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Journal : la 2ème lecture / Colonel Mohamed Mellouki

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Journal : la 2ème lecture

 

POURQUOI CE JOURNAL ?

 

La majorité de la population marocaine actuelle est née sous le règne de Hassan II,  a été marquée par sa personnalité, subjuguée par sa culture et son intelligence et tétanisée par son autoritarisme. Beaucoup mieux formée intellectuellement en général, par rapport à la génération ante indépendance, elle reste, néanmoins, peu cultivée politiquement parce que le Pouvoir s’est employé sans cesse à la dévier de l’engagement politique. En contrepartie, elle a été abreuvée de culte de la personnalité, et a fini par n’envisager de système monarchique que selon le modèle marocain. Les monarchies européennes paraissaient, dès lors, mentalement inaccessibles à la nature marocaine, comme s’il s’agissait d’une affaire de chromosomes, ou comme par caprice de la fatalité qui les a situées spécifiquement au-delà de la Méditerranée, ou tout simplement qu’elles s’étaient dégénérées. Il y a peu de temps, encore, une bonne proportion de Marocains considérait qu’elle devait son existence citoyenne à la monarchie ; réclamer ses droits revenait à entrer en dissidence avec cette dernière,  d’autant que les républiques arabes, merdiques, pour reprendre Mly Hicham, s’étaient, elles aussi, royalisées dans leur mentalité et leur mode de fonctionnement. Dès lors, la différence entre les deux régimes se réduisait, en fait, à une question de sémantique ; puisque, petite exception pour le Liban englué, lui, dans ses sempiternelles luttes ethno confessionnelles, l’ensemble du monde arabe ployait sous  la même férule militaro sécuritaire.

La tendance qui  prévalait, du fait, pendant les quatre décennies de l’ancien règne, incitait à raser les murs et éviter de s’entêter à vouloir changer l’inchangeable, juste pour le plaisir de se retrouver entre quatre murs d’un pénitencier. Surtout que le régime n’avait pas manqué, en compensation, d’ouvrir grandement les portes et les vannes d’enrichissement aux malins et hardis qui savaient comment l’aborder intelligemment et l’instrumentaliser à leur profit. Le pays partait en lambeaux et s’enlisait de plus en plus dans une politique aberrante, impopulaire, et une gouvernance d’un anachronisme stupéfiant que le Pouvoir s’entêtait à refuser d’admettre, jusqu’en 1994 quand le Fonds monétaire international s’en mêla et imposa son diktat, au moyen d’une panoplie de mesures à prendre d’urgence, qui, au-delà de l’aspect purement économico financier frisant la banqueroute, signifiaient une condamnation explicite du système politique dans sa globalité. La gravité de la situation obligea Hassan II à intervenir personnellement ; mais la surprise avait de quoi clouer le bec à plus d’un. Maître incontestable et incontesté du pays, il reconnaît que le pays risquait la crise cardiaque, tout en sortant son épingle du jeu et en rejetant la responsabilité sur les autres sphères, connues, dans le pays et en dehors, pour ne renfermer que des pions ‘formatés’ dans la soumission et la servilité. Beaucoup ont cru, néanmoins, que la gravité de la conjoncture allait un tant soi peu inciter à une prise de conscience nationale qui contribuerait à l’élaboration d’une stratégie de redressement général. Il n’en fut rien.

La maladie de Hassan II vint même accentuer le blocage de la gouvernance, du fait de la conception absolutiste du pouvoir. Jamais, la dépravation dans toutes ses formes n’avait atteint une telle étendue. Le Pouvoir agonisant, ses suppôts et lobbys, en véritables prédateurs sans l’once d’une quelconque fibre patriotique, s’acharnèrent à dépecer le pays sans la moindre vergogne. L’Etat ressemblait institutionnellement à un bateau ivre, voguant à la dérive, sauf au plan sécuritaire où le zèle fut toujours de rigueur. Le nouveau souverain suscita un espoir de démocratisation d’une ampleur dépassant toute logique. On avait, prématurément, trop prêté au Roi, sûrement plus que ne pouvait le lui permettre la sclérose du système à ce moment. Le renvoi de la primature de Abderrahmane Youssoufi et son remplacement par Driss Jettou, qui a, du coup, fait passer l’Alternance à la trappe historique, tempéra un peu l’ardeur. Mais quand le Roi annonça sans ambages l’avènement de la Monarchie exécutive, qui n’était autre, d’ailleurs, que ce qu’elle était auparavant, la mesure fut mal ressentie. Beaucoup ont mal encaissé ce retour à un système de gouvernance qui avait, largement, fait la preuve de son échec. Ce qui m’amena à dire : ‘ nous avons changé de Roi, mais nous n’avons pas changé d’Etat’ ; raison qui me pressa, juste après la publication, en 2001, de mon premier roman ‘ Les Amarres du destin’, de surseoir à la rédaction simultanée de deux autres œuvres du genre que je venais d’enclencher, et de passer à l’élaboration du Manifeste politique. Intitulé: ‘Maroc, de la Refondation de l’Etat’, il couvre la période allant du fameux dahir berbère, de 1930, considéré pratiquement par tous les historiens et analystes politiques comme  étant la date-charnière dans l’édification du Maroc moderne, jusqu’en 2008 où le pays avait replongé dans un marasme politique, économique, social et culturel pratiquement sans précédent, d’autant que les Législatives de 2007 furent, à plus d’un titre, désastreuses et entraînèrent une sorte de casus belli dans la relation mentale entre l’Etat et la Nation, que l’un et l’autre tenaient, jusqu’à cette date, à privilégier au dessus des contingences politico politiciennes ambiantes . Une impression de fatalité de désespoir reprit ses droits. L’enjeu politique se déroulait dans une atmosphère de mort clinique.

Vidé de sa substance, à force de sourdes intrigues de l’Etat, et singulièrement parasité par des transhumances partisanes, il tournait dans le vide et n’intéressait, réellement, plus que ceux habitués à des rôles de comparses dans une inlassable tentative de vendre aux crédules l’illusion d’une démocratie dont, en fait, le système n’avait érigé que la carcasse qu’il se plaisait, de temps à autre, à rafistoler pour donner l’illusion de progresser en la matière. De mon côté, j’ai préféré prendre du recul, et revenir à mes romans, en attendant de trouver une explication à cette phase profondément délétère pour le pays, qui ne semblait pas, néanmoins, inquiéter le nouveau régime, lequel, s’appuyant sur cette même majorité façonnée, psychologiquement, presque psychiquement, par les trente-huit années de règne de Hassan II , avait consolidé ses assises et ne se souciait nullement d’un éventuel soubresaut populaire. Même les secousses tunisienne et égyptienne étaient perçues, au départ, comme spécifiquement localisées à une région et à des régimes déterminés, et dans l’esprit de nos officiels et leurs supports, sans probabilité de répercussions sérieuses intra-muros ; d’autant que l’Algérie ne bougeait pas outre mesure, comme si dans une situation pareille la contagion devrait tenir compte des frontières. Par contre le soulèvement libyen sonna le branle-bas dans les esprits. On ne tint plus, alors, compte ni de la différence de régimes, ni de l’Algérie comme ‘tampon’,  ni de la frontière qui donnait, probablement,  l’impression que nous vivions en vase clos, hors d’atteinte. Trois jours plus tard, le Maroc inaugurait, lui aussi, son mouvement contestataire connu, désormais, sous la date de son déclenchement, le 20 Février 2011 (M20).

Traduisant véritablement le ras-le-bol ambiant depuis longtemps, il menaçait, en quelques semaines seulement, d’empoisonner la vie publique et de gripper l’appareil institutionnel puisque de nombreuses formations politiques et syndicales, des associations diverses, des élus participaient à ses manifestations ou se déclaraient solidaires de ses revendications. Au moment où la plupart des Marocains, habitués aux réactions de l’Etat en pareille circonstance, s’attendaient à des mesures répressives, le Roi, diagnostiquant la menace à distance, prend de court tout le monde et annonce, le 9 mars, la révision de la 5ème Constitution en vigueur depuis 1996.  Personnellement, je pris part dès le 15 mars, soit six jours après le discours royal, au débat ouvert par l’occasion et lançai simultanément deux textes. Dans l’un, de deux pages, sur Facebook, où je m’interrogeais sur la fiabilité de la CCRC, présidée par le Pr Manouni : « Aura-t-elle, me demandai-je, suffisamment d’audace et d’honnêteté morale pour s’affranchir de la chape psychologique qui tétanise les esprits dès qu’il s’agit de ‘la chose royale’ ? Saura-t-elle faire preuve de perspicacité nécessaire pour concilier ‘ cette chose’ avec la revendication nationale dans toute sa dimension ?» Cette ‘chose’, connue depuis des lustres, a toujours, en réalité, constitué la pierre d’achoppement dans la gouvernance marocaine ; mais les politiques pour des raisons évidentes, ont toujours évité d’en parler explicitement. Et le M20 a lui aussi lové autour, dans ses banderoles où il stigmatisait l’absolutisme royal sans oser le nommer. Je la posai, alors, crûment : « Le Roi devra-t-il continuer à régner et gouverner, ou régner sans gouverner, ou régner et gouverner autrement ?» L’autre texte est le Manifeste précédemment cité, de plus d’une centaine de pages, que j’envisageais de publier sous forme de livre ; mais que la conjoncture, me prenant au dépourvu, m’incita à le lancer sur Google ( voir site correspondant : http://colonelmellouki-manifestepolitique.blogspot.com/ ).

Convaincu que le pays souffrait d’un dysfonctionnement de l’Etat, j’ai élaboré ce texte autour d’une révision en profondeur de l’échiquier institutionnel à travers, d’une part, le réajustement du pouvoir régalien qui devra être identifié comme quatrième dimension institutionnelle , et, d’autre part, des innovations tant au plan des trois autres institutions qu’au niveau régional, dans le contexte d’une assiette constitutionnelle inédite qui puisse assurer une pondération des pouvoirs, seule alternative pour renforcer, à la base, la souveraineté populaire et générer un nouvel Ordre moral imposant la prééminence de l’éthique, le règne de l’intégrité, du sens du devoir et de conscience dans la responsabilité et la gestion de la chose publique. Le 2 mai suivant, je franchis un pas de plus dans mon engagement politique et décidai de prendre date dans la Révision constitutionnelle. Je remis officiellement à la commission ad hoc, mon Mémorandum, de 17 pages, où, d’une part, je m’inspirais de la Refondation de l’Etat exprimée dans mon Manifeste, et, d’autre part, m’appuyais  sur la nouvelle conjoncture créée par ‘ le Printemps arabe’. Je le publiai, lui aussi, aussitôt après, sur Google (voir site correspondant : (http://memorandumrc.blogspot.com/).

J’étais persuadé que la nouvelle Constitution allait insuffler au pays une réelle dynamique démocratique et le conduire sur une nouvelle voie. Mais bien que six de mes propositions se retrouvent, dans leur esprit, dans cette charte, j’ai voté contre cette dernière parce que la lettre n’y était pas. J’en donnerai les raisons dans un article qui suivra, à cet effet, ultérieurement. Comme conséquence aussi, j’ai décidé de tenir ce journal, en guise de Mémoires, pour renouer avec le Manifeste, et y consigner, accompagner et analyser l’évolution du pays, et au-delà éventuellement, et la rendre accessible, à temps, à la plus large frange possible de l’opinion publique, plutôt que de ressentir, un jour, le besoin de procéder, comme pour le Manifeste, par rétrospective qui m’avait nécessité beaucoup de temps de recherches et de réflexions.

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