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Lycée Abdelmoumen (Oujda) : grandeur et décadence

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Une impression de dégoût et d’écœurement ! Et j’aurais recherché dans la langue française le restant des jours qui me restent à vivre d’autres mots qui rendent mieux cette impression de dégoût et d’écœurement que je n’en trouverais pas ! Voilà ce que j’ai ressenti le seuil franchi du lycée Abdelmoumen, témoin illustre de la carrière de bien de grands hommes ayant frotté leurs derrières sur les bancs de ses tables. J’y étais moi-même à la fin des années soixante.  Il y a de cela un peu plus de 40 ans. Un demi-siècle presque ! Un âge !

La plupart des tables que je vois devant moi, fissurées, crevassées, fendillées, labourées, craquelées, dont il manque à beaucoup une aile, un côté, un pan, un panneau, offrent l’impression d’appartenir à l’âge de la pierre et qu’elles ont été conçues pour servir l’homme de la caverne et que si elles étaient là c’était justement pour témoigner de l’époque de l’âge de pierre et de l’homme de la caverne qui les auraient utilisées à l’aube de l’intelligence.

Je me revois, tout frais de jeunesse, et me rappelle que ces tables d’élèves qui étaient comme moi dans toute leur jeunesse et dans toute leur fraicheur, me paraissaient à cette époque un luxe digne des seuls enfants des classes nobles de la société, moi qui écrivais sur les genoux ou sur la table basse qui vacillait sur ses trois pattes, quand celle-ci ne remplissait pas l’office pour lequel elle a été faite par maitre Menuisier.  Je revois de la même manière la chaise sur laquelle s’étaient assis nos professeurs qui étaient pour la plupart des français, des ‘’roumis’’. Elle est encore là, encore plus vieillie que je ne le suis, plus enlaidie par l’âge, l’usage et l’usure du temps et de l’homme. Seuls en ont et s’en servent à présent quelques vendeurs de cigarettes au détail qui tiennent commerce au coin de la rue et qu’ils avaient pour quelques sous acquise au marché aux puces. Elle est toujours d’usage au lycée Abdelmoumen, et les professeurs de ce lycée l’utilisent comme les ‘’roumis’’ d’il y a un demi siècle mais un demi siècle plus tard. Ils contribuent à au parachèvement de son utilisation jusqu’à son usure.

La cour du lycée, quant à elle, elle n’a rien à envier aux terrains vagues laissés à l’abandon ou aux terres arables laissées en friches. Elle est là dans sa nudité hideuse et son aridité, poussiéreuse les mois secs et boueuse les mois de pluie, avec ça et là quelques arbres comme il n’en subsiste que là ou dignes de figurer dans le bois de Sidi Maafa. Elle offre le spectacle de la désolation, de la misère, de la ruine.

La salle des professeurs est le lieu qui devrait le mieux refléter le confort ou le malaise de ses hôtes. Une table plus grande que celle d’un ping pong, plus petite que le court d’un tennis occupe la salle dans ses trois quarts. Deux bancs de jardin public longs chacun de 2 m et plus, de conception archaïque et grossière, faits conjointement par le concours de maître Menuisier et de maître Forgeron, forment angle autour de la table. Le tout baigne dans une atmosphère de nudité froide et lugubre.

J’avais beau scruter du regard avec ce qui me reste de lumière dans les yeux, les parois des murs des salles de classes où j’étais appelé à accomplir le devoir de surveiller les candidats au baccalauréat, à la recherche d’un interrupteur ou d’une prise de courant. Tout juste si j’avais vu un trou de la rondeur et de la profondeur d’un pot à glace d’où pendent deux fils sans vie. J’en ai conclu que ce lycée devait s’éclairer au soleil et que la nuit il sombrait dans les ténèbres.

Si la misère avait un autre nom plus dissonant à l’oreille, plus rugueux dans la gorge, qui fasse à la fois frissonner et suer, il aurait mieux convenu à rendre le sens que je voulais à ce mot si commun et qui ne s’applique que légèrement à l’état de dénuement et de déclin du lycée Abdelmoumen.

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