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Boycott, réseaux sociaux, pouvoir et contrepouvoir !

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Boycott, réseaux sociaux, pouvoir et contrepouvoir !

Déclenché depuis presque deux mois, le boycott de trois produits continue à faire sujet de discussion. Plusieurs explications ont été avancées. Certains ont lié ce mouvement à des règlements de compte entre politiciens, d’autres trouvaient que c’est une réaction normale de la part des citoyens échaudés par la cherté des prix.

De ma part, tout en suivant ce qui se passe et en écoutant et en lisant, je me permets de donner une lecture de cette situation qui est un peu différente et qui m’a amenée à déduire que probablement le boycott devient un contrepouvoir tant dans la vie économique, culturelle et éventuellement politique.

Avant de présenter mon point de vue, je voudrai rappeler que depuis l’avènement de la mondialisation, l’environnement politique, économique et social est devenu mouvant. Cette mouvance exige plus que jamais une capacité d’adaptation et des dirigeants d’une nouvelle génération. Or, ce qui est constaté, c’est le statu quo, les responsables travaillaient toujours comme si le courrier électronique et l’accès à l’internet n’existent pas, et que ces outils relèvent d’un domaine réservé à certaines catégories de la population ou d’organisations. De même, les méthodes de gestion et de communication n’ont pas évolué.

A ce titre, je rappelle que de nos jours, la nouvelle frontière repose sur les réseaux sociaux, forme de communication électronique à travers lesquelles les utilisateurs créent des communautés en ligne pour partager des idées, des informations, des messages personnels, et d’autres contenus. Les plates-formes sociales comme Facebook, Twitter, You Tube, LinkedIn et d’autres, sont utilisées par plus d’un Milliard de personnes.

Certains salariés et employés ne s’en servent pas seulement sur leur temps personnel, mais aussi à des fins professionnelles. C’est pourquoi les entreprises et les administrations doivent comprendre et gérer la puissance et le danger des réseaux sociaux, au lieu de laisser un vide, qui est souvent exploité et orienté par des personnes ou des organisations qui risquent d’être inconscientes du mal qu’elles peuvent causer à leur pays.

Ce redoutable outil a été sous-estimé par cette génération de responsable, qui depuis l’indépendance, une grande partie continue encore à réfléchir, à réagir et à diriger avec le même raisonnement.

Le bonycott a concerné d’abord les prix, pourquoi ?

Pour comprendre, il faut revenir aux différentes politiques des prix pratiquées au Maroc depuis l’indépendance.

Pour cela, je vais présenter les deux politiques en la matière. La première qui a été appliquée entre décembre 1971 et le 6 juillet 2001, et la seconde dont l’application a démarré le 7 juillet 2001.

La politique de 1971, était une politique de réglementation et de fixation des prix qui partait du principe que les prix de tous les produits, biens et services, peuvent être réglementés et l’exception, c’était la libéralisation des prix. En conséquence, les pouvoirs publics avaient toujours les moyens de contrôler les prix et avaient un pouvoir pour les soumettre à une réglementation. D’autant plus que le Maroc lorsqu’il a opté pour la libéralisation des prix, il l’a opérée progressivement, de 1980 à la fin des années 1990.

D’ailleurs, et au sein de la commission interministérielle qui siégeait pour examiner les demandes de révision des prix à cette époque, il y avait toujours des départements qui suivaient ce qui se passe sur le terrain, notamment le département de l’Intérieur, et qui était prêt des citoyens et tirait la sonnette d’alarme pour freiner les augmentations des prix.

Or avec la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, le principe a totalement changé, puisque cette politique consacre le principe de liberté des prix et l’exception, c’est la fixation des prix.

Le législateur avec cette nouvelle politique appliquée depuis le 7 juillet 2001, a mis en place un certain nombre de mécanismes pour veiller au bon fonctionnement du marché.

Quels sont ces mécanismes ?

D’abord, il y a ce qui est prévu par la loi, à savoir la possibilité de revenir à la fixation des prix et les contrôler dans des cas précis (selon que la situation soit structurelle ou  conjoncturelle).

Malheureusement, ces mécanismes n’ont en aucun moment étaient actionnés. Pourquoi !!!!

Ensuite, le Conseil de la Concurrence qui, malgré le pouvoir d’auto-saisine et de sanctions, il n’a pas pu intervenir comme instance de régulation. Il y a lieu de revoir sa composition et choisir la personne compétente avec un appui de la haute instance et un pouvoir réel des actions de cette instance, pour avoir des résultats.

Enfin, il y a le côté des organes en charge de l’application de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence qu’il faut bien sélectionner et leur assurer une très bonne formation avec des stages à l’étranger. Ce corps qui existent depuis les années 1980, a été marginalisé avec la loi sur la concurrence et était poussé à n’intervenir que pour les pratiques individuelles (pratiques restrictives de la concurrence).

En résumé, les garde-fous existent. Mais le problème c’est la mise en action de ces mécanismes, ce qui a amené les entreprises à croire qu’elles peuvent augmenter leurs prix comme elles veulent étant donné que les prix sont libres.

La conséquence de la mauvaise application de la loi sur la concurrence a encouragé les entreprises à augmenter librement leurs prix quand elles veulent en l’absence de la concurrence réelle au sein du marché et de la non-réaction de l’administration. Les consommateurs ont été poussés à réagir.

Pourquoi cette réaction ?

Depuis plusieurs années, les décisions prises par les derniers gouvernements n’ont fait qu’éroder le pouvoir d’achat des citoyens, sous différents prétextes. Il s’agit entre autres, des augmentations concernant l’eau et l’électricité, du gel des salaires, de la réforme de la retraite, de la libéralisation des prix des carburants (sans mettre en place un système de régulation des prix qui garantit les fluctuations réels des prix du carburant, indexés sur le marché de ces derniers et non pas sur le prix du pétrole brut) et des hausses enregistrées par certains produits et services et ce, en l’absence de toute réaction de la part des pouvoirs public. A cela, il faut ajouter l’échec de toutes les politiques de lutte contre le chômage et la détérioration de la qualité des prestations de services au niveau de la santé et de l’éducation.

Les réseaux sociaux étaient la solution. Le boycott apparait comme moyen de réaction pour attirer l’attention des parties prenantes, qui malheureusement était mal géré de la part des entreprises et des responsables gouvernementaux et politiques.

Pourquoi, la cible était les trois entreprises ?

A mon humble avis, il s’agit d’entreprises qui sont en position dominante sur le marché, autrement dit, ce sont les entreprises qui décident des prix pratiqués. Ce n’est ni les personnes qui sont derrière ces sociétés ni des règlements de compte. Tout le monde sait que c’est l’entreprise qui a une part importante du marché qui décide des prix. Les autres entreprises suivent et s’alignent.

A souligner dans ce cadre, que la situation de position dominante, allait pousser une entreprise (d’après les réseaux sociaux) dans le domaine des huiles de table à augmenter le prix du litre de deux dirhams. Cette entreprise s’est abstenue en retirant les étiquettes autocollantes qu’elle a commencé à distribuer mentionnant  le nouveau prix de 16 Dh au lieu de 14 Dh.  Cette décision de ne pas augmenter les prix, a été prise lorsque cette entreprise a constaté le début de la campagne de boycott. C’était intelligent de sa part.

Les responsables gouvernementaux et les dirigeants des entreprises doivent comprendre qu’un nouveau système de contre-pouvoir a vu le jour avec cette réaction de la population à travers les réseaux sociaux. Ils doivent revoir leur politique de communication tant interne qu’externe s’ils veulent sauver leurs entreprises et avec l’économie marocaine.

Enfin, il y a lieu de revoir le système de contrôle du marché par des agents qui relèvent de plusieurs départements (intervenants éparpillés). Il faut lancer une réflexion pour étudier l’opportunité de regrouper tous les organes de contrôle dans une seule entité en charge de l’application des lois sur les prix, sur la concurrence et sur la protection du consommateur.

El Mostapha BAHRI

Economiste de Rabat

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4 Comments

  1. شي مدوخ
    15/06/2018 at 06:17

    Personnellement et avec le boycott, c’est la1re fois que je sens l’existence d’ un vrai contrepouvoir dans mon pays. Celui qui a précédé a toujours été un de « bl3ani »

  2. Sa elott
    15/06/2018 at 12:57

    C’est un article de référence pour tous les decideurs, dans le domaine économique ou industriel, il contient les references historiques qui sont la garantie d’une bonne analyse, les propositions sont très efficaces et très applicables à notre système, encore faut-ils des decideurs « qui savent lire les articles spécialisés » ?

  3. Mohammed BOUASSABA
    16/06/2018 at 22:27

    Du point de vue technique, c’est un article écrit d’une façon analytique, il est référentiel pour une maitrise d’étude des prix, informateur et préventif. Du point de vue académique c’est une synthèse dont une partie est assimilée à un cours d’économie politique destiné aux étudiants des écoles supérieures spatialisées , auquel ils peuvent se référer pour en tirer profit . Mohammed BOUASSABA / Rabat

  4. ak elot
    20/06/2018 at 02:43

    Salam bravo et chapeau pour l’éditeur de cet article qui a bien su décortiquer la problématique du boycott tant sur le côté économique que sur le côté historique et qui a proposé des solutions convainquantes et réalistes .enfin la balle et aux dirigeants des entreprises des politiciens et des gens concernés pour assumer leurs responsabilités et trouver des solutions rapides et efficaces à la hauteur des espérances du grand peuple marocain

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