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La barbe, quelle image donne-t-elle de ceux qui la portent ?

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Zaid Tayeb / oujdacity.net

Ma barbe m’attire beaucoup plus de critiques que d’éloges, de regards malveillants que de sourires hospitaliers et avenants. Pour certains, elle ne me va pas, je serais mieux vu et considéré sans ces touffes de poils qui tapissent mal mes joues et mon menton. Pour d’autres, elle manque d’entretien, taillée et entretenue comme il se doit, j’aurais meilleurs aspect. A croire que je pourrais m’en défaire comme de mes frocs quand le soir je vais à mon lit. Pour ceux qui m’ont connu dans ma jeunesse, je me serais converti au salafisme, ou j’aurais adhéré à une confrérie dont le pays est infesté ou encore je me serais perverti dans le communisme. C’est du pareil au même dans la mesure où l’un et l’autre constituent un écart par rapport à ce qui est communément admis et accepté comme relevant de l’ordinaire, du quotidien, de la norme en vigueur dans un pays dont les yeux considèrent les écarts avec circonspection. La barbe a depuis toujours été signe d’inquiétude pour les gouvernants à cause du caractère extrémiste ou fanatique de ceux qui la portent : ou trop à droite ou trop à gauche. Aux yeux de certains, elle demeure un élément de subversion et de conspiration, si elle n’est pas salafiste ou confrériste, elle est communiste. J’ai déjà fait l’objet de quelques remarques désobligeantes à cause de ma barbe. Il n’est pas évident pour ceux qui me considèrent de loin à la source de laquelle de ces courants je m’abreuve. La curiosité est une soif qui ne s’étanche pas. Pour éclairer les curieux, il faut remonter dans le temps.

Quelques années après l’indépendance du pays, les responsables de l’époque nourrissaient de nobles sentiments et de nobles idées à l’égard de leurs concitoyens et de leur pays. Aussi ont-ils ont introduit dans les programmes scolaires une matière qui porte un nom peu en usage dans la langue d’alors et dont la vertu curative est d’ouvrir les esprits: la philosophie. A croire que les adultes de leur temps avaient l’esprit fermé au savoir et à la connaissance dont le pays avait grandement besoin. Ils avaient bien raison de reconnaitre que le citoyen de l’époque n’était rien d’autre qu’un être humain qui se mouvait sur ses deux pieds et mangeait avec la main. Il leur fallait donc quelqu’un qui pensait et agissait pour le bien de la patrie nouvellement affranchie du colonialisme français. Il n’y avait rien de meilleur pour cela que la philosophie. Aux côtés du Contrat Social et l’Esprit de Lois, les étudiants découvrent aussi le socialisme et le communisme, Marx et Engels, Lénine et Trotski, Guevara, Mao, Ho Che Minh et Giap. Les terrasses des cafés abondent de petits bonhommes avec des casquettes frappées d’une étoile rouge. Beaucoup d’entre eux portent des barbichettes et des moustaches de la même densité et de la même longueur, de longs cheveux et des pantalons dits communément à pattes d’éléphants à la manière des hippys de l’époque. Ils discutent du prolétariat, de l’avidité du capitalisme, de l’exploitation de la main d’œuvre par le capital, de la révolution et d’autres choses qui peuvent faire l’égalité des hommes et l’émancipation de la femme. Ils adoptent ces nouvelles idées qu’ils jugent justes et équitables. Ils se mettent alors à militer pour les mettre en place dans une société qui se réveillait après un sommeil d’une longue nuit et qui avait soif de lumière. Mais cela ne convenait pas aux responsables pour qui ces dégénérés et ces dépravés avaient dangereusement viré à bâbord toutes.

Et la chasse aux sorcières s’est engagée contre les porteurs des germes de l’épidémie de la faucille et du marteau.

Pour se prémunir contre les influences négatives de la philosophie qui a fait tourner la tête à certains de ces énergumènes à qui on voulait ouvrir l’esprit, les responsables la retirent des programmes scolaires. Un coup de barre à tribord avec la pensée islamique. Les jeunes découvrent une nouvelle forme de pensée à la fois philosophique et religieuse avec Al hallaj, Al Mouatazila , Idn Rochd, Al Ghazali, Ibn Khaldoun mais cela ne les empêche pas de piocher en profondeur dans la Sounna et ses éminents cheikhs. Ils commencent bien vite par verser dans le salafisme et des courants takfiristes refont surface. Les mosquées deviennent leur refuge surtout pendant le mois du ramadan et les jours de fêtes musulmanes. La barbe généreuse, la moustache taillée à ras, la chemise longue à mi mollets, voilà leur accoutrement. C’était comme au temps du prophète, que la paix et le salut les plus chers soient sur lui, du moins en apparence. En profondeur, ils prônaient le retour au Khilafat à l’exemple des 4 premiers califs de l’Islam. Les librairies et les stands de livres à caractère religieux abondent en ouvrages de théologie qui se vendent comme les petits pains. Commencent alors à se former des mouvements à caractère religieux souvent radicaux dont certains appellent au retour aux sources.

Et la chasse aux sorcières s’engage contre les porteurs des germes de l’épidémie du croissant vert et de l’étendard noir.

Une troisième alternative doit sans aucun doute se mijoter dans les coulisses des couloirs des hommes politiques dont le souci est la standardisation d’un modèle de citoyen qui réponde à certains critères dont le premier est la pérennité d’un système de gouvernement d’équilibre, qui ne soit ni laïc, ni théologique, à mi-chemin entre le premier et le second.

Avec les joues fleuries d’une barbe grise piquetée de quelques points noirs, je veux être âgé sans être vieux, généreux sans être dépensier, simple sans être prosaïque, libre sans être vicieux, différent sans être une exception. Je veux être moi et à moi, sans attenter au moi des autres.

‘’De moi, je ne me sens guère agiter par secousse, je me trouve quasi toujours en place, comme font les corps pesants et lourds’’*

*Montaigne : Essais, Livre troisième, chapitre II

Zaid Tayeb

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