Retraite : La recette Jettou

La Cour des comptes met en garde contre une simple réforme paramétrique qui ne résoudrait pas la problématique de la pérennité de la plupart des régimes.
Driss Jettou s’attaque au dossier de la réforme des retraites. Dix ans après avoir lancé la commission nationale de réforme en tant que Premier ministre, le président de la Cour des comptes réalise avec ses équipes un rapport alors que la réforme n’a toujours pas eu lieu.
Il s’agit, en effet, d’une mission qui vient confirmer de nouveau les risques sur la pérennité du système. En gros, il ressort du document la non convergence des régimes, le faible taux de couverture des actifs (à peine 33% de la population active bénéficie d’une couverture retraite) et bien évidemment la non pérennité et le déséquilibre structurel de certains régimes. Les déficits financiers des régimes sont attendus dès 2014, notamment pour la CMR (Caisse marocaine des retraites).
Sur le plan des propositions et pistes de réformes, la Cour des comptes met en garde contre une simple réforme paramétrique, en conservant l’architecture actuelle, qui pourrait tout au plus allonger l’horizon de viabilité des régimes sans résoudre la problématique de la pérennité de la plupart des régimes. Les équipes de Driss Jettou recommandent plutôt une réforme progressive à travers une première phase axée sur la réforme paramétrique qui devra préparer le terrain devant une deuxième phase basée sur une refonte du système entier. S’agissant de la première phase, la Cour des comptes jette un pavé dans la mare en demandant de relever l’âge de la retraite à 65 ans pour les affiliés de la CMR et du RCAR.
Une proposition qui bien qu’elle soit inévitable, ne sera pas du tout facile à mettre en place vu la position des syndicats et fonctionnaires eux-mêmes, sans parler du coût politique qui devra être assumé par le gouvernement. Pour les affiliés de la CNSS, la Cour ne voit pas d’inconvénient à maintenir l’âge de départ à la retraite à 60 ans, tout en laissant la possibilité à ceux qui le souhaiteraient de prolonger leur activité jusqu’à 65 ans. En ce qui concerne le calcul de la pension, le rapport recommande d’utiliser progressivement la moyenne des salaires des 10 à 15 dernières années au lieu du dernier salaire d’activité pour les affiliés de la CMR.
Pour le RCAR, la Cour des comptes propose de revoir à la baisse le taux actuel de revalorisation des pensions à un niveau des 2/3 (66%) de l’évolution du salaire moyen du régime. Pour les affiliés de la CNSS, il a été recommandé d’augmenter progressivement le taux de cotisation de 11,89% actuellement à 14% sur une période de 5 ans. La deuxième phase de la réforme, selon les scénarios envisagés par la Cour, devra mettre en place deux pôles de retraite (public et privé) qui consisteront essentiellement à fusionner les régimes du secteur public.
La dernière étape de cette phase devra déboucher sur la création d’un régime de base unique avec des régimes complémentaires qui seront obligatoires, dans un premier lieu, au secteur public avant d’être progressivement généralisés. Le rapport propose des régimes facultatifs dont les cotisations seront supportées exclusivement par les affiliés. A noter enfin que la Cour recommande la création d’un organe indépendant de veille et de suivi du système. Cet organe aura pour mission notamment le suivi permanent de la situation du système de retraite et l’accompagnement de la mise en œuvre de la réforme.
RCAR : Sur les pas de la CMR
Le principal facteur du déséquilibre du RCAR réside selon la Cour des comptes dans le niveau de revalorisation des pensions qui est indexé sur l’évolution du salaire moyen du régime. «A l’horizon 2060, les projections montrent que les indicateurs démographiques du régime devraient connaître une évolution semblable au régime des pensions civiles de la CMR. Le rapport démographique qui est actuellement de 3 actifs pour un retraité, devrait se situer à 0,8 à partir de 2045», notent les auteurs du rapport. Les propositions de la Cour, à savoir l’élévation de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans sur un horizon de 10 ans et la révision à la baisse du taux actuel de revalorisation des pensions à un niveau des 2/3, sont de nature à absorber les engagements non couverts du régime et de prolonger son horizon de viabilité au-delà de 2060.
CNSS : Sous-tarification des droits
Pour la Cour des comptes, la fragilité de la CNSS provient de la sous-tarification des droits pendant les quinze premières années d’activité (soit 3.240 jours) où chaque période de 216 jours de cotisation est équivalente à une annuité d’environ 3,33%. Cette situation est, en outre, de nature à encourager la sous-déclaration, voire la non déclaration au-delà de cette période. «Les projections actuarielles font ressortir que le solde technique et financier du régime serait négatif à partir de 2021 et que les réserves devraient être totalement épuisées en 2030. A fin 2011, la dette implicite non couverte du régime atteint un total de 197 milliards DH», notent les experts de la Cour. Ces derniers proposent notamment de relever le plafond des droits à 75% au lieu de 70% actuellement afin d’offrir la possibilité aux salariés désireux de poursuivre leur activité au-delà de 60 ans et d’augmenter leurs droits. Ils recommandent, en outre, d’augmenter le nombre de jours nécessaires pour pouvoir bénéficier de 50% des droits et devrait passer à 4.320 jours au lieu des 3.240 jours actuellement. Cette augmentation sera progressive et étalée sur une période de 10 ans. A l’horizon 2060, ces mesures auront pour effet combiné d’améliorer l’horizon de viabilité du régime d’au moins 15 années et de réduire la dette non couverte de plus 50%.
CIMR : Le bon élève de la classe
Les projections actuarielles sont sans équivoque pour la CIMR. Contrairement aux autres régimes, le régime géré par la CIMR ne connaîtra pas d’épuisement de réserves durant la période de projection (2060), malgré l’apparition d’un déficit technique entre 2033 et 2050. Pour la Cour des comptes, cette situation confortable dans laquelle se trouve la Caisse a été rendue possible grâce aux réformes entreprises en 2003.
Ainsi, le régime a pu remédier à la sous tarification qu’il connaissait et a amélioré ses taux de préfinancement et de couverture. «Toutefois, la faiblesse majeure de ce régime réside dans son mode de fonctionnement par répartition alors qu’il a un caractère facultatif. Cela pose le double défi de sa pérennité qui est tributaire de nouvelles adhésions et de l’application stricte et continue de la juste tarification», reconnaissent les auteurs du rapport de la Cour des comptes.
CMR : «Générosité excessive»
C’est connu. À partir de 2014, le solde technique de la CMR (différence entre les cotisations et les prestations servies) va s’inscrire dans un trend baissier irréversible. Les réserves vont décroître pour devenir négatives à partir de 2021. Sa dette non couverte accumulée à l’horizon 2060 est estimée à fin 2011, à 583 milliards DH.
Selon la Cour des comptes, les principaux facteurs du déséquilibre de ce régime seraient notamment une générosité excessive. Selon le rapport de la Cour, le régime offre pour chaque année de cotisation une annuité de 2,5%, soit un taux de remplacement qui peut atteindre 100% du dernier salaire. Cela constitue l’un des principaux facteurs d’aggravation du déséquilibre du régime. De même, la pension de retraite est liquidée sur la base du dernier salaire et non d’un salaire moyen de la carrière ou d’une partie de la carrière, ce qui amène à servir des pensions élevées et sans corrélation avec le niveau des cotisations consenties.
«Les effets de ces deux facteurs intrinsèques au régime, qui s’éloignent complètement de la pratique internationale, sont fortement amplifiés par l’essoufflement du moteur démographique. Le rapport démographique est ainsi passé de 12 actifs pour un retraité en 1986, à 6 en 2001, 3 en 2012 et devrait atteindre 1 dès 2024, date à partir de laquelle le régime comptera plus de retraités que d’affiliés cotisants», explique-t-on à la Cour des comptes.
Parmi les propositions du rapport pour inverser la tendance, on retrouve notamment la baisse du taux d’annuité qui devra passer à 2% au lieu de 2,5% actuellement ainsi qu’un taux de cotisation de 30% (24% pour le régime de base en répartition au lieu de 20% actuellement et 6% pour un régime additionnel en capitalisation répartis à parts égales entre l’employeur et l’employé).
Selon les équipes de Jettou, l’effet combiné des réformes proposées permettra d’augmenter l’horizon de viabilité du régime à 2028 et réduire la dette implicite de près de 60%.
aujourdhui Le Maroc




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