation Hassan II pour les MRE , le Conseil européen des oulémas marocains , la Caisse nationale de sécurité sociale ( CNSS) et divers départements ministériels .

La production d’une analyse prospective de l’immigration étrangère au Maroc à l’horizon 2030 , serait également la bienvenue .

Une série de réformes juridiques et politiques

2- De même , l’apport des chercheurs juristes en particulier est fort attendu , en liaison notamment avec :
2 . 1 – l’opérationnalisation de l’article 163 de la Constitution pour avoir un nouveau Conseil de la communauté marocaine à l’étranger(CCME ) démocratique , représentatif et efficient ;
2 . 2 – envisager dans le cadre d’une réforme constitutionnelle , la possibilité de réviser l’article 63 de la Constitution ( relatif à la composition de la seconde chambre) , permettant d’avoir un collège électoral MRE qui pourrait donner lieu à la représentation des citoyens MRE (également) à la Chambre des conseillers par le biais d’un CCME élu au premier tour .
2 . 3 – la concrétisation de manière démocratique et ouverte de l’article 17 de la Constitution avancée de 2011 , permettant l’effectivité des droits politiques pleins et entiers des citoyens marocains à l’étranger par rapport au Maroc , le problème n’étant pas derrière nous , en dépit du lobby anti-participationniste , mais restant entièrement posé avec insistance ;
2 . 4 – la réforme profonde de la loi n° 19-89 portant création de la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger ;
2 . 5 – la nécessaire loi sur l’asile ;
2 . 6 – la révision de fond en comble de la loi 02-03 , sans compter la mise à niveau d’autres lois touchant à certains aspects particuliers : nationalité , code du travail , associations etc .
2 . 7 – nécessité de mettre en place un Haut Conseil à l’insertion ( plutôt qu’à l’intégration ) des immigrés au Maroc , qui jouerait le rôle d’interface , de cadre de dialogue et de force de propositions .

Le politique est incontournable

Ce n’est nullement s’éloigner de la recherche scientifique , faire trop de politique , tomber dans l’idéologie ou verser démesurément dans le militantisme , que de rappeler les faits objectifs précités qui nécessitent , de mon point de vue personnel , les réformes nécessaires indiquées .

En vous réitérant ainsi qu’aux cadres du Département nos vifs remerciements , nous comptons beaucoup sur votre précieux engagement , Monsieur le Ministre , et vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération et de notre profonde estime .

Bonne et heureuse année 2019 à toutes et à tous

Rabat , le 24 décembre 2018

MédiocreMoyenBienTrès bienExcellent
Loading...

Aucun commentaire

Commenter l'article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.