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La ruée vers la robe 

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Tayeb Zaid 


Un homme politique doit être sobre de gestes et de parole, modeste dans ses réactions, courtois dans ses déclarations, éloquent dans son discours. Quatre qualités qui peuvent faire de l’homme le plus simple un grand homme et d’un grand homme un rustre et un fat si elles lui font défaut. Il en a été ainsi du ministre de la justice quand il a affirmé avec le sourire d’une suffisance de soi veule et gauche et d’une assurance mal acquise que son fils a deux licences, que son père est riche et qu’il l’a envoyé poursuivre ses études au pays des trappeurs. Il a raison de manifester tant de vanité et en public. Je comprends un peu monsieur le ministre qui veille au grain à la séparation des pouvoirs dont lui-même il ne peut s’affranchir. Je lui concède qu’il soit riche et que comme tel, il puisse se permettre d’envoyer son fils à l’étranger continuer ses études. Mais je ne lui concède pas que son fils puisse revenir au bled avec son diplôme faire la queue avec les enfants des pauvres ou de condition modeste pour passer un concours après leur avoir donné des coups de coude par-ci et des coups de coude par-là. Au lieu de cela, et puisque le pays est pauvre, ses gens aussi, ses universités également, chacun à sa manière et à des degrés différents, il l’aurait laissé dans ce pays de merveilles et de prodiges pour le faire profiter du savoir et de la science que son fils y a acquis. Il aurait donc plus à gagner au bled que dans ce pays qui l’aurait formé et à qui il aurait remis un diplôme de fin de formation ? Cela se peut sinon pourquoi tant de bruit pour un rejeton et une licence ? Est-ce que ce notre pays manque de ce diplôme dont le sens commun est la mise à pied ? Si on demande à tous les Marocains de se réunir en un tel lieu, à tel jour, à telle heure et qu’on leur demande que ceux qui ont une licence lèvent le doigt. La moitié du pays lèveront la dextre ( !). Accordons à monsieur le ministre que son fils a effectivement deux licences. Posons-lui la question si au moins l’une d’elles le qualifie à passer et à réussir un concours lui permettant d’exercer le métier d’avocat dans notre pays.

Ce remue ménage a terni l’image de notre pays aux yeux de ceux qui ont commencé à bien les ouvrir pour mieux le regarder après les exploits du sélectionneur et de l’équipe nationale de foot

A ma connaissance, du métier d’avocat il n’y a de grand que le nom. C’est tout ce qu’ils ont gardé de prestigieux ! Nos avocats, de leur métier ! Beaucoup d’entre eux, au moins ceux que je connais et avec qui je partage la terrasse d’un café, se mettent à deux sinon à plusieurs pour pouvoir payer les frais du cabinet : loyer, secrétaires, électricité, déplacements entre le cabinet et le tribunal et d’autres charges encore. Je plaignais les avocats comme je plains les professeurs. Pauvres hommes de robe et pauvres hommes de craie ! C’est ainsi que je me représentais le métier d’avocat, et c’est ainsi que le vis au quotidien jusqu’à l’éclatement de cette sinistre affaire qui nous a montré de sinistres personnes avec de sinistres figures. Il avait fallu une brique pour que tout l’édifice s’écroule en ruine, brique par brique, pour mettre à découvert, au grand jour et au grand public, ce qui se tramait de mauvais dessous. Des familles entières, célèbres, riches et connues, à qui il ne manquait que la honte à leur palmarès, mijotaient dans le noir de leur tanière, bien à l’abri de l’indiscrétion du petit peuple, leurs sinistres coups pour la passation de leur pouvoir à leur progéniture. Le petit peuple n’a pas droit à porter la robe. C’est cela la conspiration contre le petit peuple, pour que ce qui est petit et pauvre reste petit et pauvre et ce qui est riche et grand s’agrandisse et s’enrichisse encore plus. La noblesse de robe en train de se constituer pour faire face aux roturiers. C’est ce qui explique toute cette course pour que le discours des bourgeois soit un plaidoyer et un réquisitoire. Gare au petit peuple de faire fausse route ou de relever la tête !

Je veux bien finir ce petit article qui me soulève le cœur que j’ai déjà gros. Je ne trouve pas mieux que cette antinomie pour le clore : dans le pays où le fils de monsieur le ministre a poursuivi ses études pour venir porter la robe au bled, les citoyens se plaignent AU ministre de la justice, alors que chez nous, les citoyens se plaignent DU ministre de la justice. Comme monsieur le ministre a l’argent pour l’envoyer se diplômer au pays des trappeurs, il a le pouvoir pour lui faire porter la robe au bled puisqu’il est juge et partie adverse.

 

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