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Qui limite la liberté d’expression ?

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Qui limite la liberté d’expression ?
Par BELHALOUMI Abdelrhani
Belhaloumi.a@skynet.be
La liberté d’expression est un droit compris dans l’article 10 de la Convention européenne et  dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, avec des nuances énoncées aux articles 4 et 11. Un décret de Napoléon rétablit officiellement la censure * en 1810, tandis que les ultra-royalistes feront passer des lois régissant la liberté de la presse sous la Restauration (1815-1830). La censure perdurera tout au long du XIXe siècle, jusqu’aux lois sur la liberté de la presse passées en 1880-1881 sous la Troisième République. Elle sera rétablie pendant la Première Guerre mondiale, menant entre autres à la création du Canard enchaîné en 1915, qui utilise le ton satirique pour échapper aux censeurs. La loi de 1955 sur l’état d’urgence, votée  France pendant la guerre d’Algérie, encore en vigueur aujourd’hui, permet la censure en autorisant le ministère de l’Intérieur et les préfets à prendre des mesures adéquates. Et en général, aucun des 196 pays membres des Nations unies n’échappe à la censure. En France, après 1945, la guerre froide (interdictions de films soviétiques) et surtout les guerres de décolonisation motivent la plupart des interdictions. Les décisions prises au niveau national dans les années 1960 (« La religieuse ») relèvent en apparence de la censure morale, mais sont politiques. Le pouvoir de censure des maires s’appuie sur une loi de 1884 sur les troubles à l’ordre public.. Les cas se multiplient dans les années 1930 (« Justin de Marseille », « Le rosier de madame Husson ») et plus encore à la veille de la guerre. Actuellement,  des hauts fonctionnaires, sont soumis à l’obligation de réserve (magistrats, membres du Conseil d’Etat…). La jurisprudence participe à la fixation des limites : Dame Kowalewski, 1955, CE ; en l’espèce, un agent de la poste en France participait à une manifestation interdite par le Gouvernement.  Ainsi, la presse est confrontée aux délits de provocation à la haine et de discrimination raciale.  En France, un texte punit également « l’offense au Président de la République ».   En 2008, la caricature de Charlie Hebdo présentant  Jean Sarkozy  (fils de l’ex-président) converti au judaïsme, a été interdite  et Siné  (le dessinateur) a été licencié.
Le livre de l’historien, Paul-Éric Blanrue  sur Nicolas Sarkozy en 2011 a été interdit.  L’affaire du Grand secret où le médecin de l’ancien président de la République François Mitterrand s’était vu interdire la diffusion de son livre pour violation du secret médical en est une belle illustration (Paris 23 mai 1997 et Civ. 1ère 14 décembre 1999, JCPG 2000,II,10241, concl. C. Petit).
Aux États-Unis, une nouvelle loi anti paparazzi est entrée en vigueur en Californie depuis le 1er janvier 2010. Elle a été réclamée par l’actrice Jennifer Aniston et soutenue par de nombreuses stars.

On censure  pour des raisons sécuritaires (exemple : répression de l’incitation à commettre des crimes ou délits ; Patriot Act aux États-Unis) pour protéger le droit des individus : répression de l’insulte publique et de la diffamation, lutte contre les discriminations raciales et le négationnisme (loi Gayssot de 1990 en France, notamment le nouvel article 24bis de la loi sur la liberté de la presse), protection de l’enfance, défense de droits de propriété intellectuelle (soit droit d’auteur, soit copyright), etc. Le concept de « propos discriminatoires » introduit par la loi Halde de décembre 2004 est diversement apprécié.
En Suisse, l’article 261 bis du code pénal réprime la discrimination raciale et interdit notamment de nier les génocides ou autres crimes contre l’humanité.
Et l’Union européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités  (art.2 du Traité de l’Union .valeurs de l’Union).

« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun » selon la Cour européenne des droits de l’homme (Handyside contre Royaume-Uni, 1976). Cette même  Cour, et non pas les musulmans, n’a-t-elle pas sacrifié la liberté d’expression pour protéger  la cohésion sociale, les sensibilités religieuses  et éviter tout embrasement  et  en  créant malheureusement  ce qu’on appelle un ‘chilling effect’ , par l’Arrêt Giniewski ? (c. France, 31 janv.2006, de la Cour eur.dr. h).
M. Giniewski s’est tourné vers la Cour européenne des droits de l’homme, après sa condamnation en France pour avoir évoqué dans la presse les liens entre la doctrine catholique et l’antisémitisme.
L’arrêt de la Cour Européenne conclut à la violation de la liberté d’expression, protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Mais, le groupe proche de l’extrême droite française qui le poursuivait,  a bien remporté  une victoire judiciaire en condamnant la France  dans l’affaire Giniewski ; contre des propos critiques à  l’égard de l’église catholique. Puis, en 1994, La Cour européenne, dans son arrêt  Otto-Preminger-Institut  avait admis la censure du film « Le Concile de l’Amour’ de Werner Schroeter  jugé offensant pour la religion catholique, suite à la plainte du diocèse de la ville d’Innsbruck en Autriche. C’est un film qui mêle une représentation de la pièce éponyme d’Oskar Panizza et des scènes décrivant le procès pour blasphème dirigé en 1985 contre ce dernier. De la même manière,  la Cour considéra, dans l’arrêt Wingrove en 1996, que l’interdiction du film « Visions of Ecstasy », dans lequel  Sainte Thérèse était dépeinte comme en proie à une extase sexuelle que religieuse, était une mesure que les autorités nationales pouvaient prendre pour protéger les sentiments religieux de la population chrétienne.

N’importe quelle association musulmane aurait pu obtenir, sous un système tel que celui mis en place par les juridictions françaises dans l’affaire Giniewski, la condamnation des dessinateurs des caricatures.
Les musulmans n’ont demandé ni la censure ni l’interdiction des caricatures, ni du film Innocence, ni du livre de Salman Rushdie  ni des milliers de vidéos appelant ouvertement à la haine des musulmans.
Dans l’édition du 4 février 2005 du journal français Le Monde il est rappelé le rôle du Jyllands-Posten, ainsi que d’autres journaux danois, dans « le durcissement du climat dans le pays, autour des immigrés musulmans, en adoptant un ton très carré ». Lars Refn, l’un des dessinateurs, déclare « Selon moi, le journal (Jyllands-Posten) voulait dès le départ uniquement provoquer. »
Quant au meilleur ami de Rushdie, l’écrivain (et marxiste) John Berger ,  il avait condamné le livre ‘Versets sataniques »  sorti en 1989.

Et dans son  rapport de ami 2012, la célèbre ONG s’inquiète de la multiplication des discriminations envers les musulmans en Europe. Et dénonce l’exploitation politique de certains préjugés. En France, elle pointe aussi une mauvaise interprétation de la loi sur la laïcité.
Et déjà en mai 2008, le Conseil de l’Europe avait lancé le livre blanc du vivre ensemble : « …Le dialogue interculturel a un rôle important à jouer à cet égard. Il nous sert,
d’une part, à prévenir les clivages ethniques, religieux, linguistiques et culturels.
Il nous permet, d’autre part, d’avancer ensemble et de reconnaître nos
différentes identités de manière constructive et démocratique, sur la base de
valeurs universelles partagées… »

C’est pourquoi, face aux nouvelles caricatures de Mahomet  ou le film   Innocence présenté sur YOUTUBE le 1er juillet 2012  par des boutefeux extrémistes,  devraient être ignorés.  Tant le réalisateur  de ce film Alan Roberts, qui fait des films pornos ou  certains freaks  de l’extrême droite chrétienne comme Steve Klein ou Terry Jones,  ils sont devenus des héros parce qu’il ‘y avait des manifestations de quelques petits groupes dans certains pays musulmans. Les auteurs du film ont d’ailleurs été condamnés par les instances coptes et évangéliques.
Certains « propriétaires » de la liberté d’expression, qui n’hésitent pas à la limiter  eux-mêmes par des procès et autres moyens, deviennent  des donneurs de leçon en matière de liberté sur des chaînes interdites aux voix qui rassemblent .   Ces dernières années, on assiste à  une certaine revanche des milieux néo-nazis et leurs alliés contre les musulmans. Ces derniers ont  en effet participé activement à la défaite de Hitler, du nazisme et du fascisme.  Bref, ils ont contribué  à la sauvegarde de la liberté et la liberté d’expression en Europe. Et  en 2008, un membre connu de la direction du parti néonazi allemand NPD et membre de la fondation « Kontinent Europa » avait rappelé , lors d’un meeting interdit, le rôle primordial joué par les musulmans dans la défaite des Nazis pendant la deuxième guerre mondiale. Et Patrick Brinkmann, patron des néonazis suédois, quand il avait acquis un centre pour Nazis à Berlin  en 2008 pour presque 3.4 millions d’euros avait rappelé  l’objet de sa fondation :
Combattre l’immigration et surtout les musulmans, car ils sont des ennemis jurés des Nazis depuis 1939
Combattre les Américains qui veulent la mort de l’identité européenne
Avec le succès d’extrémistes dans certains pays européens, le Parlement européen a fait part en février 2012 de ses graves inquiétudes quant à la situation hongroise en ce qui concerne l’exercice de la démocratie
Mais, les musulmans continueront à vivre leur citoyenneté dans le calme,  le dialogue et l’ouverture d’esprit et le respect de l’autre, comme d’habitude.

*Quelques exemples d’interdiction ou de censure :
de la Dernière Tentation du Christ , de Martin Scorsese en 1988, à Golgotha Picnic, de Rodrigo Garcia en 2011, ou l’interdiction de l’affiche   de la Cène des publicistes Marithé et François Girbaud en 2005 :
– En août 2012,  L’affiche d’une exposition consacrée à Picasso, représentant un nu peint par l’artiste, a été interdite à ‘Edimbourg  en Irlande.
– En septembre 2012 La justice française a condamné  2012 Mondadori, l’éditeur du magazine Closer, à une interdiction de diffuser ou céder les photos de la princesse Kate Middleton seins nus et l’oblige à restituer sous les 24 heures tous les supports en sa possession à la famille princière. Ces deux mesures sont assorties d’une sanction de 10.000 euros par jour de retard dans leur exécution.

1979 – La Vie de Brian :   ce film  réussit à s’attirer les foudres des dignitaires catholiques et sera interdit de sortie  en Irlande et Italie notamment.
1988 – La Dernière tentation du Christ
Un peu moins de dix ans après les Monty Python, c’est Martin Scorsese qui subit les violentes critiques des intégristes catholiques, choqués par le film du réalisateur américain qui décrit un Christ marié et père de famille. En France, des attentats touchent certains cinémas projetant le film dont l’un à Saint-Michel à Paris, qui fait quatorze blessés.
1996 – Larry Flint
Douze ans après l’interdiction en France de l’affiche d’Ave Maria de Jacques Richard (une jeune femme aux seins nus est attachée sur une croix), c’est celle du film de Milos Forman qui subit le même sort, partout dans le monde. Ici, le pornographe américain, interprété par Woody Harrelson, fait le signe de croix, posé sur l’entrejambe d’une femme.
2002 – Amen
Ce n’est pas tant le contenu du film de Costa-Gavras, adapté d’une pièce qui avait déjà fait scandale en Allemagne et en Italie dans les années 1960, que l’affiche qui provoque le courroux de l’Eglise. Celle-ci, signée du sulfureux photographe Olivieiro Toscani, mêle la croix catholique et la croix gammée avec le titre «Amen» au milieu..
2011 – Piss Christ
Plongé dans de l’urine et du sang de vache, le crucifix photographié par l’Américain Andres Serrano, intitulé Piss Christ, fait scandale à chacune de ses exhibitions depuis 1987. Dernier saccage en date: la photo est détruite à coups de marteau et de pioche au musée d’art contemporain d’Avignon.
2011 – Benetton fait s’embrasser le pape et un imam
Reine de la provocation, la marque italienne réalise, dans le cadre de sa campagne «UNHATE» («non-haine»), un photomontage montrant Benoît XVI échangeant un baiser sur la bouche avec Mohamed Ahmed al-Tayeb, imam de la mosquée d’Al-Azhar au Caire. Sous la pression du Vatican, Benetton a ensuite accepté de retirer le photomontage et même de faire un don à l’Eglise catholique.
2011 – Golgotha Picnic
Programmée à Toulouse et Paris à la fin de l’année 2011, la pièce de l’Argentin Rodrigo Garcia provoque des manifestations de catholiques quasiment à chaque représentation. En cause? Une lecture provocante des Evangiles, une scène de crucifixion trash et une peinture du Christ en «putain de diable».
Les Laïques tels que Staline ou Caecescu n’ont pas encore été caricaturés jusqu’à présent.

 

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2 Comments

  1. SANHAJI - Luxembourg
    28/09/2012 at 21:46

    Une analyse claire et une objectivité complète.

  2. SAADI - BELGIQUE
    30/09/2012 at 11:46

    Bravo Si Belhaloumi

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