LE DIABETE DE TYPE 1 EN PROGRESSION INEXORABLE AU MAROC
Le diabète comporte deux formes : le diabète de type 2, dit gras ou de la maturité, le plus fréquent, et le diabète de type I (précédemment connu sous le nom de diabète juvénile ou insulino-dépendant). Le diabète de type 1 provient de la destruction par notre système immunitaire de cellules du pancréas qui produisent l’insuline. Cette hormone permet aux cellules de l’organisme de transformer le glucose en énergie et de réguler la quantité de sucre dans le sang. Pour remédier à cette destruction, il n’y a alors qu’une solution : les injections d’insuline à vie. La journée mondiale du diabète, le 14 novembre 2016, est l’occasion de faire le point sur cette pathologie.
La progression alarmante du diabète de type 1
Actuellement, il y a plus de 350 millions de diabétiques dans le monde, 3,5 millions en France et plus de 2 millions au Maroc.
Il est bien connu que l’augmentation de l’obésité a entrainé celle du nombre de personnes atteintes du diabète de type 2.
Ce que l’on sait moins, c’est que le diabète de type 1 (DTI) concerne entre 10 et 15 % des malades et progresse partout dans le monde avec un taux annuel de plus de 3%. Dans certains pays comme la Finlande (pays le plus touché au monde avec un taux de prévalence de 64/100 000 personnes), on s’attend à un doublement du nombre de ces diabètes dans les 15 ans (1). De plus, de plus en plus d’enfants en bas âge en sont frappés, alors que traditionnellement ce type, qui touche presque exclusivement les enfants et les adolescents, se manifestait en général entre 10 et 14 ans. Lors de la pose du diagnostic en France, on dénombre maintenant une proportion de 25 % d’enfants entre 0 et 4 ans, contre environ 30 % entre 5 et 9 ans et près de 40 % entre 10 et 14 ans (2). Le Maroc, lui, non plus n’échappe pas à cette progression rapide de ce diabète.
C’est un défi considérable pour les jeunes et leurs familles comme pour les médecins quand on sait que ces « nouveaux » malades auront une durée de vie plus longue avec la maladie et ses conséquences inéluctables. Les complications consistent en une atteinte des petits vaisseaux sanguins (microangiopathies) en particulier de l’œil et du rein, à l’origine d’une rétinopathie et d’une néphropathie qui surviennent chez respectivement 95% et 30% des sujets atteints au bout de 15 ans d’évolution de la maladie. Les gros vaisseaux sont également touchés et à l’origine de pathologies cardiovasculaires. L’atteinte des nerfs entraîne des neuropathies (dégradations des nerfs) dans 50 % des cas après 25 ans d’évolution, sous forme notamment de pertes de sensibilité, surtout au niveau des pieds, diarrhées, hypotension orthostatiques… De plus, certains verront leur sort aggravé par l’apparition d’autres maladies auto-immunes dans 15 % des cas, comme la maladie cœliaque (intolérance au gluten), pathologie la plus fréquemment associée, de par un terrain génétique identique.
La communauté médicale ne cesse de s’interroger sur la progression de cette pathologie. On sait qu’elle est due à une interaction entre différents facteurs génétiques et environnementaux, plusieurs d’entre eux se combinant pour déclencher la maladie. On se demande aussi si ces facteurs n’exercent pas leur influence durant la grossesse, puisque de plus en plus d’enfants en bas âge sont atteints.
Une prédisposition génétique à cette maladie
Il existe une certaine prédisposition génétique à sa survenue. Le risque familial d’en être touché est par exemple de 30 % quand les deux parents sont déjà atteints et de 50 % pour les vrais jumeaux.
Cette prédisposition dépend notamment de notre complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) : notre carte d’identité biologique et pierre angulaire du système immunitaire. Le CMH encore appelé système HLA (Human leukocyte Antigen) est le principal marqueur du soi. C’est un groupe de molécules constituant l’identité biologique d’un individu, une sorte de code-barres situé à la surface des cellules. Chaque cellule (sauf les globules rouges) renferme entre cinq cent mille et un million de molécules de ce complexe dont elle expose à l’extérieur de sa membrane son contenu pour qu’il soit reconnu par les cellules immunitaires comme appartenant au « soi » ou au « non-soi ». Or, on sait que certains de ces éléments retrouvés dans une partie des populations, en particulier différents haplotypes HLA (DR3, DR4, DQ2, DQ 8…), augmentent la probabilité d’un déclenchement de réactions immunitaires provoquant un dysfonctionnement progressif de la sécrétion d’insuline.
La pollution facteur de risque
La prédisposition à la maladie n’explique pas à elle seule cette « épidémie ». Plus de 100 000 produits chimiques industriels accompagnent notre vie quotidienne, présents dans l’alimentation, l’eau, l’air, le sol ou à l’intérieur de nos maisons : pesticides, nitrates, métaux lourds, particules fines et dioxyde d’azote dégagés par les automobiles…Or, certains de ces produits sont considérés comme des facteurs de risque dans le développement des maladies auto-immunes (comme le diabète de type1), endocriniennes, allergiques ainsi que des cancers.
Une cause infectieuse
Des agents infectieux pourraient en être la cause : des bactéries, les streptomyces, présents dans les tubercules de plantes comme la pomme de terre, exercent ainsi une toxicité à l’encontre des cellules productrices d’insuline dans le pancréas (3). Une étude scientifique en 2008 a montré une relation entre la consommation de pommes de terre pendant la grossesse et un développement de réactions contre ces cellules, augmentant ainsi le risque d’être atteint de ce type de diabète (4).
Un excès d’hygiène
L’excès d’hygiène est également mis en avant. Cela a permis de mieux protéger les bébés et de mettre fin à la forte mortalité infantile des siècles précédents. Le problème est maintenant que la « propreté aseptisée » de l’espace autour d’un enfant empêche son système immunitaire d’apprendre à reconnaître les ennemis dont il doit se défendre normalement. Les cellules immunitaires, par manque de maturité, sont en quelque sorte désorientées et s’attaquent par erreur à notre corps (5). Tandis qu’on assiste à la disparition progressive des infections classiques de la petite enfance, on observe à l’opposé un accroissement des maladies allergiques et auto-immunes comme l’asthme ou le diabète de type 1. La solution serait de permettre aux bébés et aux jeunes enfants de se salir « un peu plus » pour mieux éduquer les défenses de leur organisme et mieux régir ensuite à leur environnement. Une étude sino-danoise est venue conforter cette thèse en 2011 (6): elle a démontré que les bébés nés par voie basse et exposés aux premières bactéries au travers du rectum de la mère ont un risque beaucoup moins élevé de contracter des allergies que les bébés nés par césarienne et donc exposés à une variété restreintes de bactéries différentes.
Un manque de vitamine D
Un apport insuffisant en vitamine D, enfin, augmenterait le risque de diabète de type 1 pendant l’enfance (7). Son accroissement est en effet prouvé dans les régions (comme les pays nordiques) où l’exposition au rayonnement ultraviolet B et l’approvisionnement en vitamine D sont faibles. Nous bénéficions heureusement au Maroc d’une exposition au rayonnement UVB plus élevée et la progression du diabète de type 1 pourrait en être moins forte.
Rappelons qu’un apport quotidien suffisant nécessite une alimentation riche en vitamine D combinée avec une exposition au soleil de la peau. La vitamine D provient de deux sources :
– la première est sa fabrication par l’organisme grâce à la transformation du cholestérol sous l’action des rayons du soleil (rayons ultraviolets) en une vitamine D ;
– la seconde grâce à l’alimentation : les produits qui en contiennent sont principalement le lait et les produits laitiers non écrémés, l’huile de foie de morue, le foie de poissons maigres, les poissons gras et l’œuf (plus précisément le jaune).
Un risque plus élevé de morbidité cardiovasculaire
Selon une étude observationnelle suédoise menée par le Dr Marcus Lind et publiée le 20 novembre 2014 dans le New England Journal of Medicine (NEJM), les diabétiques de type 1 pourtant les mieux équilibrés présentent un taux de mortalité deux fois plus élevé que celui de la population générale et le risque s’aggrave avec le déséquilibre glycémique. Cette étude a comparé 33 915 diabétiques de type 1 à 169 249 personnes de la population générale pendant huit ans en moyenne. Le taux de mortalité était de 8% dans la population diabétique de type 1 contre 2,9% dans la population générale, soit un risque 3,5 fois plus élevé en cas de diabète. Cet excès de risque de décès est lié au diabète lui-même (coma acidocétosique, hypoglycémie, complications rénales et autres), ou d’origine cardiovasculaire particulièrement chez les femmes. La mortalité d’origine cardiovasculaire était 4,6 fois plus élevée en cas de diabète.
Selon les auteurs, ce sur-risque reste inexpliqué, car contrairement aux diabétiques type 2, on ne retrouve pas les facteurs de risque cardiovasculaire classiques (obésité, hypertension, hypercholestérolémie), et en plus dans cette cohorte les patients recevaient bien les traitements de prévention de l’atteinte cardiovasculaire (43% étaient sous statine et 39,7% sous inhibiteur du système rénine-angiotensine). Les auteurs évoquent le rôle de l’inflammation comme cause de ce sur-risque et réaffirment l’importance du contrôle glycémique.
Des avancées scientifiques prometteuses
Au-delà de ces inquiétudes sur l’avenir des jeunes générations, on se doit aussi de signaler des motifs d’espoir, grâce aux avancées d’une recherche foisonnante.
Des chercheurs français ont ainsi réussi en 2011 à créer les premières lignées de cellule bêta pancréatique humaine fonctionnelle, capables de produire de l’insuline. Cette découverte permet de mieux étudier en laboratoire le fonctionnement exact de ces cellules pour mettre au point les thérapies utiles.
Une grande première a eu lieu, en 2011 également, à la fois au Centre hospitalier universitaire de Montpellier et à Padoue en Italie : des chercheurs ont non seulement mis au point un pancréas artificiel mais ils l’ont aussi implanté sur deux patients. Cet appareil est constitué d’un capteur sous-cutané qui mesure en permanence le taux de glycémie du patient, et d’une pompe à insuline, pas plus grosse qu’un « Smartphone », qui injecte, lorsque c’est nécessaire, l’hormone. L’enjeu de cette découverte est de faire passer son autonomie, de quelques heures à plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ce qui révolutionnerait la vie des diabétiques.
Une des équipes de l’Inserm est parvenue à transformer chez des souris des cellules du pancréas non productrices normalement d’insuline en cellules productrices d’insuline (8). Ces cellules peuvent être régénérées au moins 3 fois et combattre un diabète induit à plusieurs reprises. Il reste à démontrer que ce processus est transposable à l’homme à l’aide de médicaments inducteurs.
Une équipe du MIT aux Etats-Unis travaille à la mise au point de polymères biocompatibles qui, à l’aide de capteurs, relâcherait automatiquement l’insuline qu’elles contiendraient en fonction des besoins de l’organisme. Cette nouvelle insuline « intelligente » résoudrait pratiquement tous les problèmes du diabète en évitant l’alternance des hypo et hyper glycémies nuisibles à la santé du patient.
Enfin, un nouveau capteur – lecteur de glycémie est arrivé en 2016 sur le marché : c’est un appareil d’auto-surveillance du glucose collé à même la peau. Cela constitue une véritable libération pour les diabétiques de type 1 et 2 sous insuline en les affranchissant de la piqure au bout du doigt pour ce contrôle de la glycémie, beaucoup plus contraignante et en réduisant le temps passé en hypoglycémie. Et grâce à son application smartphone, il suffit désormais d’un bref contact entre le capteur et le téléphone pour obtenir son taux de glucose.
En attendant que ces recherches donnent des résultats tangibles, il faut continuer à se mobiliser en France, au Maroc et dans le reste du monde pour lutter contre ce fléau, et notamment lors de la journée mondiale du diabète, le 14 novembre 2016, à laquelle s’associe l’association marocaine des maladies auto-immunes (AMMAIS).
Dr Moussayer Khadija
Spécialiste en médecine interne et en gériatrie
Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
Vice-présidente de l’association marocaine des intolérants et allergiques au gluten (AMIAG)
Secrétaire générale de l’association des médecins internistes du Grand Casablanca (AMICA)
Vice-présidente de l’association marocaine de la fièvre méditerranéenne familiale (AMFMF)
Références :
1/ Harjutasalo V, Sjöberg L, Tuomilehto J. Time trends in the incidence of type 1 diabetes in Finnish children: A cohort study.Lancet, 2008;371:1777–82.
2/ Observatoire national diabète enfant et adolescent de l’association Aide aux jeunes diabétiques (AJD).
3/ Hettiarachchi KD, Zimmet PZ, Myers MA. Dietary toxins, endoplasmic reticulum (ER) stress and diabetes. Curr Diabetes Rev, 2008;4:146–56.
4/ Lamb MM, Myers MA, Barriga K, Zimmet PZ, Rewers M, Norris JM. Maternal diet during pregnancy and islet auto -immunity in offspring. Pediatr Diabetes. 2008;9:135–41.
5/ Bach JF et al Eat Dirt – The Hygiene Hypothesis and Allergic Diseases. N Engl J Med. 2002;347:911.
6/ Bisgaard, H and all, reduced diversity of he intestinal microbiota during infancy is associated with increased risk of allergic disease at school age. Journal of Allergy and clinical Immunology. DOI /10.1016/j.jaci.2011.04.060.
7/Mohr SB, Garland CF, Gorham ED, Garland FC. The association between ultraviolett B irradiance, vitamin D status and incidence of type 1 diabetes in 51 regions worldwide. Diabetologia, 2008 Jun 12.
8/ Keith Al-Hasani and all. Adult Duct-Lining Cells Can Reprogram into ß-like Cells Able to Counter Repeated Cycles of Toxin-Induced Diabetes.Developmental Cell, Volume 26, Issue 1, 86-100, 27 June 2013.
1 Comment
Merci beaucoup docteur de nous renseigner sur ces maladies qui nous guettent. C est très très très intéressant. Ce que vous nous expliquer là.