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L’abandon des hôpitaux publics au profit des festivals

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Zaid Tayeb

L’hôpital public, c’est l’hôpital du petit peuple. Il est donc à son image. Et à sa dimension aussi. Les nombreuses vidéos qui l’ont montré dans sa routine de tous les jours lui ont manqué de respect. Elles ont par la même occasion vexé le petit peuple qui veut rester discret et effacé dans sa simplicité pour ne pas dire dans sa nudité dévoilée à qui veut voir. L’hôpital public avec ses matelas crevés et informes, ses vieux lits gangrénés par la rouille, ses draps et ses oreillers auréolés de restes de bave, de vomi ou de sang, ses murs rongés par la lèpre, sa mosaïque fanée et délavée, son personnel blasé, indifférent ou insensible aux gémissements et aux plaintes, ses agents de sécurité avec leurs yeux de bœuf et leurs membres de videurs et ses patients du petit peuple partagent à part égale une misère commune. Chaque chose doit avoir nécessairement des affinités ou des traits de ressemblance avec la chose avec laquelle elle est en relation. ‘’Tu ressembles à la personne avec qui je t’ai vu’’. L’adage est respecté. A la différence qu’ici il est question de ressemblance de personnes avec un bâtiment public. Or, tout ce qui est public est chez nous sujet à l’abandon, à l’oubli, à la dégradation. Puisqu’il n’est à personne, il est ‘’siba’’. Je me souviens d’un film algérien montrant un homme dire à un autre de ne pas pisser sur le mur, et l’autre de lui répondre ‘’c’est un mur public’’ (hada 7it lbaylek). L’hôpital public est-il ‘’siba’’ pour être montré dans un état de misère ? Malgré cela, le petit peuple a l’habitude de ces choses-là. Il s’en est accommodé, accoutumé. C’est à prendre ou à laisser. Comme il n’a pas le choix, il a choisi de se faire soigner dans l’hôpital public. C’est tout naturel pour lui de se faire engueuler par l’agent de sécurité, ou de se faire renvoyer sans soins avec la promesse qu’il sera examiné ou soigné le lendemain, la semaine suivante, le mois d’après. Peut-être jamais. Il faut que le patient revienne autant de fois que cela lui est demandé. Il y en a tellement comme lui agglutinés devant la porte et dans la cour de l’hôpital, sur le trottoir d’en face ou gémissants dans la salle d’attente et ses couloirs. L’un est fait pour l’autre, à sa mesure : l’hôpital public pour le petit peuple et le petit peuple pour l’hôpital public. Ça a été toujours ainsi.

Les responsables de chez nous qui veillent sur notre santé ne font pas partie du petit peuple. C’est une autre espèce d‘une autre nature pour qui le petit peuple constitue la caste des intouchables. Une ligne de partage et de démarcation comme celle de Maginot ou de Bar-lev sépare les premiers des seconds. Ce sont des êtres privés avec leurs cliniques privées, leurs écoles privées, leurs quartiers privés, leur vie privée… Ils se soignent dans des cliniques privées ou à l’étranger. Ils vivent à l’écart du petit peuple, loin de ses plaintes quotidiennes. Que l’hôpital public, en tant que bâtiment, s’écroule sur la tête de ses patients, de ses visiteurs ou de ses soignants sans distinction, ou qu’institution publique, il manque de tout ce qui entre dans la médication ou la prise en charge, les responsables de la santé publique ne seront ni inquiétés, ni alarmés, ni émus, ni tenus pour responsables. Et leur appétit n’en sera nullement affecté. Ils mangeront comme à l’ordinaire mais avec une petite moue de dégoût. Ce que d’ailleurs le petit peuple ne le leur souhaite guère. N’y a-t-il pas une ligne frontière entre le petit peuple et les responsables, entre l’hôpital public et la clinique privée, entre le public et le privé ? N’a-t-elle pas été respectée ? Le petit peuple se soigne-t-il dans les cliniques privées ? Les responsables se soignent-ils dans les hôpitaux publics ? Toutefois, les causes des premiers ne sont pas celles des seconds.

D’un autre côté, le festival du rire et le festival du raï ont chacun donné plus qu’il n’en faut à Debbouz et aux Chebs pour faire rire et danser qu’aux hôpitaux de Marrakech et d’Oujda pour soigner et équiper. Que voulez-vous ? ‘’Aujourd’hui orgie, demain affaires’’, a dit un célèbre poète arabe.

En conclusion, comme les responsables ne se soignent pas dans les hôpitaux publics, quel intérêt ont-ils à faire d’eux des centres à l’image des cliniques privées ?

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