Manifeste de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) Sur l’Islam en France

A Monsieur le Président de la République François Hollande
En copie à : Monsieur le Premier Ministre
Monsieur le Ministre de l’Intérieur chargé du Culte
Madame la Garde des Sceaux
Madame la Ministre de l’Education Nationale
Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur
Mesdames et Messieurs les représentants des partis politiques
Mesdames et Messieurs les responsables des organismes musulmans de France
A Paris, le mercredi 10 juin 2015
Monsieur le Président,
Cette contribution intervient à la veille d’un rendez-vous national de grande envergure ; la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) se réjouit par ailleurs de l’initiative de M. le Premier Ministre Manuel Valls et de sa volonté de lutter sur les deux fronts : les dérives radicales violentes avec la montée des actes islamophobes et des discours d’incitation à la haine. M. Manuel Valls nous a d’ailleurs rappelé, non sans émotion, lors de son discours en hommage aux victimes de l’attentat du 7 janvier 2015, que c’était la France de « toutes les couleurs » qui a été touchée.
Suite aux évènements tragiques qui ont secoué la France et le monde, et qui ont atteint au cœur notre patrie et nos valeurs, il parait nécessaire, voire même essentiel, de se réunir afin d’établir un bilan et penser ensemble l’avenir de notre nation.
Nous tenons avant tout à rappeler l’attachement sans faille de la communauté musulmane de France à la République Française ainsi qu’à ses valeurs de démocratie, de solidarité et de pluralisme. Nous tenons également à rappeler l’importance que revêt pour nous la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » et nous, Français de culture musulmane, restons attachés au principe de laïcité permettant à tout un chacun de s’épanouir sur le territoire français, et ce, quelle que soit sa confession. Dans ces circonstances, nous réitérons notre soutien à M. le Président François Hollande, affirmant que « l’islam est compatible avec la démocratie, que nous devons refuser les amalgames et les confusions, et d’abord en France ».
Un rendez-vous national
L’heure d’un rendez-vous national avec l’islam a sonné, à l’heure des grands défis, et la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) est honorée de pouvoir apporter son soutien par sa présence à cet événement et sa contribution.
La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), de par son rayonnement national, européen et son engagement international, fut partie prenante au sein de nombreux événements d’ampleur mondiale, confirmant son engagement dans la lutte contre la menace terroriste et la radicalisation de certains discours :
– Septembre 2014 : la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) fut parmi les initiateurs et signa, aux côtés d’une centaine de personnalités musulmanes, une lettre ouverte adressée à Monsieur Abou Bakr al Baghdadi, à la tête du réseau terroriste Da’ech, et ce dans le but de remettre en cause leurs thèses fondatrices dites du « jihad » à la lumière des enseignements théologiques. Cette lettre fut en outre l’occasion de démontrer une fois de plus que ce réseau n’est ni un Etat légitime, ni représentatif de l’Islam.
– Octobre 2014 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), membre de la Conférence Islamique Européenne, organisa la conférence « Musulmans européens contre le terrorisme » en Suède, dont l’objectif était entre autres de préserver les minorités musulmanes des tendances de l’appel au jihad armé ;
– Décembre 2014 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) participa activement à la conférence internationale organisée par la célèbre institution de l’islam sunnite Al Azhar contre le terrorisme et les dérives islamistes violentes ;
– 18 Janvier 2015 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) organisa la Rencontre nationale « Musulmans français contre le terrorisme » qui se déroula en janvier 2015, peu après les événements au siège de Charlie Hebdo ainsi qu’à l’épicerie HyperCasher ayant causé la mort de 17 personnes à Paris.
– Du 22 au 24 février 2015 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) fut invitée à participer à la Grande Conférence Internationale organisée par la Ligue Islamique Mondiale sur l’Islam et le terrorisme, pour porter apporter notre éclaircissement sur les théories erronées et manipulées qui fondent ces groupes islamiques armés, avec en tête Da’ech.
– 28 au 30 avril 2015 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) coordonne l’organisation de la Conférence Internationale pour la Promotion de la Paix et contre le Terrorisme, qui s’est déroulée à Abu Dhabi. Cette rencontre rassembla plus de 350 théologiens les plus représentatifs du monde de l’Islam et permit ainsi de confirmer, sur le plan théologique, les arguments visant à la condamnation unanime du terrorisme.
– 22 au 25 mai 2015 : la conférence des Musulmans d’Amérique latine contre le Terrorisme, qui s’est déroulée à São Paulo au Brésil a de nouveau permis à la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) d’apporter son soutien, de participer à la condamnation unanime du terrorisme, et de préserver les minorités musulmanes de toute dérive sectaire et violente, ou de toute tentative prosélyte en ce sens.
– 5 au 7 juin 2015 : La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) participa à une rencontre organisée à Londres par la Fondation Imam Khoei, fondation chiite, sur le thème « Sunnites et Chiites contre le terrorisme ».
La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), à côté des grandes instances de la théologie musulmane, a ainsi démontré l’ampleur de son engagement dans ce processus de dialogue et de réforme de l’Islam (« islah ») qui doit passer par un renouveau (« tajdîd ») des textes islamiques, tant au niveau de ses manifestations que de son contenu. Elle affirme à travers son travail la nécessité de contextualiser les textes sacrés et de remettre en cause les thèses fondatrices du « jihad armé » (« qitâl ») à la lumière des sources scripturaires.
En effet, la réforme (« islah ») de l’Islam, dans sa contextualisation, est préinscrite dans la tradition musulmane et dans son histoire. Le prophète de l’Islam Mohammed (paix et salut sur lui) n’a-t-il pas affirmé que Dieu « envoie à cette communauté, à la tête de chaque siècle, des gens qui lui revivifient sa religion ».
L’image de l’Islam, à la fois malmenée par les groupes violents se réclamant de cette religion et par la récupération politique du débat par certains leaders de parti, a besoin d’être changée. Pour ce faire, nous avons à la fois besoin d’une instance représentative forte, reconnue par tous les courants de l’Islam et connue par les grandes institutions internationales de l’Islam, ainsi que du soutien politique de la majorité des leaders, et ce, afin d’enrayer les dérives islamophobes.
Un bilan décevant de la gestion de l’Islam en France
Le principe de laïcité ne signifie pas la négation du fait religieux et il est plus qu’indispensable, dans ce contexte de tension religieuse, d’aborder la question du fait religieux en France aujourd’hui. En effet, la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) dresse depuis de nombreuses années déjà des constats inquiétants :
La montée du racisme
Tout d’abord, la montée de l’extrême-droite, non seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe, préoccupe de plus en plus la communauté musulmane de France et d’Europe. En effet, la revendication d’opinions populistes et xénophobes semble saisir petit à petit les sociétés européennes et il est de notre devoir de lutter contre toute forme de discrimination(s), cette dernière représentant un danger pour la prospérité et l’unité d’une nation. Les scores toujours plus élevés des partis d’extrême-droite durant les élections démontrent un mal-être grandissant quant à la question du vivre-ensemble, de la tolérance, de la diversité et il est de notre devoir, en tant que citoyens français et pour la pérennité de la République, d’endiguer un tel phénomène.
La banalisation des discours xénophobes et islamophobes au sein de partis politiques (démocratiques et républicains) est un phénomène grave dont il faut se saisir : il reflète l’ampleur du problème de la représentation des Musulmans en France, qui ne se retrouvent ni dans le discours médiatique et politique, ni dans les instances censées les représenter. Les propos derniers d’hommes et de femmes politiques considérant l’Islam « comme une malédiction », suggérant « d’interdire le culte musulman en France » et ses manifestations, affirmant ne pas vouloir « des femmes voilées en France », allant même jusqu’à dire que les jeunes Musulmans « ont été drogués dans les mosquées » et que l’on se trouve dans « une guerre de civilisations » ont deux conséquences très graves pour l’unité de la communauté nationale : ils banalisent le discours haineux en stigmatisant les citoyens de confession musulmane et ils alimentent le repli communautaire et le sentiment de rejet, permettant à des groupuscules violents de s’immiscer et de véhiculer leurs idées profondément antirépublicaines.
De plus, nombreux sont les politiques alimentant les discours populistes et assimilationnistes, dressant ainsi les communautés les unes contre les autres, faute de proposer des projets politiques concrets à l’heure de la crise économique internationale.
La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) dénonce et condamne ces stratégies politiques contraires aux valeurs et aux principes de la République.
Face à l’ampleur du phénomène, la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), riche de son expérience et de sa proximité avec les citoyens de confession musulmane, appelle au rassemblement national et à l’ouverture d’un débat républicain et citoyen au sein des instances représentatives du culte musulman en France.
La montée de l’islamophobie
Dans la continuité du premier constat, la montée de l’islamophobie en France et en Europe inquiète la communauté musulmane. En effet, le nombre d’actes antimusulmans recensés (agressions physiques et verbales, profanations de lieux de culte et de cimetières) ne cesse d’augmenter ces dernières années. La situation extrêmement tendue que vit la République en ce moment ne fait qu’accentuer cette islamophobie, ce que démontrent les 54 actes de violence antimusulmans recensés dans les semaines qui ont suivis les attentats qui ont frappé le siège de l’hebdomadaire Charlie Hebdo ainsi que le magasin Hypercasher de la porte de Vincennes. Ces actes doivent être condamnés avec la même fermeté, et justice doit être rendue dans chaque cas d’agression, quel qu’il soit.
La Fédération Nationale de Musulmans de France (FNMF) demande de légiférer l’islamophobie, en application des résolutions n’65/224 de l’ONU, votées le 11 avril 2011.
La radicalisation en prison
La radicalisation des jeunes dans les prisons est également un fait très inquiétant face auquel la communauté musulmane est dépourvue de moyens. En effet, ce constat absolument contradictoire de découverte spirituelle au sein d’un milieu carcéral qui peut parfois s’avérer extrêmement violent attise davantage de violence dans la vision même de la pensée religieuse. Ce passage « d’un extrême à un autre » se révèle d’autant plus inquiétant qu’il amène, et cela a été tragiquement démontré durant ces évènements, à un repli identitaire absolu et à une vision absolument réductrice et violente de la religion et de son rapport à l’Autre. A ce titre, nous tenons donc à saluer et exprimer notre soutien à M. le Premier Ministre Manuel Valls pour ses objectifs de prévention au sein du milieu carcéral, et ce, afin d’endiguer le phénomène de fanatisme religieux violent qui se développe au sein des prisons.
Un CFCM absent
La panne de la représentation du culte musulman est, quant à elle, une problématique majeure dont on retrouve les conséquences à tous les niveaux de la gestion du culte musulman en France.
La création du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) fut ainsi l’aboutissement d’une réflexion menée par Jean-Pierre Chevènement en 1999 sous le gouvernement de Lionel JOSPIN. Cette initiative fut concrétisée le 13 avril 2003 par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur. Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) fut créé pour être une coordination légère des organisations musulmans et gérante des affaires de la pratique du culte musulman en France. En effet, le Conseil Français du Culte Musulman, à sa création, était composé de responsables régionaux élus et de 20% de représentants des différentes expressions de l’Islam en France, représentés par les fédérations, les mosquées et des personnalités qualifiées. Les divergences politiques internes et les influences étrangères ont semé la zizanie à l’intérieur de cette structure pour qu’elle devienne un club privé et fermé au sein duquel de nombreuses fédérations musulmanes et expressions de l’islam en France ont été exclues ou écartées.
Les premiers mandats ont vu la mise en place de commissions de réflexion ayant travaillé dans de nombreux dossiers liés à la question des affaires religieuses, telles que la question de la formation des Imams et des aumôniers, du marché de la viande halal, des carrés musulmans, des écoles privées musulmanes, l’islamophobie etc…
Malheureusement, ces réflexions ont été interrompues par des faits extérieurs aux affaires de la communauté musulmane.
De plus, l’absence de citoyen(s) français appartenant à la deuxième génération issue de l’immigration ainsi que l’absence notable de jeunes , de femmes et de théologiens au sein du comité de direction du CFCM traduit clairement le manque d’efforts en terme de politique de diversité mais cela trahit surtout l’absence d’engouement de la part de la jeunesse musulmane à l’égard du CFCM, qui ne se reconnaît absolument pas dans ce Conseil. Une remise en question quant à la gestion du culte musulman et de sa représentation est donc indispensable et un travail doit être fourni afin d’améliorer cette situation, au sein de la communauté musulmane comme au sein des institutions françaises.
Le Président de la République M. François Hollande a reconnu que le Conseil Français du Culte Musulman n’assumait pas totalement son rôle et qu’il « n’avait pas la capacité suffisante de faire prévaloir un certain nombre de règles, de principes, partout sur le territoire ». Il est donc plus que nécessaire de réunir à la fois tous les courants de l’Islam, tous les acteurs présents sur le terrain, pour une meilleure connaissance de la question, mais il est surtout indispensable de former une instance représentant toute la diversité de la communauté musulmane française. En effet, la participation des jeunes, des femmes, des personnes converties a été négligée dans la constitution de ce Conseil.
Une formation des cadres religieux inexistante
La problématique quant à la formation des cadres religieux (imams et aumôniers) en France est au cœur même de la problématique de la représentation du culte musulman et dans le discours politique en France qui est devenue un défi « historique », selon Le Premier ministre Manuel Valls lors de son déplacement à Strasbourg le mardi 3 mars, à la rencontre des responsables musulmans à la Grande mosquée de Strasbourg. En effet, à l’heure où l’Islam est présent sur le territoire français depuis plus de 4 générations maintenant, les citoyens de confession musulmane font pleinement partie de la nation français et adhère(nt) à une culture et des valeurs qui leur sont chères mais qui leur sont aussi propres. Cela implique donc d’avoir, au sein de la communauté musulmane, des dirigeants, représentants, théologiens et imams qui soient au fait de la situation de la communauté musulmane de France, et ce, afin de mieux appréhender leur spiritualité et les différentes situations auxquelles elle peut faire face. Il n’existe à l’heure actuelle aucun organisme musulman français mandaté par l’Etat qui s’occupe de la gestion de la formation des imams en France et c’est là un fait déplorable que nous constatons.
La formation des cadres religieux est depuis administrée par une dizaine d’instituts dont l’Institut Catholique de Paris, se défendant de dispenser une formation profane. Parmi ces instituts, aucun n’est musulman. La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) tient à relever et dénoncer cette contradiction : en effet, les cadres religieux répondent à une demande d’apport spirituel, leur formation doit donc se focaliser sur leur savoir théologique. La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) salue le décret visant, dès 2017, à instaurer un Diplôme Universitaire à tous les ministres du culte des différentes confessions, mais elle considère que chaque culte doit veiller à ce que ses propres instituts de formation, reconnus par sa communauté et agréés par l’Etat, dispensent ces dites formations.
Une gestion des affaires religieuses malmenée
La question de la gestion des affaires religieuses s’inscrit dans la continuité de la remise en question de la gestion de la représentation du culte musulman au sein de la nation française. La Fédération Nationales des Musulmans de France (FNMF) déplore avec force la mauvaise gestion de la part des représentants musulmans des affaires religieuses majeures de la religion musulmane. En effet, il n’existe, pour le moment, aucun projet permettant la gestion correcte du départ de musulmans pour le pèlerinage annuel qui a lieu à la Mecque et ce, afin de pouvoir administrer et contrôler le bon déroulement du pèlerinage à l’échelle nationale mais surtout dans le but d’éviter les nombreuses arnaques que connaissent chaque année de nombreux pèlerins musulmans, perdant ainsi pour beaucoup des économies de toute une vie.
De plus, nous déplorons le manque de conseil permettant également la bonne gestion du sacrifice rituel qui a lieu chaque année pour la fête l’Aïd al Adha et qui empêcherait également de nombreuses dérives scandaleuses. La nécessité de mettre en place des structures d’administration et de gestion des affaires religieuses se révèle donc indispensable au sein de la Nation Française qui compte entre 5 et 6 millions de musulmans.
Islam et Mémoires
L’image de l’Islam dans les manuels scolaires et dans certains médias ne contribue pas non plus à l’essor d’une communauté musulmane française fière d’être à la fois française et à la fois de confession musulmane. En effet, l’impression d’une « double identité contradictoire », d’un « choc des civilisations », ou encore d’une « appartenance religieuse contraire aux valeurs de la République » est trop souvent véhiculée dans une France qui ne sait plus quoi penser de cette religion : a-t-elle sa place dans ce pays ? Le devoir de mémoire pour tous les héros tombés pour la liberté et la prospérité de la France, y compris les nombreux combattants de confession musulmane tombés pour la France doit être rappelé, la stigmatisation doit à tout prix être enrayée et, ce afin d’éviter les amalgames et les menaces toujours plus nombreuses à l’encontre des citoyens français de confession musulmane.
La question du rapport de l’Islam à l’Histoire de la France est donc une problématique dont il faut se saisir, car il est, en 2015, intolérable de lier l’Islam à l’Etranger. L’Islam étant désormais une composante à part entière de l’Histoire de la France, il convient d’aborder, dans le cadre de l’instruction publique, cette religion comme composante de l’Histoire de la France et non plus comme une composante n’ayant toujours pas sa place et perçue comme un « ennemi ». De plus, l’Histoire de la relation entre l’Islam et la France ne débute pas au début de la guerre d’Algérie, ou lors des combats entre les Français et les Arabes : l’Histoire commence lors des apports mutuels des deux civilisations en termes de sciences, d’arts et de lettres, et ce, dès le VIIIème siècle.
L’Histoire ne commence pas à travers les armes mais à travers les sciences et c’est un aspect négligé en faveur d’une relation de dualité et de confrontation, alimentant la méfiance et l’incitation à la haine communautaire.
Le défi de l’enseignement privé
Enfin, le blocage des agréments des écoles musulmanes rejoint ce devoir de mémoire et d’instruction indispensable pour chaque citoyen français : de nombreux projets d’écoles privées musulmanes ont été empêchés, arrêtés, interrompus en raison du manque de soutien de la part des élus politiques locaux et nationaux pour ces projets visant à remettre l’éducation et l’instruction au cœur du quotidien de nos jeunes citoyens français. L’ignorance menant à l’obscurantisme, la prévention face au terrorisme passe par la mise en place de structures scolaires et d’instruction adaptées, conformes aux valeurs de la République et qui permettraient aux écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, apprentis, d’apprécier l’instruction et l’éducation comme un rempart contre la violence, un levier contre l’exclusion, une protection contre le fanatisme, quelle qu’en soit la sorte.
Pour un Islam d’ici et de maintenant
Face à ces constats, la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) appelle tous les citoyens français ainsi que tous les responsables politiques à agir main dans la main afin de pouvoir faire face à ces risques menaçant la stabilité de la République Française. La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) est convaincue qu’ensemble, les Français pourront se réconcilier et trouver chez l’Autre une composante et une preuve de la richesse culturelle et cultuelle de la France. Les attentats innommables qui ont causé la mort de 17 personnes et ce, de toutes confessions et de toutes origines, est un message fort que la guerre est déclarée non pas à une certaine frange de la société française mais bien à l’ensemble de la nation française. Et pour eux, en leur hommage, en leur mémoire et en réponse à leur courage et leur force, il est de notre devoir à tous de contribuer à ce renouveau républicain qui touche chacun de nous et qui nous anime.
Pour ce faire, et en réponse aux différents constats dressés, la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) souhaite adresser à Monsieur le Président de la République ainsi qu’à tous les responsables politiques, ses propositions en vue de répondre aux problématiques précitées et contribuer, à son échelle, à cette dynamique d’union nationale, pour une France forte, unie, et fière de ses valeurs :
Le renforcement du dialogue interreligieux
Tout d’abord, le renforcement du dialogue interreligieux, surtout en cette période de tension communautaire et intercommunautaire, est un enjeu majeur pour la pérennité de la Nation Française. La République Française n’a jamais renié son multiculturalisme et a, au contraire, trouvé une richesse dans cette diversité culturelle et confessionnelle. Les représentants des différents cultes doivent donc se réunir afin de travailler ensemble sur les questions de vie en société et de prévention du fanatisme. Les représentants de toutes les confessions doivent également mettre en avant ce qui unit, et non ce qui divise, et ce, afin de participer à la cohésion sociale de la Nation Française. Jean Jaurès avait dit à juste titre : « Nous devons apaiser la question religieuse avant de poser la question sociale ». Apaiser ces tensions et renforcer les liens entre nos concitoyens de toute(s) confession(s) est donc le premier pas menant vers la prospérité sociale.
Repenser la question sociale
Dans la continuité de la pensée de Jean Jaurès, la question de la marginalisation raciale et sociale est un fait qui doit être étudié en profondeur. En effet, l’exclusion sociale est un tremplin vers le repli identitaire et le rejet de la nation, ce qui à long terme, peut pousser à la violence. C’est donc à sa source qu’il faut attaquer le problème. Les différentes politiques de la ville établies par les collectivités municipales doivent s’inscrire dans cet objectif d’union sociale et d’égalité des chances et doivent combattre toute forme de marginalisation et de discrimination. Elles doivent également mettre en place des projets d’habitat à long terme visant à mettre un terme à cette « ghettoïsation » de certaines populations qui existe sur notre territoire depuis bien trop longtemps.
De plus, le constat social que l’on peut dresser révèle de façon très claire les politiques intégrationnistes et assimilationnistes entreprises par les gouvernements successifs et visant à éradiquer tout repli identitaire pour favoriser l’assimilation complète de tout individu qui entrerait sur le territoire français. Cette politique a montré toutes ses failles et il est temps pour nous aujourd’hui d’apprendre les leçons de ces échecs.
Renforcer les liens entre instances publiques et responsables associatifs et religieux
La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) tient également à envoyer un message fort à tous les responsables politiques en les appelant à renforcer ses liens avec la communauté musulmane par le biais de ses responsables et à créer des partenariats dans les gestion du culte visant à approfondir et à renforcer les projets de développement et de coopération avec celle-ci, et ce, dans un souci de cohésion sociale et de développement durable.
Comprendre et prévenir la radicalisation
L’un des terreaux de révolte, de repli et de sentiment de guerre qui animent ces personnes tombées dans le radicalisme est aussi purement géopolitique et il importe de le souligner. En effet, nous tenons à prévenir et à mettre en garde contre toute tentative visant à importer les nombreux problèmes qui secouent la région du Moyen-Orient et qui, pour beaucoup, font partie intégrante des problèmes que vit la communauté musulmane de France. Ce raccourci dangereux stigmatise les musulmans de France et amplifie les tensions intra et intercommunautaires au sein du territoire français. Importer la situation délicate dans laquelle se trouvent certaines parties du Moyen-Orient équivaut à importer des idéologies, des problématiques, des aspects géostratégiques auxquels les musulmans de Franca n’ont pas à répondre. Ce raccourci idéologique et ce sentiment de rattachement à ces questions posent donc de nombreux problèmes supplémentaires au sein de la Nation Française.
Condamner le terrorisme
La Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) tient à faire passer un message fort aux membres de la communauté musulmane, croyants et croyantes en la foi islamique : l’union communautaire face à ces événements terroristes, et la condamnation sans équivoque et sans double discours de ces actes commis au nom de notre religion se révèle plus que jamais nécessaire, indispensable, voire même obligatoire. Nous, musulmans de France, devons porter d’une seule voix notre désarroi face à ces barbaries commises au nom de notre religion, l’Islam, dont la racine dérive du mot « salam » qui signifie la paix. Nous devons, d’une seule voix, condamner ces atrocités commises au nom de notre religion avec la plus grande fermeté. Et nous devons, ensemble, avancer main dans la main et réfléchir à ce qui a pu permettre de telles dérives, afin de les endiguer et de les prévenir.
Le départ de jeunes européens toujours plus nombreux vers la Syrie ou l’Irak nous inquiète infiniment, non seulement en tant que musulmans, mais aussi en tant que parents. Ce sont nos fils et nos filles qui partent s’engager dans des combats dont ils mesurent à peine l’ampleur, laissant derrière eux une famille et des parents meurtris et anéantis. Nous, musulmans de France et d’Europe, devons donc nous occuper de nos jeunes croyants et ce, afin de les sensibiliser à ces questions, prévenir la moindre dérive violente, et pour leur laisser ainsi, par la suite, le flambeau de cet Islam de tolérance, de solidarité et de générosité pour les générations futures.
La communauté musulmane doit donc plus que jamais s’unir derrière un organisme fort, un organisme transparent, ni exclusif, ni excluant, un organisme représentant la communauté musulmane dans toute sa diversité, et administrée par des citoyens fiers de leur identité française, de leur culture française, et de leur confession musulmane.
Privilégier l’instruction
Ce qui nous amène donc à la question de l’éducation et de l’instruction, cet enjeu fondamental, car il est la clé du développement économique mais aussi social de la communauté française. Cette question amène deux domaines d’instruction très précise : la formation des imams et des représentants du culte musulman, et la question des écoles privées musulmanes. Les institutions publiques françaises ainsi que les membres du gouvernement doivent montrer tout leur soutien pour la mise en place de structures et d’organismes, visant à la formation des imams en France. De nombreux instituts en France, parmi lesquels l’Institut Avicenne des Sciences Humaines de Lille, travaillent depuis de nombreuses années afin d’être agréés comme Instituts reconnus par l’Etat et dispensant des formations académiques d’imams et d’aumôniers, ayant acquis un bagage non négligeable dans les domaines aussi bien théologiques que profanes, et pouvant ainsi être à même de pouvoir représenter et administrer au mieux le culte musulman en France. Ces organismes ont besoin du soutien de l’Etat français, car ils aspirent à pouvoir dispenser le savoir qui sera le guide de l’action. De plus, ils seront les plus à même de pouvoir contextualiser les textes sacrés afin de pouvoir répondre de manière adéquate, en fournissant cet effort de réflexion (« ijtihad » en arabe) qui manque tant à la communauté musulmane de France face aux textes de droit musulman.
Les écoles musulmanes poursuivent, à leur échelle et dans leur domaine, le même dessein : instruire pour agir, instruire pour construire. Cette notion d’instruction est plus que jamais fondamentale dans ce contexte – national comme international – où il nous est clairement prouvé que l’ignorance, menant à l’obscurantisme, peut être le déclencheur de folies meurtrières et génocidaires contre lesquelles nous devons absolument nous prémunir, et ce, le plus rapidement possible. Le meilleur lieu de prévention de tels comportements est sans contexte l’école. Il est donc du devoir des responsables politiques de soutenir les projets d’agrément d’écoles musulmanes, visant non pas au communautarisme, mais plutôt à l’éradication de toute forme de discrimination liées à l’accès à l’éducation et à l’instruction. Car en effet, l’instruction n’est pas un luxe, mais un droit auquel chaque citoyen a droit.
Pour une émancipation affirmée des femmes
La pérennité de la communauté musulmane, et de la société française à une plus grande échelle, passe également par des mesures concrètes visant à l’émancipation des femmes. Trop souvent reléguée au second plan, les femmes jouent un rôle majeur en tant que militantes, enseignantes, éducatrices, garantes du savoir, mais aussi en tant que représentantes de la communauté musulmane. L’Islam ayant redonné à la femme son statut de haut rang, tous ses droits qui lui étaient pourtant impunément bafoués, et qui le sont encore aujourd’hui pour des raisons culturelles et traditionnelles, il incombe donc à tout musulman de donner à la femme son juste droit, ce qui lui est dû, et participer ainsi à son émancipation. Le penseur et écrivain égyptien Qasim Amin avait dit à juste titre dans son ouvrage La Libération de la Femme que le développement d’une société ne peut se faire sans l’émancipation des femmes. Il est donc du devoir de chaque citoyen de mettre en pratique cette sagesse afin de participer à la cohésion sociale.
Instruction et mémoire
Enfin, la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) préconise également l’établissement de rapport d’études et la mise en place de groupes de réflexion sur la gestion de l’enseignement de la langue arabe en France au sein des différentes structures et organismes. La langue arabe, revêtant un caractère sacré chez les musulmans, est vectrice de savoir, de culture, mais il est également le transmetteur d’un héritage religieux vieux de plus de 14 siècles maintenant. Ainsi, l’apprentissage correct de cette langue, la mise en place de normes d’apprentissage de cette langue qui correspondraient à celles mises en place par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL), facilitant ainsi l’enseignement et par conséquent sa compréhension pour les étudiants européens, sont donc des éléments à prendre en considération dans cette recherche d’excellence dans l’instruction.
En guise de clôture de cette présente Contribution, nous tenons tout d’abord à rappeler que « les musulmans sont chez eux en Europe, où ils sont présents depuis des siècles, comme l’indique l’Assemblée Parlementaire dans sa Recommandation 1162 (1991) sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne. L’islam, le judaïsme et le christianisme – les trois religions monothéistes – partagent les mêmes racines historiques et culturelles et reconnaissent les mêmes valeurs fondamentales, notamment l’importance primordiale de la vie et de la dignité humaines, la capacité et la liberté d’exprimer ses pensées, le respect d’autrui et de la propriété d’autrui, l’importance de l’aide sociale, ainsi que la prééminence de normes écrites, garanties par un jugement dernier. Ces valeurs ont trouvé un écho dans les philosophies européennes et ont été insérées dans la Convention européenne des droits de l’homme (« CEDH » ; STE n° 5). »
Ainsi, le « choc des civilisations » évoqué par Samuel Huntington et trop souvent mentionné dernièrement par les politiciens populistes, perd de son sens. Les attentats de janvier nous l’ont montré de façon très claire : la France unie face à l’horreur et une France de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les confessions, unie contre la barbarie, pour le vivre-ensemble et la tolérance. L’éminent savant musulman Sheikh AbdAllah bin Byah avait ainsi récemment déclaré « qu’il faut déclarer la guerre à la guerre pour avoir la paix ». Cette citation, reprise par le Président américain Barack Obama lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2014, prend tout son sens pour la Nation Française aujourd’hui.
Cette citation soulève ainsi la question de la représentation de ces groupuscules et de la représentation de Da’ech aux yeux des jeunes musulmans européens : représentation fantasmée d’un idéal de gouvernance où l’autorité serait aux mains des musulmans, ou désir de vengeance ; il est difficile de connaître les aspirations de chaque jeune parti rejoindre ces groupes ou souhaitant les rejoindre, mais une chose est certaine : nous nous devons de lutter, en tant que citoyen français, mais également en tant qu’humain, contre toute forme de violence. Et c’est dans cet esprit que la lettre ouverte adressée au chef Abu Bakr al Baghdadi a été rédigée et traduite dans des dizaines de langues.
Elle intervient également dans le contexte géopolitique très tendu qui englobe la région du Proche et du Moyen-Orient. A ce titre, nous tenons à apporter tout notre soutien aux Chrétiens d’Orient ainsi qu’à toutes les minorités persécutées, au sein de cette région comme à travers le monde. Nous tenons à rappeler à quel point la religion musulmane appelle à la tolérance et au Bien, y compris vis-à-vis de nos Frères en humanité ne partageant pas la même religion. La parole divine suivante ne peut qu’en être la meilleure preuve : « Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre, sauf ceux d’entre eux qui sont injustes. Et dites : « Nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons ». Les « gens du Livre », tels qu’ils sont nommés dans le Coran, ont droit à la protection de la part des Etats musulmans qui ont le devoir de veiller à ce qu’ils puissent pratiquer leur culte en toute liberté et en tant que citoyen à part entière. Et c’est cet appel au vivre-ensemble, ancré dans la tradition islamique, que nous devons véhiculer.
L’Islam, religion de paix, religion d’amour, religion de fraternité et de tolérance. L’Islam, religion du savoir et de l’action, religion de près de 1,5 milliards de personnes de par le monde, ne saurait en aucun cas être sali par une poignée de personnes utilisant le mot « paix » pour justifier un meurtre. D’utiliser le mot « paix » pour légitimer toute forme de violence. Les musulmans de France sont des acteurs à part entière du développement de la Nation et il importe, en cette période d’amalgames, de le rappeler et de le mettre en avant.
Nous nous adressons ainsi à vous, Monsieur le Président de la République, mais aussi à vous, Mesdames et Messieurs les Ministres, les représentants des partis politiques français, ainsi que les organismes musulmans de France, et souhaitons que notre appel soit entendu, que notre main tendue vers vous, soit serrée. Nous souhaitons nous relever ensemble, pour marcher ensemble et construire l’avenir de la France tous ensemble.
Vive la République. Vive la France.
Dr Mohamed BECHARI
Président de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF)
Secrétaire Général de la Conférence Islamique Européenne (EIC/CIE)
Vice-président de la Fondation des Œuvres de l’Islam de France (FOIF)
Recteur de l’Institut Avicenne des Sciences Humaines (IASH)




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