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Mes anciens inspecteurs de français et moi

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Zaid Tayeb

Mes anciens inspecteurs de français n’ont jamais été satisfaits de mes compétences, à considérer que j’en avais, et de bonnes ! Ils avaient beau essayer de m’apprendre à embrasser moi qui ne savais qu’étreindre. Un rustre doublé d’un fat. Ainsi avaient-ils dû me considérer moi que l’insubordination et la soif de liberté de n’en faire qu’à ma guise animaient. Et comment pouvait-il être autrement à l’égard de personnes arrogants qui vous déconsidéraient en balisant le fossé qui nous séparait d’obstacles de différentes formes et de différentes espèces. D’un côté la pédagogie, de l’autre la connaissance et le savoir. D’un côté l’inertie, le fermé et l’obscur, de l’autre la dynamique, l’ouvert et la clarté. D’un côté l’archaïque, le conventionnel, l’inchangé, de l’autre le profond, le varié, l’utile. En un mot, d’un côté le dire, de l’autre le faire. Que pouvait m’apprendre de nouveau celui pour qui je n’étais qu’un outil dans une situation où j’étais la chose ? Que pouvais-je attendre de quelqu’un dont le seul savoir et la seule connaissance qu’il excellait est de venir m’importuner et m’agacer avec ses petites remarques enrobées d’une note d’insolence et d’effronterie du type ‘’Vous auriez dû…’’. Je ne savais pas qui de nous deux, de lui ou de moi, devait dire ‘’Vous auriez dû…’’ car la suite est déplaisante. La plupart des réunions se terminaient mal ou n’eurent pas lieu. La discorde se dissolvait sur le seuil de la salle de classe. Chacun allait son chemin, gardant pour lui ce qu’il avait sur le cœur de bien ou de mal, de mal surtout, pour ce qui me concerne. Il n’y a rien qui puisse me nuire que d’être jugé par une mauvaise partie car la langue que nous parlions n’avait pas la même portée. Comment pouvons-nous nous comprendre alors que l’un parlait théorie et l’autre pratique, l’un le flou, l’abstrait et l’invisible, l’autre la matière dans ses formes concrète et solide. Que puis-je recevoir de quelqu’un qui n’a rien à me donner et que je puisse garder entre les mains et dans la tête ? En dehors de ‘’Vous auriez dû…’’, applicable à tous et à chacun et que mes inspecteurs distribuaient avec une extrême générosité à chacun et à tous, je n’avais jamais rien bien reçu d’eux qui soit d’eux à moi et que je puisse réutiliser à profit et exporter comme un produit sûr et fiable.
Les nombreuses réunions se caractérisaient par leur stérilité. Chaque inspecteur ramenait avec lui une foule d’accompagnateurs qui lui servaient à la fois de porte-voix et de garde fou. Ils prenaient la parole pour redire ce qu’il avait dit et avec les mêmes mots que les Instructions Officielles ou les Recommandations Pédagogiques. Ils étaient là pour lui venir à la rescousse, pour donner à ce qu’il disait une valeur de vérité. Ils secouaient la tête de haut en bas pour lui donner raison et de gauche à droite pour nous ‘’donner’’ tort. Ils avaient l’air de savoir autant que lui et ils essayaient de faire admettre le bien-fondé de ce qu’il disait à l’assistance. Ils parlaient des’’ actes de langage’’ avec l’aisance d’Austin et de Searle sans avoir lu ni le premier ni le second, et de la ‘’régulation’’ comme s’ils avaient fait les mers et les océans avec Christophe Colomb ou exécuté le tracé de la Voie Lactée.
Qu’ai-j gardé de presque 40 ans de classe ? Un souvenir chiffré dans mes archives soigneusement gardé dans une petite mallette. Affecté sans aucune formation au collège Sidi Abdeljabbar à Figuig en 1974, je reçois, au début de 1975, la visite d’un inspecteur, que Dieu l’ait en Sa sainte miséricorde. Il me gratifia alors de beaucoup d’éloges et d’une note de 15/20. C’était l’une des meilleures notes attribuées !!!
Quarante ans plus tard, je suis mis à la retraite à la fin de 2013 avec une note de 18,5/20. De 1974 à 2013, cela fait un peu plus de 39 ans. En 39 ans de classe donc, j’ai progressé de trois points et demi. Mais le récit ne s’arrête pas là. En 2010 ou 2011, l’une de mes collègues au féminin, reçoit la visite d’un inspecteur de français, toujours en vie celui-là. Et de 15/20, elle se voit attribuer la note de 18/20. En un tour de main! Trois points en une journée contre trois points et demi en plus de 39 ans.
Voilà le seul bien que j’ai gardé de mes anciens inspecteurs de français après presque 40 ans de ‘’bons et loyaux se(r)vices’’.

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1 Comment

  1. Yahya
    08/05/2022 at 12:17

    Combien je me suis moqué et je continue à me moquer de cette mascarade qu’est la note des soi-disant inspecteurs pédagogiques, à laquelle s’ajoutent la note des soi-disant directeurs d’établissements ainsi que celle des délégués, car, en plus du fait qu’elles ont contribué à la dégradation de notre système éducatif, elles discriminent les enseignants malhonnêtes en faveurs des mouchards, des enseignantes libertines ou de ceux qui payent mieux, au lieu d’instaurer l’égalité des chances parmi eux. Pire encore, elles étaient utilisées par des malintentionnés de ceux qui les attribuaient afin d’obtenir des faveurs odieuses: corruption, sexe, autorité, et autres privilèges sordides, alors qu’aujourd’hui, elles ne valent rien ou presque.

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