Éduquer au bon usage de l’IA : outil ou béquille ?

Mustapha HMIMOU

Depuis que l’intelligence artificielle s’est invitée dans le monde scolaire, une question revient sans cesse, comme une inquiétude sourde : faut, il l’embrasser ou la tenir à distance ? Est-elle une chance pour l’élève ou une menace pour son autonomie ? Outil libérateur ou béquille paralysante ? Entre enthousiasme et crainte, l’école hésite. Pourtant, cette hésitation cache souvent une confusion plus profonde. Comme dans la recherche scientifique, dans l’enseignement ce n’est pas l’outil qui est en cause, mais la manière dont il est transmis, accompagné et enseigné.
L’IA, après tout, ne fait que s’inscrire dans une histoire ancienne : celle des multiples médiations de transmission du savoir. L’enseignant n’a jamais été seul à le dispenser. À ses côtés, depuis toujours, il y avait les manuels scolaires, les dictionnaires, les encyclopédies, les livres, les revues, etc. On y cherchait, parfois à l’aveuglette, un passage, une idée, un argument, une citation, une confirmation, une explication. L’IA ne supprime pas du tout ce cheminement : elle le raccourcit en ciblant trop vite la réponse recherchée avec un développement et des détails insoupçonnés, elle le rend interactif et le personnalise. Elle n’est pas une source en soi, mais un guide, un précieux filtre dans le maquis immense du savoir disponible. Et en prime, elle démocratise ainsi l’accès au savoir.
Faut-il alors s’en méfier ? Oui, bien sûr, mais seulement si l’on en fait un mauvais usage, comme pour tout autre outil. Oui, pour l’élève qui se contente de demander à l’IA une réponse toute faite, sans lui demander ensuite de lui montrer comment l’obtenir lui-même ; qui l’accepte sans apprendre à douter ni à vérifier, qui la recopie telle quelle sans ressentir le besoin de la reformuler pour l’adapter au contexte. Un tel élève se prive de quelque chose d’essentiel : le travail de sa propre intelligence humaine, travail qu’aucune machine ne peut remplacer dans la vie réelle, au quotidien.
Mais refuser l’IA en bloc, au nom d’une pureté intellectuelle abstraite, n’est pas davantage un acte pédagogique. Ce serait comme interdire l’usage des livres sous prétexte qu’ils rendent la parole du maître moins nécessaire. L’enseignant n’est qu’un guide sur le chemin du savoir, et pour une période limitée de la vie de l’élève, avant que ce dernier ne poursuive seul son propre cheminement. Il doit en être de même pour l’IA dans l’éducation. Le bon usage de l’IA : voilà le véritable enjeu. Et cela s’apprend, bien sûr. La question ne réside donc ni dans sa présence ni dans son absence, mais dans l’éducation à son usage à bon escient.
Imaginons deux élèves de même niveau, dans la même classe. L’un est encouragé à recourir à l’IA comme outil de travail, avec esprit critique, sous la supervision d’un adulte qui lui apprend à interroger, à comparer, à nuancer, à corriger, à douter. L’autre, à qui l’on interdit son usage, continue de progresser à l’ancienne, avec sérieux, mais sans bénéficier de cette interface précieuse. Ce n’est pas le simple usage de l’IA qui fait la différence entre eux. Mais elle deviendra un facteur de différenciation si le premier apprend à en tirer un progrès réel. L’autre risquera alors de prendre du retard, non pas parce qu’il aurait été paresseux, mais parce qu’on l’aura privé du bon usage d’un outil devenu central dans le monde d’aujourd’hui et, plus encore, dans celui de demain. Voyager en TGV ou en voiture : le choix est vite fait, surtout quand par chance le premier est gratuit, comme l’est heureusement l’usage de l’IA. Tel devrait être, désormais, l’usage raisonné de ce précieux outil dans l’enseignement.
C’est là que le rôle des parents et des enseignants devient essentiel. Non plus simplement complémentaire, mais fondateur. Ils doivent apprendre à éduquer les enfants à un usage réfléchi de l’IA, à la gouverner au lieu de la laisser les conduire n’importe où par le bout du nez.
À cette fin, une solution pratique s’impose : organiser des cours du soir ou des ateliers de formation spécialement destinés aux parents et aux enseignants, afin de leur apprendre comment guider les élèves vers un bon usage de l’IA. non pas pour en faire des techniciens, mais des repères. Car l’IA, déjà omniprésente, est là pour rester. Elle ne sera pas mise à l’écart, elle s’imposera comme une évidence dans tous les domaines du savoir. Mieux vaut donc préparer les éducateurs, parents et enseignants, à l’encadrer intelligemment, plutôt que de laisser les élèves s’y perdre seuls.
Ce qui est en jeu n’est pas seulement une technique, mais une éthique. Il s’agit d’une manière d’être en rapport avec l’acquisition du savoir, d’abord pour soi-même, et surtout pour les générations à venir. L’IA peut être un excellent compagnon de route, si l’on sait où l’on va. Sinon, elle devient un véhicule qui roule à l’aveuglette sans conducteur. Elle peut éclairer, mais aussi éblouir, aider à comprendre comme empêcher de penser.
Apprendre à bien utiliser l’intelligence artificielle, c’est comprendre qu’elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Elle ne remplace pas l’intelligence humaine, mais elle peut la soutenir, tout comme l’IA disponible et nécessaire pour le pilote dans le cockpit de l’avion. Tout dépend de la manière dont on apprend à s’en servir. Former les parents et les enseignants pour qu’ils sachent guider les jeunes vers un usage éclairé de ce précieux outil n’est plus un luxe, mais une nécessité.





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