Qui sème le vent récolte la tempête
Mustapha HMIMOU
L’article publié par Mediapart le 7 novembre 2025, intitulé : Près d’un élève sur deux est victime de violences sexuelles en ligne ou hors ligne, illustre tragiquement la justesse du vieil adage : qui sème le vent récolte la tempête. La révolution sexuelle, présentée depuis près de six décennies par les soixante-huitards comme un progrès, sème toujours un désordre profond. Et ce ne sont pas seulement les enfants qui voient leur vie sacrifiée sur l’autel d’une liberté sexuelle débridée, mais l’ensemble de la société qui en paie aujourd’hui le prix fort.
S’appuyant sur des entretiens avec des psychiatres et des témoignages d’agresseurs sexuels, l’ouvrage Le livre noir de l’industrie rose, dénonce la diffusion de scènes pornographiques, qu’elles soient explicites ou plus subtiles, à travers la télévision, la presse, la publicité et Internet. Il estime que cette omniprésence, parfois tolérée par les institutions, peut favoriser des comportements sexuels déviants chez certaines personnes et produire un effet criminogène…
Cette industrie mercantile, issue d’un capitalisme sauvage, fragilise la famille et le développement affectif des enfants et des adolescents. Elle banalise les conduites sexuelles débridées et dégrade l’image de la femme, réduite à un objet de consommation, exhibée aguichante au gré des désirs des machistes.
Le scandale d’Epstein illustre que ces dérives monstrueuses se retrouvent orchestrées jusqu’aux hautes sphères de la société et n’épargnent surtout pas la vulnérabilité des mineurs. Une réalité amère que confirment d’autres affaires, impliquant des personnalités illustres à l’international contre d’autres modestes victimes.
La normalisation de la liberté sexuelle peut façonner, dès la naissance, des parcours d’enfance fragilisés. L’auteur du roman Les Particules élémentaires, en offre un exemple fréquemment évoqué. Confié très tôt à sa grand-mère, attachée à des repères traditionnels que certains modernistes considèrent comme obsolètes, il a grandi en marge d’un cadre familial structuré. Après la disparition de cette figure protectrice, son existence a été marquée, selon ses propres récits, par des ruptures et un sentiment de décalage. Son œuvre témoigne d’une méditation persistante sur les effets d’une sexualité libérale devenue norme culturelle..
Cette trajectoire illustre comment cette révolution sexuelle peut fragiliser la famille, sacrifier l’équilibre nécessaire à l’enfance et perturber l’ordre social. Dans son ouvrage en arabe Ouful Al-Gharbe (Le déclin de l’Occident), Hassan Aouride consacre à ce phénomène un chapitre entier, intitulé : Est-ce que la révolution sexuelle a libéré l’homme ? Bien sûr que non. Elle l’a plutôt bien asservi sous le joug de ses pulsions exacerbées.
Dans Les Particules élémentaires, l’auteur s’inspire librement de son propre vécu pour décrire, à travers ses personnages, les effets d’une enfance marquée par l’éclatement familial. Ses doubles fictionnels, les demi-frères Michel et Bruno, grandissent dans un univers qu’ils n’ont pas choisi, façonné par les expérimentations de l’époque, sans repères stables. Privés d’un cadre affectif solide, ils se heurtent très tôt à la solitude, à la frustration et au vide existentiel que le roman met en scène avec une intensité particulière.
Pour sortir de ce malheur qui frappe dès l’innocence de l’enfance, l’auteur imagine, de manière volontairement grotesque, le projet de Bruno, chercheur au CNRS, qui consiste à renoncer au genre humain tel qu’il existe et à concevoir un nouveau genre post-humain asexué, cloné en laboratoire. Dans cette logique radicale, si l’enfant ne peut compter sur des parents dignes et responsables, mieux vaudrait, selon cette fiction extrême, qu’il ne naisse pas pour affronter un monde de souffrance qu’il n’a pas choisi. Une question surgit alors presque malgré soi : un être cloné de cette manière serait-il créé directement adulte pour éviter toute phase de dépendance infantile ? Question absurde, évidemment, pour une issue entièrement fantasmée, et dont la démesure souligne encore davantage l’impasse de cette vision.
Fantasme qui illustre l’aveuglement que peut produire la révolution sexuelle, jusqu’à laisser croire que l’humanité entière serait irrémédiablement corrompue. Or, dans les sociétés traditionnelles, surtout dans le Sud Global, en Afrique comme en Asie, la sexualité demeure strictement encadrée. Mariage, famille et communauté assurent protection, continuité des valeurs et sens de l’existence. Les enfants y grandissent dans un cadre stable, capable de prévenir le désarroi et le vide affectif. L’auteur lui-même, confié très jeune à sa grand-mère après une enfance heurtée, a trouvé auprès d’elle un refuge qui a structuré ses premières années. Cette “voie naturelle” qu’il a connue contraste fortement avec les solutions extrêmes imaginées dans son roman, et aurait sans doute mieux préservé ses personnages que tout scénario de clonage fantasmé.
Avec la mondialisation, le Sud Global n’est pas complètement à l’abri des effets de la révolution sexuelle. Cependant, ses sociétés, notamment en Afrique et en Asie, y résistent autant que possible, mobilisant leurs moyens pour éviter qu’elle ne devienne la norme. Le moindre écart rendu public peut provoquer un scandale suffisamment retentissant pour freiner toute tentative de normalisation. En Occident, cette vigilance sociale est moins présente. Lorsqu’elle se manifeste, elle est parfois perçue comme réactionnaire, car elle semble contredire le dogme d’une révolution sexuelle promue comme progressiste et susceptible d’être étendue à l’échelle mondiale.
Les intellectuels et les médias en dénoncent parfois les excès et les dérives lorsque le scandale est assez gros pour être ignoré, comme le note l’article de Mediapart. Dans le même temps, ils n’hésitent pas à critiquer le modèle traditionnel salutaire bien visible chez les immigrés du Sud global vivant parmi eux et cherchent plutôt à les assimiler, en les acculturant selon les mêmes normes dont ils dénoncent les effets scandaleux..
Ainsi, cet article, comme le roman d’Houellebecq et l’ouvrage de Guyénot, souligne les effets d’une civilisation en crise, lorsque certains enfants y grandissent privés d’un cadre familial stable et d’une responsabilité affective durable. Ce manque se transmet alors d’une génération à l’autre et nourrit ce même vide existentiel que l’on observe chez les deux protagonistes des Particules élémentaires. Il n’est donc pas surprenant de voir ces répercussions se manifester chez de nombreux jeunes aujourd’hui, jusque dans les établissements scolaires.
Pourtant, ce genre d’écrit critique aurait pu servir de cri d’alerte et d’appel à reconnaître que des modèles sociaux capables de réguler le désir et de protéger l’enfance existent toujours. Mais ironiquement, ces solutions traditionnelles, naturelles et salutaires sont ignorées dans ce roman, au profit d’un fantasme absurde, celui de créer, en désespoir de cause, un hypothétique genre post-humain cloné..
Cependant, toutes ces critiques qui émergent aujourd’hui du cœur même de l’Occident devraient constituer une leçon précieuse pour le Sud Global, afin qu’il ne tombe pas dans les mêmes travers de cette révolution sexuelle qui prétend pourtant s’imposer comme universelle. Sinon, quiconque sème le vent ne devrait pas s’étonner quand il récolte la tempête.





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