Le parlementaire (16

-16- Son téléphone sonna encore une autre fois. Rien qu’à la musique émise, il sut que c’était un membre de sa famille. Qu’allait-il leur dire ? Comment pouvait-il les convaincre que ce qui lui était arrivé était inexplicable ? Sa femme aurait certainement amplifié le problème à cause de sa jalousie excessive. Que pouvait-il dire par téléphone ?.. A ce moment un klaxon fort le fit sursauter et l’obligea à redresser son volant pour mieux se ranger sur son côté droit. Il s’était beaucoup engagé sur le côté gauche, sans se rendre compte. Le chauffeur qui l’avait doublé exprimait sa nervosité par une gesticulation de sa main gauche. Son hésitation avait duré un bon moment avant qu’il décidât de répondre. – Allô !…Ah ! c’est toi ma fille !.. ça va ! Non…Non ça va bien, ne t’inquiète pas ! Je sais ma fille ! C’est pas grave ! ça va passer… Et ta mère elle va bien ? Elle a su quoi ?… Ah ! Oui c’est vrai j’ai oublié ma mallette… Le livret ?… Mais quel livret ?…Ah ! Oui, c’est vrai !!…Mais je l’ai oublié ! On me l’a vendu lors de la séance d’ouverture… Oui… Oui…Lis-moi l’avertissement s’il te plaît ! Sa fille lui lut doucement l’avertissement écrit en italique et en rouge : – Tout parlementaire sollicité par son image pour qu’il lui fasse la bise, au moment où il se regarde dans une glace, doit absolument décliner l’invite ; sans quoi le risque qu’il perde son image pour toujours, est grand ! Signé : Tirésias président du parlement. Tu sais maintenant au moins la cause ! Il reste à chercher le remède, papa… On t’aime, tu sais ! Alors tu reviens ?… D’accord ! Au revoir papa… Sois sans crainte ! Je n’oublierai pas ! Je leur dirai !.. Tirésias, était le devin du parlement. Il avait acquis ce titre par ancienneté. En effet il juchait en haut de son perchoir depuis la création de cette chambre, juste après l’indépendance du pays. Il connaissait toutes les ficelles de la politique du pays et avait un pouvoir exceptionnel de prophétie. Même le ministère de l’intérieur faisait appel à lui pour les découpages électoraux de chaque quinquennat et pour qu’il leur prédît le nombre de siège de chaque parti. Il travaillait plus pour le ministère de l’intérieur que pour les habitants qui l’avaient élu. Ses techniques et procédures faisaient de lui le devin du pays. D’ailleurs, lui, était devenu presque invisible, pour ses électeurs. Il avait perdu son image dès le début, durant son premier mandat. Seul sa voix de stentor, raisonnait du haut de son perchoir, à la télévision, lors de la transmission de la fameuse séance plénière hebdomadaire. Mais vu sa perspicacité et son appartenance familiale, déjà bien placée lors du protectorat, il était devenu parlhumanoïde à vie, et bien sûr il avait beaucoup milité pour trouver la cause de cette perte de l’image, dont souffrait la majorité des parlhumanoïdes. Il avait fait beaucoup d’expériences sur tous les parlhumanoïdes qu’il avait côtoyés. Que ce soient ceux de la droite ou de la gauche, ou même récemment, ceux prétendant être d’obédience islamiste. Quand il avait su la cause, il eut l’intelligence de noter sa découverte sur un petit livret qu’il mettait à la disposition des nouveaux venants, en échange d’une bien « modeste » somme d’argent. Depuis lors, il s’était enrichi en vendant ce livret dont le prix avait connu de multiples hausses. Pour éviter les contrefaçons, il avait conçu ce livret pour qu’il ne fût jamais photocopié, et pour qu’il ne fût consulté que par celui qui l’aurait acheté. C’était là le secret de ce devin, siégeant toujours au dessus de son perchoir, depuis bien des millénaires. Mais ironie du sort, personne ne semblait s’intéresser à ce livret et c’était pourquoi la grande majorité des parlhumanoïdes, ignorait son contenu, et à fortiori l’avertissement dont il est question. Il était donc logique que tous eussent succombé à la tentation du fameux baiser du miroir. Tirésias avait un sourire narquois, quand il lui arrivait de paraître à l’assemblée. Surtout quand un quelconque parlhumanoïde venait se plaindre auprès de lui à cause de sa perte d’image. Il affichait un sourire malin, une manière propre à lui, pour lui dire dans son accent bédouin : « Tu veux du miel ! Résiste alors aux piqûres des abeilles ! ».(A suivre)




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