Home»Débats»Discours et récit ou monde commenté et monde narré.

Discours et récit ou monde commenté et monde narré.

1
Shares
PinterestGoogle+

Zaid Tayeb


Dans son livre intitulé ‘’le temps’’, paru aux éditions du Seuil (1973 pour la traduction française) Harald Weinrich répartit les temps de narration en deux types: commentatifs et narratifs ou en monde commenté et monde narré auxquels je préférerai discours et récit . Il s’appuie dans cette répartition sur le système temporel propre à chacun des deux types. Le présent, le passé composé et les futurs pour le premier ; le passé simple, le passé antérieur, l’imparfait et les conditionnels pour le second. Cette répartition demeure très schématique et très réductrice et par conséquent insuffisante à rendre compte d’un fait qui est beaucoup plus complexe qu’il ne parait à première vue. Weinrich a emprunté ses exemples tantôt à Maupassant, tantôt à Proust sur lesquels il a échafaudé son analyse, qui, à n’en pas douter demeure très critique même si elle souffre de quelques insuffisances que je vais tenter de compléter dans le présent écrit.

L’analyse des récits ou la grammaire des textes offre aux intéressés des outils bien plus précis que ceux utilisés de manière peu convaincante par Weinrich et qui leur permettent de mener à bien leurs champs de recherches. De manière générale, il y a deux modes de narration : une narration dans le mode du discours et une autre dans celui du récit. La première utilise les temps d’un énoncé ancré dans la situation d’énonciation, à savoir, le présent, le passé composé, les futurs et l’impératif, la seconde, ceux d’un énoncé non ancré dans la situation d’énonciation, en particulier le passé simple comme temps de base et le passé antérieur. Il est à noter que les deux modes de narration peuvent utiliser en commun les temps restants : l’imparfait, le plus-que- parfait, les conditionnels et les subjonctifs, sans qu’aucune d’elles n’empiète sur la plate bande de l’autre. Ce sont donc là les mêmes séries de temps cités par Weinrich pour les mondes commenté et narrés. Mais cette distinction, ainsi vue, ne complète qu’en partie ce que Weinrich a déjà dit dans ‘’Le temps’’.

Au chapitre I des pages 8 et 9 de la Boîte à Merveilles d’Ahmed Sefrioui, j’ai pu relever ce paragraphe pour illustrer mes propos relatifs aux modes de narrations que Weinrich appelle monde commenté et monde narré et que les critiques appellent narration dans le mode du discours et narration dans le mode du récit.

‘’Ma mère me calma(2) :

-Je t’emmène(1) prendre un bain, je te promets(1) une orange et un œuf dur et trouves(1) le moyen de braire comme un âne !

Toujours hoquetant, je répondis(2) :

-Je ne veux(1) pas aller en enfer.

Elle leva(2) les yeux au ciel et se tut, confondue par tant de niaiserie.

Je crois (1) n’avoir jamais mis les pieds dans un bain maure depuis mon enfance. Une vague appréhension et un sentiment de malaise m’ont toujours empêché(1) d’en franchir la porte. A bien réfléchir, je n’aime(1) pas les bains maures. La promiscuité, l’espèce d’impudeur et de laisser-aller que les gens se croient(1) obligés d’affecter en de tels lieux m’en écartent(1)….*

On peut relever dans ce passage deux types de temps commentatifs et narratifs ou relevant du discours et du récit.

1-Discours (monde commenté) : emmène ; promets ; trouves ; veut ; crois ; ont empêché ; aime ; se croient ; écartent.

2-Récit (monde narré) : clama ; répondis.

La discussion peut porter sur ce que Weinrich appelle dans sa terminologie le monde commenté et que les poéticiens appellent discours. Il se subdivise en deux : discours de l’auteur et discours du personnage.

-Le discours de l’auteur permet à l’écrivain de l’œuvre de porter des jugements de valeur sur l’univers romanesque de son livre, de juger, de critiquer, bref de commenter. Comme le personnage en bas âge pour qui le bain c’est l’enfer et qu’il ne peut pas expliquer avec les mots de la langue son refus, l’auteur se charge de justifier ce refus en énumérant les différentes causes susceptibles de l’en empêcher : ‘’un sentiment de malaise, la promiscuité, l’espèce d’impudeur, le laisser-aller, …’’

-Le discours du personnage : il est formulé au discours direct avec le verbe introducteur ‘’répondis’’, le retour à la ligne et le tiret. Il permet au personnage de prendre la parole pour s’exprimer de manière directe.

La matière du récit, quant à elle, permet au narrateur de raconter l’histoire. Elle constitue le récit porteur des deux récits portés qui son le discours du personnage et celui de l’auteur.

Comme on peut bien le constater, Pour Weinrich, il y a deux univers romanesques : celui du monde commenté et celui du monde narré. Alors qu’en fait, le monde commenté qui est le discours se subdivise en discours du personnage et en celui de l’auteur.

Pour finir, cette distinction entre discours et récit permet de lever l’équivoque et ce, grâce au système temporel et aux signes de ponctuations, surtout dans les écrits à caractère autobiographique.

Zaid Tayeb

MédiocreMoyenBienTrès bienExcellent
Loading...

Aucun commentaire

Commenter l'article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *