« Si Dieu nous prête vie ».roman de Instissar haddiya

tayeb zaid

Le lecteur qui ouvre ce livre pour le lire comme un roman de société dans une perspective proche de ceux qu’il avait l’habitude de feuilleter et de lire, se heurte à identifier son genre et à se familiariser avec les outils linguistiques et narratifs qui le structurent. En effet, quand nous ouvrons un livre aux premières pages avec l’intention de lire un roman, se dresse dans notre esprit sa texture, son tissu narratif que nous avons en mémoire et qui nous servent de guides et de balises. Est-ce un roman ? Les différents chapitres et sous-chapitres qui le composent peuvent-ils être considérés comme des mémoires d’un médecin sur ses patients ? Ou comme un cahier journal de personnes atteintes d’insuffisances rénales ? Ou comme des témoignages de personnes malades ? Ou est-ce tout ça dans un seul livre ? Disons que c’est un livre et c’est tout. Mais comment donc le lire ? Or le livre ‘’Si Dieu nous prête vie’’ ne se laisse pas pénétrer par cette porte. Il faut donc emprunter un autre chemin pour se retrouver dans ce vaste espace situé entre le littéraire et le scientifique, le narratif et le témoignage de personnes physiques ou de personnages fictifs.
Tout d’abord, l’emploi d’un système verbal qui place sur le même pallier deux formes de narration : récit et discours, ou monde narré et monde commenté, ou encore deux énonciations différentes me semble contrevenir aux règles de la narration. Sans raison apparente, ou pour une raison qui est sienne, l’auteure emploie à bon ou à mal escient l’un et l’autre des modes de narration sans en dresser des barrières qui sépareraient les époques, celles de la narration de celles du déroulement des faits, celles de la contemporanéité du narrateur de celles qui lui sont antérieures. Deux modes de narration distincts et distants pour installer l’histoire, l’une dans une époque révolue, coupée de l’actualité du narrateur, l’autre qui lui est contemporaine et le passage de l’une à l’autre nécessite la mise en place de repères linguistiques qui serviraient de barrière de sécurité ou de’’ garde fous’’ pou le lecteur.
Or au discours que voici : [’’ Ce jour-là, elle A même RAMENE ce livre à la séance de dialyse. Elle CONTINUE de le feuilleter et SEMBLE transportée par chacune des illustrations. A la fin de la séance……, elle S’HABILLE …et VA …..une interne qui S’EST récemment CHARGEE de son cas, et qu’elle aimait.’’ (chapitre IV, page 62, paragraphe 2) ]fait directement suite le récit que voilà et avec lequel il cadre mal et de manière peu commune :[‘’ L’interne avenante et sympathique comme à son habitude, en voyant Maryam sur le pas de la porte de la salle de consultation SOURIT et lui DEMANDA de rentrer. Elle voulait justement savoir si on lui avait fait des prélèvements sanguins cette semaine. Celle-ci HOCHA la tête dans un geste hâtif. Son interne semblait occupée comme à son habitude.’’] ( chapitre IV, page 62, paragraphe 3)
L’altération au mode de narration de paragraphe à paragraphe peut être admise et peut-être aussi acceptée comme un écart par rapport aux canons d’une norme plate et monotone. Si toutefois on prenait la chose par le bon côté ! En vérité, le paragraphe 2 et 3, le premier dans le discours, le second dans le récit devraient tous deux être ancrés dans la situation d’énonciation car relevant de l’actualité du narrateur et dans son cadre spatio-temporel ‘’ici et maintenant’’ ou dans son ‘’hic et nunc’’ comme disent les linguistes.
Toutefois et dans le même paragraphe (Chapitre IV, page 62, paragraphe 3), l’auteure passe du récit avec lequel il a commencé le paragraphe pour continuer sa narration dans le discours.
a-[‘’ L’interne avenante et sympathique comme à son habitude, en voyant Maryam sur le pas de la porte de la salle de consultation SOURIT et lui DEMANDA de rentrer. Elle voulait justement savoir si on lui avait fait des prélèvements sanguins cette semaine. Celle-ci HOCHA la tête dans un geste hâtif. Son interne semblait occupée comme à son habitude.’’ (chapitre IV, page 62, paragraphe 3) ] ;b-[’’Elle S’EST RENDU COMPTE en la voyant qu’elle n’avait toujours pas pris connaissance des résultats du dernier bilan’’].(chapitre VI, page 62, paragraphe 3) ; c-[‘’Elle DECIDA de le faire dès qu’elle aurait terminé la tâche qu’elle effectuait au moment où la petite Maryam avait fait irruption dans la salle de consultation, puis REPLONGEA dans le dossier, gisant sur le bureau en face d’elle et y NOTA quelques résultats.’’] ( chapitre VI, page 62, paragraphe 3)
Les énoncés a-b et c font tous trois partie du même paragraphe. Ils sont de la même époque dans laquelle les événements se déroulent. Ils relèvent tous de la contemporanéité du narrateur. Pourtant, l’auteure passe du récit au discours puis du discours au récit sans raison apparente.
Schématisons : a-énoncé coupé de la situation d’énonciation…>b-énoncé ancré dans la situation d’énonciation….>c- énoncé coupé de la situation d’énonciation.
Ceci dit, les personnages du livre forment une famille dont les membres se partagent la même maladie, l’insuffisance rénale et le même espace, le centre de dialyse. Ce livre peut être lu comme les mémoires ou les témoignages d’un médecin dans lesquels il relate la vie quotidienne de dialysés de manière discrète, effacée, disons omnisciente. Il est vrai que le narrateur demeure distant vis-vis de ses personnages et agit en sa qualité de narrateur et non de médecin. Toutefois, il ne peut pas s’empêcher, son métier l’exige, de recourir aux notes de bas de pages pour expliquer ou définir certains mots savants, ce qui confère au livre un caractère de vulgarisation scientifique.
Les personnages s’estiment chanceux d’avoir une place sous la machine à dialyse. Ils s’agrippent à la vie en attendant une possible greffe. Saadia, une femme de 83 ans, Nadia et ses tests de grossesse négatifs, Chérif et sa licence de philosophie, Rachida au caractère difficile qui réussit à se faire greffer, Zoubida et son mariage avec Mokhtar ; Malgré leur maladie, la vie continue son train et les malades continuent à nourrir des espoirs.
En conclusion, la répartition du livre en chapitres et sous-chapitres me semble manquer de pertinence. Toutefois, il est écrit dans une langue commune destinée au large public.
Si Dieu nous prête vie; Intissar Haddiya, Saint Honoré éditions-Paris





Aucun commentaire