Le parlementaire (14

Entre temps, le parlhumanoïde roulait sans but précis. Il ne savait ce qui lui était arrivé. Empruntant la route nationale, il roulait à vive allure. Sa mercedès benz happait le ruban noir de l’asphalte rugueux, ponctué de temps à autre par quelques creux éprouvant la ferme suspension du bolide. Au kilomètre 47, bien loin de la ville, il s’engouffra dans un sentier serpentant parmi les arbres d’eucalyptus, pour se retrouver sur une falaise surplombant la mer. Un frein sec maîtrisa les chevaux emballés de la voiture qui parut dépaysée et un peu déglinguée à cause de la poussière qu’elle avait pu amasser le long de ce sentier ocre. Il arrêta le moteur. Le ventilateur tournait encore pour rafraîchir un cœur pantelant. Il Posa ses deux mains sur son visage et laissa tomber sa tête sur le volant. Elle lui faisait terriblement mal. Il avait l’impression qu’elle était sur le point d’éclater. Des bourdonnements d’oreilles l’agaçaient. Un sentiment d’étouffement l’obligea à desserrer sa cravate qui, à son tour l’en remercia en desserrant son nœud. Elle en avait besoin elle aussi, surtout avec cette lourdeur de l’humidité de la mer. Tout était visqueux. Il ouvrit la vitre de sa portière. L’air était toujours suffoquant. Il ouvrit aussi la vitre de droite espérant ainsi inciter l’air à emprunter ce passage en un courant frais pouvant alléger cette lourdeur pesante. Des cris de mouettes couvrirent les sifflements de ses oreilles. On avait l’impression que pour l’inviter à descendre de la voiture, et bien qu’ils fussent loin, les roulements des vagues déroulaient devant ses pieds un tapis d’honneur invisible, que seuls ses yeux de parlhumanoïde pouvaient distinguer sur les herbes couvrant le sol. Il fit quelques pas sur ce sol dont certains espaces étaient couverts de varechs, transportés certainement par quelques mains marins pour qu’ils séchassent sur cette hauteur. Au loin, un bateau de pêcheurs auréolé par un essaim de mouettes, jetait les filets de pêche. Les vagues moutonnaient sans arrêt dans un brouhaha de géants, se querellant comme des convives autour de la terre, une véritable table dressée pour un banquet de géants. Une brise marine, échappant à la douceur des vagues et défiant cette lourdeur d’humidité, parvint à se frayer un couloir dans cette masse d’air gélatineuse pour lui caresser le visage en sueur et adipeux et fit même agiter la mèche grasse de son vertex. Il était debout au bord de la falaise. Il se sentit proche du ciel, c’est pourquoi il se rappela qu’il y avait un être suprême et s’adressa alors en silence à son créateur le priant de le délivrer de cette tristesse et de ce désarroi. Il le supplia de lui rendre son image. Sans elle, il ne pouvait préparer son discours creux, frappé en une langue de bois. Il avait l’habitude de se regarder dans une glace pour mieux choisir ses gestes allant avec les intonations de ses discours et dont les caméras de la télévision semblaient être friandes ; à moins qu’elles lui doraient l’image sur le petit écran en échange de quelques enveloppes. Il ne pouvait plus le faire. Il reconnut avoir menti aux gens et n’avoir pensé qu’à lui et à sa famille. Il enleva sa veste qui le gênait et la posa par terre. Un moment après, il sentit que ses pieds ne pouvaient plus le supporter. Il étendit sa veste et s’y assit. Il posa sa tête sur ses genoux pliés, qu’il retenait par ses deux mains enlacées au niveau des tibias. Il fixait l’horizon de la mer qui paraissait comme une ligne tracée par les mains de ces géants toujours bougonnants, pour séparer le domaine céleste du domaine de la mer, distinguant ainsi mieux le bleu clair du bleu sombre… (A suivre)




Aucun commentaire