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L’erreur fatale de mon ami le professeur…!

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yahya torbi

Abdou et moi nous étions de bons amis. Après avoir passé l’intégralité de notre adolescence et une partie de notre jeunesse ensemble, nous nous sommes quittés au milieux des années 80. Car, il était temps d’intégrer le monde de travail.
Je ballottais entre des petits patelins misérables, non loin d’oujda, notre ville natale, tandis que Abdou a été parachuté  » instituteur  » au sud du pays, dans des endroits montagneux de Taroudant, où il va galérer en passant ainsi les années les plus dures de son existence. Nous nous sommes revus deux ou trois fois pendant les vacances qui ont suivi notre séparation, et, depuis, nous nous sommes jamais revus, jusqu’à l’été dernier, au cours d’un samedi après-midi, à Saidia. Nous nous sommes promenés dans toute la ville jusqu’à ce que nous ayons pris place dans un café calme et tranquille, donnant sur la mer. Je considérais Abdou au fur et à mesure qu’il parlait. Je croyais que les nombreuses années qu’il avait passées au Sud ont fait de lui quelqu’un d’autre, mais il n’a pas changé. C’est vrai que ses cheveux ont blanchi, que des rides sillonnent son front et qu’il est à deux ans de la retraite, mais il n’a guère changé moralement. Rien ni personne au monde ne peut le convaincre à adopter d’autres pensées que celles auxquelles il croit.Tellement il est resté fidèle à ses principes et convictions, mais surtout à sa façon de voir les êtres et les choses.
Loquace et obstiné, il monopolise la parole pour ne parler que du métier d’enseignant; ce métier qui est à l’origine de tous ses malheurs. Il passe tout son temps à se plaindre en stigmatisant tantôt la famille et la société, qui, d’une manière ou d’une autre, l’ont jeté dans cette situation, tantôt le destin qui l’a fait subir cette fatalité. Lui qui, après avoir fait de brillantes études au lycée et passé plusieurs années à étudier le droit à l’université, aspirait à une carrière digne de sa formation académique. Or, puisqu’il était pauvre et devrait prendre en charge ses parents malades, et surtout ses petits frères et soeurs qui étaient en phase de scolarité, et que le métier d’avocat et de procureur, comme celui de médecin ou d’ingenieur, etait réservé aux gens de la classe bourgeoise et aux fils des notables, il n’avait pas le choix. Autrement dit, il devait choisir entre devenir  » instituteur  » ou sombrer dans le chômage. C’est pourquoi, d’ailleurs, il est triste de voir des jeunes, mal orientés ou insuffisamment informés sur leur avenir, descendre dans la rue pour un métier qui, de nos jour, a perdu sa noblesse d’antan. Ainsi se dirigent – ils vers l’erreur fatale de leur vie. D’autant plus que, par comparaison à la plupart des fonctionnaires qui jouissent de tous les privilèges, ceux qui enseignent dans les écoles primaires ou dans les collèges, publics et privés, font le métier le plus difficile et le plus dangereux au monde et touchent un maigre traitement.
Alors que je démontrais à mon ami le professeur, tout en essayant d’apaiser le chagrin et la déception qui l’ecrasent, qu’enseigner était noble et honorable, dès lors que c’est le métier des prophètes, des savants, des sages et des philosophes, sa réponse fut la plus intelligente que j’aie jamais entendue:  » le métier qui, m’a – t – il dit, ne me met pas à l’abri des infortunes, et qui ne me permet pas de tisser des relations avec les dignitaires et les notables de la société et d’accéder à leur rang, et qui ne me permet pas d’avoir ma part  » du gâteau « , et surtout qui ne me protège pas de l’abus de pouvoir et des lois liberticides et qui ne me permet pas non plus de jouir de tous les droits ainsi que les avantages qu’offre l’Etat à quelques heureux fonctionnaires, et ce, sans être persécuté, qu’il aille à tous les diables!  »
Devant la logique de ces arguments et l’ingratitude de l’Etat à l’égard de ces enseignants que sont Abdou et ses collègues et confrères, quiconque devrait donner immédiatement raison à mon ami. En effet, chaque fois qu’on est incapable d’avancer et qu’on se voit bloquer son projet personnel, à cause de la racaille de la bureaucracie, ces propos retentissent dans nos esprits, et à ce moment là, on se rend bien compte qu’on est dans l’enseignement.
Quant à mon ami Abdou, il ne semble pas être prêt à pardonner à ceux qui l’ont forcer à faire le métier qu’il n’a jamais aimé.
Finalement et en guise du réconfort et de consolation, tout ce qu’on peut espérer pour Abdou, c’est que le choc ne sera pas aussi profond quand il sera parti à la retraite.
P.S. La Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, présidée par M. Chakib Benmoussa, n’est – elle pas appelée à s’entretenir avec les professeurs exerçant dans les écoles primaires, vu que c’est là que se formulent non seulement le modèle de développement, mais également toute la politique et l’avenir du pays?
Yahya TORBI

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