Le parlementaire (17

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Notre parlhumanoïde se sentit un peu soulagé. Il savait au moins la cause du mal. Il n’avait donc qu’à chercher le remède. D’un autre côté, il n’avait plus la jalousie de sa femme sur le dos, du moins l’espérait-il. Il glissa le téléphone dans son support et donna un coup de poing violent au tableau de bord qui heureusement pour lui, résista à ce coup de regret. Comment se faisait-il qu’il n’eût pas feuilleté ce maudit livret, lui qui était connu parmi ses amis comme étant le plus curieux ? Jamais il n’aurait été victime de cette inconscience ou plutôt de cette étourderie s’il n’avait pas été distrait, ce jour-là par un coup de téléphone qui l’obligea à rejoindre son groupe de parlhumanoïdes, réuni à la maison de l’un des leurs ! Ce dernier avait été pris en flagrant délit dans une affaire de mœurs, on avait alors décidé cette réunion pour chercher comment lui venir en aide et le tirer de cette affaire ioncongrue. On l’avait chargé de contacter le ministre de la justice. Pris dans ce manège de contacts, il avait tout oublié, jusqu’à l’existence même de ce livret. Il regretta fortement ce jour, et ressentit une haine sans limite pour ce « frère » qui en était la cause. Devait-il alors mener à bout sa décision d’aller consulter cet autre devin vanté tant par certains journaux à « la une rapide », ou devait-il par contre aller dare-dare adjurer Tirésias qui ne quittait son « temple » que pour une nouvelle campagne électorale ? Il ne se trouvait pas loin de Tarnoun. Il n’avait donc rien à perdre s’il allait d’abord consulter El Mekki, d’autant plus qu’il n’était pas loin de son « cabinet », et puis il aurait largement le temps d’aller voir Tirésias.
Tarnoun faisait partie de cette lignée de personne qui pouvait tout faire, en échange d’un peu d’argent ou tout simplement d’un peu de fierté. Il aimait paraître comme quelqu’un connaissant beaucoup de monde. Il ne s’agit pas de n’importe qui ! Il se plaisait comme un coq à être aperçu avec un parlementaire, un caïd, un khalife… Il jubilait de fierté et s’enorgueillissait à longueur de journée si ce n’est à longueur de semaine. Enfin son plaisir était d’être vu avec quelqu’un pouvant avoir un certain pouvoir, selon le contexte vécu. Un simple Mokaddem, dans une situation donnée pouvait avoir plus d’importance pour lui, aussi cherchait-il à le côtoyer pour lui « soutirer » un peu de cette importance, pour s’en servir lors de ses multiples palabres, autour d’un verre de thé, suscitant ainsi l’admiration de son assistance, parmi laquelle, se trouvait toujours quelqu’un qui lui payait quelque chose à boire. A moins qu’il n’eût été appelé à rendre un service à quelqu’un de très important, Tarnoun devait être au café « populaire » en ce moment. Ce café faisait office de son lieu de travail, de son « bureau », ou de son « agence », si l’on préfère…
La mercedès benz du parlhumanoïde s’arrêta près du café « populaire ». Une fine poussière fut soulevée par l’arrêt brusque de cette grande voiture noire, connue par la clientèle. Des murmures furent suscités qui se mêlèrent à la fine poussière venant envahir les théières, les verres ainsi que les tasses à café. Quelques insultes furent proférées. Des crachats même jaillirent de toutes parts et ponctuèrent le sol au ciment gris, en signe de dégoût et de répulsion. Une manière d’exprimer le choc entre la misère et l’aisance. Quelques uns parmi la clientèle assidue, tendaient leurs cous pour mieux apercevoir le conducteur caché derrière des vitres au verre fumé. D’autres, plus alertes, parce que plus anciens peut-être, cherchaient Tarnoun parmi la horde des clients. Lui seul pouvait avoir ce genre de visite. Lui seul avait la chance de monter ce genre de voiture qui parut, elle aussi, éprouver une certaine aversion devant cette multitude de bicyclettes et de motocyclettes, toutes déglinguées, s’entremêlant au bord du trottoir. Tarnoun n’était pas sur la terrasse, comme dans ses habitudes. Il se trouvait à l’intérieur du café. Comme toujours, il était le seul à s’accaparer la parole. Il avait beaucoup de choses à dire. Des blagues à raconter. Des médisances à darder. Des « secrets » à dévoiler… Autour de lui des regards hagards, des oreilles tout ouïe, des bouches entrouvertes qui parfois s’esclaffaient pour la moindre plaisanterie… Un appel le tira de cette mêlée noyée dans une fumée dense des cigarettes « casa sport » et « favorite ». (A suivre)
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