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Eclairage sur l’agrégation en France, en Tunisie et au …Maroc

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INTERVENTION DE JEAN-MICHEL LةOST
Président de la Société des agrégés de l’Université

Je suis heureux de me retrouver avec vous pour cette journée d’études sur l’Agrégation marocaine à la croisée des expériences française et tunisienne, organisée par l’association Forum des professeurs agrégés du Maroc, Alors que l’avenir des concours de recrutement en France est incertain, il est réconfortant de réfléchir avec vous au rôle de l’agrégation dans le système d’éducation et de formation. Je puiserai sans doute dans vos travaux des arguments supplémentaires pour défendre une agrégation menacée.

Je voudrais tout d’abord vous rappeler brièvement l’histoire de l’agrégation, très ancienne dans notre pays, mais toujours aussi jeune par les valeurs qu’elle représente. J’expliquerai ensuite les principes que défend l’association que je préside, la Société des agrégés de l’Université, principes qui découlent tout naturellement de ce que représente l’agrégation. Je vous donnerai pour terminer quelques exemples concrets de notre action.

***

C’est une longue histoire que celle de l’agrégation. Depuis sa création par Louis XV, en 1766, jusqu’au concours de 2008 qui se déroule actuellement, l’agrégation a traversé l’Histoire pendant plus de 240 ans, ne disparaissant que quelques années pendant la période révolutionnaire puis sous le Second Empire, s’imposant peu à peu comme « la clef de voûte de notre enseignement », selon la formule de Jean Zay, Ministre de l’ةducation nationale en 1937.

A l’origine, il s’agissait de recruter pour l’enseignement du second degré des maîtres capables de succéder aux Jésuites, chassés de France par un arrêt du Parlement de Paris, en date du 6 août 1762. En effet, bien qu’ils soient réputés pour la qualité de leur enseignement, les Jésuites avaient éveillé très vite la méfiance des rois Bourbon qui les jugeaient trop indépendants. Lors du premier concours, vingt-et-un candidats furent proclamés « docteurs agrégés », le 11 octobre 1766, en philosophie, rhétorique et grammaire.

Aujourd’hui, l’agrégation compte une trentaine de spécialités dans des disciplines littéraires, scientifiques, techniques – il existe même une agrégation d’éducation physique et sportive. Le nombre de places à l’agrégation externe a longtemps approché des 2000, voire davantage, mais subit, depuis peu, une baisse sensible, pour des raisons plus budgétaires que pédagogiques : 1940 en 2005, 1440 en 2006, 1443 en 2007 et 1245 pour la session 2008.

La création du premier concours de l’agrégation obéissait donc au souci de recruter des maîtres dont la qualification scientifique et pédagogique ne fût pas inférieure à celle des Jésuites et de constituer un corps de maîtres dévoués à leur mission.

Cette double finalité caractérise encore de nos jours l’organisation des concours de l’agrégation. Il s’agit, selon le statut actuel des agrégés, de recruter des maîtres capables d’enseigner dans les classes de lycée, dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dans les établissements de formation et dans l’enseignement supérieur, exceptionnellement en collège.

Ce concours difficile, où la sélection est très dure, a aussi une valeur sociale. Concours national, avec ses nombreuses épreuves écrites corrigées sous couvert de l’anonymat et ses épreuves orales jugées collégialement, l’agrégation est un modèle de recrutement. Elle puise ses lauréats dans l’ensemble du corps social. Un rapport sur La fonction enseignante dans le second degré a montré, en 1974, que l’origine des agrégés était plus démocratique que celle des maîtres auxiliaires. Le prestige de l’agrégation s’étend au-delà de nos frontières, puisque les ressortissants européens peuvent s’y inscrire – et ce sont souvent les plus ardents défenseurs de ce concours.

La solidité de la formation scientifique des agrégés est incontestable : ils sont souvent passés par les classes préparatoires aux grandes écoles dont chacun connaît les exigences ; ils ont ensuite poursuivi leurs études dans les écoles normales supérieures, s’ils ont réussi ces concours eux-mêmes très sélectifs, ou dans les universités où ils sont généralement parmi les meilleurs étudiants; ils doivent posséder une maîtrise ou un master 1, beaucoup de candidats possèdent un DEA (diplômes d’études approfondies) ou un master 2, voire une thèse ; de plus, ils bénéficient d’une année entière de préparation au concours, avec des programmes très exigeants. Cette solide formation explique la facilité avec laquelle les lauréats de l’agrégation, placés à l’articulation du secondaire et du supérieur, s’adaptent à une extrême variété de situations d’enseignement.

Les détracteurs de l’agrégation, qui sont souvent des personnes qui ont échoué au concours ou ont évité de l’affronter, prétendent que les agrégés sont peut-être savants, capables d’acquérir de très nombreuses connaissances, mais qu’ils ne savent que les asséner à leurs élèves, comme si leur science les rendait inaptes à enseigner. Or – et on ne le répètera jamais assez – le meilleur fondement de la pédagogie est une bonne maîtrise de la discipline. Un savant n’est pas nécessairement un bon pédagogue, mais celui qui maîtrise mal sa discipline sera à coup sûr un mauvais pédagogue ou n’enseignera que du vent. « On ne saurait faire qu’un professeur ignorant rende un élève savant », se plaisait à dire Guy BAYET, qui fut président de la Société des agrégés de 1960 à 1990.

Les agrégés peuvent aussi devenir enseignants-chercheurs dans les universités. L’agrégation devrait d’ailleurs être un titre nécessaire pour devenir maître de conférences ou professeur des universités. En effet, l’agrégé est, dans sa discipline, un généraliste ; le titulaire d’une thèse est un spécialiste ; l’enseignant-chercheur qui est agrégé associe les qualités du généraliste et du spécialiste.

C’est pour défendre l’agrégation et les agrégés que fut créée en 1914 la Société des agrégés. Je voudrais vous expliquer les principes qui l’animent.

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Depuis sa création, la Société des agrégés a bien sûr évolué, mais elle est restée fidèle à des principes fondamentaux, qui montrent que son action va bien au-delà des revendications catégorielles. En juin 2006, me portant candidat pour la première fois à la présidence de l’association, j’ai rappelé les principes fondamentaux qui guideraient mon action.

C’est d’abord l’indépendance : à l’égard du pouvoir, à l’égard de tous les pouvoirs. Une association comme la nôtre ne peut être efficace et respectée que si elle sait garder, comme elle l’a toujours fait, l’autonomie de jugement, l’esprit d’indépendance, le refus de la complaisance et de la démagogie qui lui permettent, dans toutes les circonstances, d’exprimer et de défendre ses analyses et ses propositions.

C’est ensuite la primauté du savoir : c’est parce que nous avons le souci de l’élève que nous mettons le savoir au centre du système éducatif : c’est le savoir qui est le fondement de l’esprit critique, de l’égalité des chances, de la promotion sociale.

Au savoir, il faut associer la culture, à laquelle tous les élèves ont le droit d’accéder. La culture n’est pas réservée à une élite, encore moins à des « héritiers », comme disait Pierre Bourdieu, socialement privilégiés. Chacun doit en avoir sa part, à commencer par ceux qui ne la trouvent pas dans leur milieu familial. Renoncer à cette ambition pour tous les élèves, c’est oublier l’apport irremplaçable de la culture dans la vie professionnelle, sociale et individuelle de chacun.

C’est enfin la défense des concours nationaux du CAPES et de l’agrégation : tous les élèves, quels qu’ils soient, ont le droit d’avoir des professeurs de qualité, recrutés à un haut niveau. Il est essentiel que les professeurs aient un savoir disciplinaire élevé.

Vous voyez que le savoir que revendiquent les professeurs agrégés leur impose également des devoirs et d’immenses responsabilités.

La Société des agrégés reste fidèle à ces principes. Elle ne se limite pas à une action catégorielle, elle a le souci de l’ensemble des questions relatives à l’enseignement. Elle n’est pas recroquevillée sur de prétendus privilèges, elle veut défendre un enseignement de qualité, dispensé par des professeurs hautement qualifiés ; elle n’est pas nostalgique d’un passé idéalisé, elle veut faire vivre, dans l’école du XXIème siècle les grands principes de l’école républicaine ; elle ne se contente pas de rappeler ces principes, elle cherche et propose les modalités permettant de les appliquer dans un monde en évolution.

Ses détracteurs, souvent des personnes qui s’autoproclament pédagogues sans pratiquer l’enseignement, ou qui ne font pas l’effort de s’informer pour pouvoir formuler des jugements objectifs, l’accusent d’être réactionnaire. J’ai même reçu dernièrement une lettre anonyme, me traitant de « dinosaure ». Je l’ai pris plutôt pour un compliment : les dinosaures sont résistants, et il a fallu un cataclysme pour les faire disparaître. Les détracteurs de l’agrégation, aveuglés par leurs préjugés, ne se rendent pas compte que ce sont eux les passéistes et les obscurantistes, incapables de se remettre en question…

***

Je voudrais revenir sur des exemples concrets de l’action de la Société des agrégés, qui se fonde sur les principes que j’ai tout à l’heure énoncés.

Nous entretenons des relations régulières avec les autorités de l’ةtat : nous sommes reçus par les conseillers du Président de la République, du Premier Ministre ; nous avons des audiences régulières auprès des Ministres chargés de l’enseignement, actuellement Valérie Pécresse pour l’Enseignement supérieur et la Recherche, Xavier Darcos pour l’ةducation nationale, ou auprès de membres de leurs Cabinets. Nous rencontrons également l’Inspection générale. Nous sommes auditionnés par la Commission des Affaires culturelles du Sénat sur de grands sujets, comme les classes préparatoires aux grandes écoles ou le baccalauréat. Les relations que nous entretenons avec nos interlocuteurs sont généralement bonnes, même lorsque nos points de vue divergent, car ils reconnaissent la hauteur de vue de nos analyses et apprécient notre indépendance d’esprit.

Nous formulons également des demandes et des propositions pour la carrière des agrégés, et, en particulier, pour leurs affectations. Nous estimons que les agrégés doivent avoir une place spécifique dans l’enseignement secondaire et dans l’enseignement supérieur, ce qui n’est pas toujours respecté par routine administrative ou du fait d’un égalitarisme niveleur qui aboutit parfois à un gâchis scandaleux des compétences.

Nous prenons position sur toutes les grandes questions relatives aux concours, aux programmes et aux disciplines, de même que sur les questions pédagogiques et structurelles. En voici quelques illustrations.

En 2006, nous avons approuvé l’initiative de Gilles de Robien, alors Ministre de l’ةducation nationale, qui visait à rendre plus rigoureux l’enseignement de la grammaire à l’école primaire et au collège. En effet, la grammaire est nécessaire à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ; elle est nécessaire à la formulation exacte de sa pensée et à la compréhension de la pensée d’autrui ; plus généralement, elle est nécessaire pour communiquer, pour concevoir et pour créer.

De la même façon, nous avons approuvé la réforme des programmes de l’école primaire et le recentrage sur les fondamentaux – français, calcul, lecture, écriture –, mis en œuvre par le Ministre Xavier DARCOS, car il n’y a pas de progrès possible dans l’acquisition du savoir sans de solides bases. A ceux qui prétendent que c’est un retour à des conceptions passéistes, nous répondons que c’est un retour au bon sens, qui n’a pas d’âge.

Autre exemple : nous défendons un baccalauréat national, qui offre la garantie absolue que tous les élèves sont instruits selon les mêmes exigences et les mêmes programmes. De plus, par l’anonymat lors des corrections des épreuves écrites, il constitue pour les candidats un rempart contre l’arbitraire et leur épargne l’injustice de notes qui se fonderaient sur d’autres critères que la seule lecture et la seule correction de leurs copies. C’est pourquoi nous sommes opposés à une extension du contrôle continu pour cet examen. Le baccalauréat a aussi une valeur symbolique d’initiation qui incite les élèves à l’effort et au travail. Enfin, les résultats obtenus lors de la préparation de cet examen les conduisent à une réflexion sérieuse et circonstanciée à l’égard de leur orientation dans l’enseignement supérieur.

Certains élèves, à la suite de difficultés personnelles, familiales ou d’accidents, abandonnent prématurément leurs études, sans obtenir le baccalauréat : c’est pourquoi nous proposons d’augmenter le nombre de lycées qui pourraient accueillir, dans des classes adaptées, les adultes qui voudraient reprendre un cursus scolaire. Il conviendrait aussi de soutenir les universités qui, dans le cadre de la formation continue, mettent en place des préparations au DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) qui offrent à des adultes de tout âge la possibilité d’obtenir l’équivalence du baccalauréat et de poursuivre ensuite des études supérieurs ou de progresser dans leur profession.

Un dernier exemple de notre action : nous défendons les classes préparatoires aux grandes écoles et nous proposons des mesures d’accompagnement, financières et pédagogiques, pour permettre aux élèves issus de milieux défavorisés d’y accéder plus facilement.

D’une façon générale, nous voulons mener une politique constructive en élaborant nous-mêmes des projets ou des contre-propositions.

Vous pouvez constater que cette action est cohérente avec les principes que nous défendons.

Nous éditons d’autre part, six fois par an, une revue, L’Agrégation, qui donne toutes les informations utiles concernant le statut et la carrière des agrégés, qui publie des analyses des projets des Ministères et nos propres propositions, qui contient des tribunes libres et des notes de lecture sur les publications de nos adhérents (thèses, essais, ouvrages pédagogiques, romans, recueils de poésie…). Nous envisageons de l’enrichir encore avec les contributions de personnalités qui donneraient leur point de vue sur le système éducatif.

Nous sommes également attentifs à tous les événements liés à l’enseignement et nous prenons position, dans des communiqués de presse, chaque fois que nous le jugeons utile.

Nous faisons enfin un important travail d’information et de conseil auprès des sociétaires.

***

Je voudrais pour terminer remercier les organisateurs de cette journée de m’avoir invité pour vous faire part de mon expérience de professeur agrégé, pour vous expliquer les principes et les valeurs que défend la Société des agrégés, et témoigner du rôle, irremplaçable à mon sens, que tient l’agrégation dans l’enseignement français et dans la vie intellectuelle de la France.

Je souhaiterais qu’au-delà de cette visite au Maroc, nous entretenions des relations, que nous fassions des échanges d’informations, pour défendre ensemble et faire mieux connaître dans tous les pays cette institution remarquable qu’est l’agrégation.

Je souhaite une longue vie aux agrégations marocaines et tunisiennes.

Jean-Michel LةOST Président de la Société des agrégés

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4 Comments

  1. Bouguerra
    28/09/2008 at 21:22

    Le Daeu(un formidable outil d’insertion sociale et professionnelle) est totalement ignoré des pouvoirs publics.
    Selon les chiffres du ministère de l’éducation, ce dispositif ne profite pas aux classes sociales qui ont en le plus besoins (à peine 38 %)
    Aujourd’hui, le Daeu n’existe pas dans les banlieues …là où son utilité est évidente.
    Si on associait, de petits organismes de formation à l’action des université, on pourrait multiplier les chiffres actuels par 10.
    En outre, dans le cadre de l’union pour la méditerrannée, le Daeu renforcerait non seulement les liens mais aussi donnerait de moyens aux pays du sud à se développer…

    Le débat est ouvert…

    Hacène Bouguerra
    Psychologue -formateur
    Directeur de adc
    http://www.adc-conseils.org

  2. anonyme
    28/09/2008 at 21:22

    En Tunisie (chez moi) il n’existe pas d’agrégation interne et une autre externe. Il existe une agrégation unique pour les normaliens et les autres. C’est très bien si ce n’est que les normaliens passent l’année de préparation à reçevoir des centaines d’heures de cours de soutien et des simulations des épreuves orales etc dont le reste des candidats sont exclus. Bien sûr que les normaliens ont un très bon niveau, mais pourquoi donc agrandir le fossé entre eux et les autres? Le principe de l’égalité des chances ne s’applique-t-il pas sur ce concour national? L’établissement d’une agrégation interne et une autre externe serait plus juste et éviterait que des centaines d' »anormaliens » perdent leur temps, leur argent (les frais d’inscription sont peut être le motif réel de l’ouverture du concours à ces candidats)pour un pareil concours de ségrégation pratiquée même par quelques professeurs (pas tous) qui ne les prennent pas au sérieux, et les considèrent comme des candidats de seconde catégorie. Je ne dis pas mon nom car je travaille pour le ministère et je crains des représailles.

  3. Bouguerra
    28/09/2008 at 21:22

    Mon commentaire n’a pas été retenu?
    Merci de votre réponse
    H.Bouguerra
    adc@adc-conseils.org

  4. Bouguerra
    28/09/2008 at 21:22

    J’ai laissé un commentaire que vous n’avez pas pris en compte …Je vous ai laissé un message auquel vous ne répondez pas. Quelles sont vos valeurs?
    hacene.bouguerra@adc-conseils.org

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