Cérémonie de dédicace à l’institut français ‘’Le lait était noir’’ Biographie de Mohammed Benjeddi

tayeb zaid

Le titre de la biographie de Mohamed Benjeddi écrite par Amira Leziar et traduite de l’arabe par Ouahib Mortada ‘’Le lait était noir’’ me rappelle ce célèbre vers de Paul Eluard ‘’la terre est bleue comme une orange’’. Le pur et le maculé, la santé et la maladie, un esprit éclairé dans un corps infirme, pour Benjeddi, la couleur et la forme, la norme et l’écart pour Eluard. Chez l’un comme chez l’autre, c’est la couleur qui fait récit. Le lecteur que je suis et ceux qui auraient à lire l’ouvrage dans sa version française, se demanderont sûrement où est le texte de base dans sa version arabe et quel en est le titre premier, pourquoi M.Benjeddi, qui était professeur d’arabe n’a pas écrit lui-même sa propre vie sous la forme d’une autobiographie. A moins que Amira Leziar ait écrit la biographie de Benjeddi sous la dictée de celui-ci. Si c’est ainsi, quelles en ont été les raisons?
M.Benjeddi, le narré dans la biographie de ‘’Le lait était noir’’, aurait pu être le narrant de l’autobiographie du même titre. Le passage de ‘’il’’ de la biographie à ‘’je’’ d’une autobiographie, nécessiterait quelques petites modifications d’ordre syntaxique. Et c’est tout !!! On en a déjà les prémisses à la page 39 où le narrateur omniscient donne la parole à la personne narrée : ‘’JE n’aime pas trop ME rappeler ces durs moments. MA maladresse, MA peur d’approcher les filles……’’ ou encore quelques pages plus loin : ‘’ 1985 a été l’année où J’ai assisté aux premiers enterrements de Ma vie. Ma tante Fatna est morte, ainsi que Mon frère….’’ Il aurait été possible de passer de IL narré à JE narrant avec un narrateur personnage, sans l’entremise d’un narrateur extra-diégétique, omniscient, à focalisation zéro. On pourrait aisément monter un exercice de transposition de ‘’IL’’ à ‘’JE’’ et le reste viendra tout seul avec quelques modifications d’ordre grammatical.
Le récit de l’histoire de la maladie du petit Mohammed survenue dès son jeune âge n’est pas racontée comme une histoire commune, Comme du ‘’déjà vu’’, où le narrant Amira Leziar prenait ses distances envers Mohammed le narré, mais vécue avec tout le deuil qu’elle a engendrée dans la famille : « Abdelkader se hâta d’ausculter son fils, qui, tout affaibli, se réveilla entre ses bras. Les membres gauches du petit ne répondaient pas » (p. 6), et il ajoute à la page 31 ‘’ Il tâta la bosse apparente sur la partie droite du dos de son fils. Une grande tristesse assombrit son visage… ». L’histoire est racontée dans ses plus petits détails comme si, de sa loge, le narré les soufflait au narrant de manière discrète.
Les germes du travail associatif et du penchant pour l’art dramatique, Benjeddi Mohammed les tient de son père Abdelkader, qui, grâce à lui, et sous son initiative, les parents d’élèves ont contribué à la construction d’une salle de classe pour leurs enfants en âge de scolarisation. Le climat d’un apprentissage et d’une scolarité réussie était favorable au petit Mohammed. M. Alexandre était là. C’était le père de son jeune voisin français Joseph, avec qui il jouait…’’On va jouer une pièce intitulée ‘’L’enfant boiteux’’ inspirée de l’auteur russe Maxime Gorki’’( est-il dit à la page 22).
Et l’enfant boiteux de Jerada joue l’enfant boiteux de Gorki. La personne physique de Jerada et la personne virtuelle de la pièce de théâtre font un, avec tout ce qu’ils ont de commun. Benjeddi l’enfant est bel et bien l’enfant de Gorki, sans contrefaçon. Tous deux partagent le même handicap. Benjeddi n’avait donc pas à se mettre dans la peau du personnage boiteux, il était l’enfant boiteux !!! Cela lui a évité l’effort de l’imitation, de ‘’faire comme’’…
Contrairement aux gueules noires, Abdelkader le père de Mohammed vivait à la manière des Français avec qui il partageait les habitudes (’’Dans un grand récipient, le plat était déjà servi. Chez ce père de famille, on mangeait à table comme chez les Français’’…P.30). Et comme eux il menait une vie d’aisance (‘’ C’était en 1967…Le père de famille venait de se faire livrer un poste de télévision en noir et blanc’’…P ;36)
Toujours dans la même perspective, seul un petit passage suivi d’un petit chapitre de deux pages qui évoquait la mort du père à cause de la silicose ‘’L’incurable silicose continuait à ronger ses poumons et l’affaiblissait inexorablement’’ (113.114) fait référence à la mine de Jerada et ses mineurs (‘’…Dans cette cité maudite, la poussière de la mine emplissait les poumons des ouvriers. Ils souffraient de maladie graves et surtout de la silicose…P.96’’). Ce qui crée un déséquilibre entre le titre ‘’Le lait était noir’’ qui semble à première vue référer à cet usage qui consistait à donner aux mineurs du lait pour les aider à neutraliser les effets toxiques du charbon est vite démentie par l’affirmation de la page 127 ‘’Il y avait du lait mélangé à des particules de goudron qui tombaient des grandes chaudières dans les salles où on faisait le remplissage des bouteilles de lait…’’.
L’horizon d’attente qu’annonce le titre, s’effondre à la page 127. Le lecteur doit se rattraper pour se corriger.
Mais puisqu’il est question de biographie, il est bien normal que la narration s’attarde sur le narré, ses problèmes de santé liés à son infirmité physique, son évolution socio-affective compromise et surmontée, ses succès professionnels et culturels. La pente était raide mais, mieux que Sisyphe, il a roulé sa pierre jusqu’au sommet de la colline.
M.Benjeddi est souvent en déplacements pour la promotion du théâtre, au Maroc et à l’étranger, malgré les innombrables écueils qui s’étaient mis en travers de son parcours et qu’il a surmontés avec le plus grand bonheur.
Et l’esprit prit le dessus sur la matière, l’intelligence sur la difformité, la lumière sur l’obscurité, le blanc sur le noir, le pérenne sur le périssable, l’homme sur son infirmité.
Institut Français, Oujda; mercredi 24 septembre 2025
Zaid Tayeb





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