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Docteur en médecine et docteur en littérature 

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Tayeb Zaid 


Je vois sur la première de couverture de certains livres écrits par des gens de chez nous, le nom de l’auteur précédé du diplôme universitaire ‘’docteur’’. Usage que je n’ai jamais rencontré chez aucun des auteurs français, ceux à qui j’ai lu, par exemple. Et je me demande intérieurement pour me consoler un peu si Genette, Barthes, Derrida, Sollers, Bachelard, Robe-Grillet, Sartre, de Beauvoir et bien d’autres grands écrivains, n’ont pas de doctorat comme ceux de chez nous qui affichent ce titre de manière voyante sur la couverture de leur livre, quand ils en ont, ou l’exhibent pendant les colloques, rencontres ou simples réunions, sur une misérable petite affiche qu’ils placent devant eux pour être sous les yeux des auditeurs. Il se pourrait que ces Français, dont j’ai cité les noms de manière arbitraire, car il y en a bien d’autres, soient de ‘’pauvres bougres’’ à qui les circonstances n’avaient pas été favorables ou que leurs universités ne délivraient pas de doctorat ou qu’ils ne pouvaient pas aller jusqu’à ce niveau du podium. Privilège que ceux de chez nous ont et ils l’expriment à leur manière. Il se pourrait aussi que les docteurs de chez nous le soient effectivement et ils le sont effectivement autrement ils n’associeraient pas ce prestigieux titre universitaire à leur nom de famille pour le faire briller des feux de cette étiquette. Le titre ‘’docteur’’ placé devant un nom de famille lui donne plus d’éclat qu’un nom orphelin sur la première de couverture d’un livre ou sur une table de réunion devant des micros. Ainsi donc Philippe Sollers et Gérard Genette auraient moins de considération que docteur Ali Karmoussi* et docteur Driss Lbaroud* . Cela va de soi et la chose est ainsi, jusqu’à preuve du contraire. Si ces illustres écrivains étrangers avaient un doctorat, ils l’auraient ajouté à leur nom pour faire plus d’impression. On aurait ainsi sur notre étagère : Figures III, docteur Gérard Genette, H, docteur Philippe Sollers, Les Gommes, docteur Alain Robbe-Grillet. Et comme on peut bien le constater, ce titre universitaire s’accorde mal avec ces noms étrangers alors qu’il colle comme une verrue sur la paupière d’une guenon des écrivains de petite plume ou des conférenciers de peu d’audience.

J’ai été une fois invité à assister à une rencontre littéraire. Comme j’aime la littérature et les hommes de lettres, j’ai répondu présent, moi qui aime rouler ma bosse en solitaire. Les hommes de lettes venus partager avec nous leurs connaissances et leur savoir étaient assis derrière une longue table et les invités leur faisaient face sur des chaises. C’était joli à voir et beau à raconter car la matière était riche et l’excitation grande. Une belle expérience à vivre et une riche matière à raconter ! Les hommes de lettres étaient alignés le long d’une table. Ils avaient un micro qu’ils se relayaient pour utiliser et devant chacun d’eux trônait en pyramide une feuille sur laquelle était écrit en gros caractères ‘’Docteur’’ suivi du nom de la personne à qui ce titre renvoyait. Les invités n’avaient rien devant eux, ni table, ni micro, ni titre universitaire. De deux choses l’une : ou bien il n’y avait pas de support pour l’y exposer, ou bien ils n’avaient pas ce prestigieux titre, ou bien les deux à la fois (et de trois !). J’étais assis un peu à l’écart à méditer sur la chose. Je me suis dit que je m’étais trompé de lieu, de date ou d’évènement. Tous ces hommes, en face de qui j’étais assis, étaient probablement des médecins et les autres, des sages-femmes et des infirmiers. Le mot docteur rimait dans ma tête avec médecin et médecine. Que faisais-je donc dans un univers qui n’était pas le mien ? Il n’était pas le mien pour deux raisons : la première est que je n’ai rien à partager avec les docteurs en médecine en dehors de ma maladie. La seconde est que je n’ai pas de doctorat en littérature pour être présent dans un lieu littéraire. J’étais un étranger, un intrus mais je devais attendre la suite des évènements qui me révélaient que ces gens en face de qui j’étais assis étaient effectivement des docteurs en littérature et qu’ils devaient l’afficher de manière ostentatoire dans les réunions et rencontres pour des raisons qui leur étaient propres. Un sentiment de gêne s’était insinué en moi, froid, laid, abject.

Et jusqu’à l’heure où j’écris ces mots, je ressens un vif sentiment de rejet toutes les fois que je lis sur la couverture d’un livre ou sur une feuille de forme pyramidale le nom de l’auteur ou du conférencier précédé du mot ‘’docteur’’, alors que j’éprouve un sentiment de respect quand je vois épinglé sur la poitrine d’un docteur en médecine le mot ‘’docteur’’ suivi de son nom ou de sa spécialité.

*Toute ressemblance avec des faits ou personnes réels ne serait que pure et fortuite coïncidence.

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