Implications de la rencontre de Barcelone des Marocains du monde

Par : Salah Eddine El Manouzi
La ville de Barcelone en Espagne a accueilli, le samedi 6 décembre 2025, un important colloque international organisé par le Conseil civil démocratique de la migration marocaine. L’événement s’est penché sur la place des Marocains du monde dans l’espace européen en mutation et sur les enjeux du partenariat stratégique, avec un focus particulier sur le modèle des relations maroco-espagnoles. Cette rencontre a constitué une étape qualitative, non seulement par son contenu, mais aussi par son timing, son lieu et les conditions de son organisation. Voici les principales significations qu’a portées cet événement :
1.La signification temporelle – Entre deux constitutions et deux réalités
La tenue du colloque a coïncidé avec la célébration par le peuple espagnol de la Fête de la Constitution, le 6 décembre, un texte fondamental qui fonde la démocratie espagnole et les droits de ses citoyens. En parallèle, bien que quatorze années se soient écoulées depuis l’adoption de la Constitution marocaine de 2011, la mise en œuvre des droits constitutionnels des Marocains du monde — en particulier ceux de l’article 17 relatif à la citoyenneté complète — demeure entravée. Ce contraste entre une constitution pleinement appliquée et une autre partiellement figée résume une part du problème qui caractérise la relation entre l’État marocain et sa diaspora.
2. La signification du lieu – Barcelone comme symbole politique et humain
Le choix de Barcelone n’était pas fortuit. La ville est l’une des voix européennes les plus solidaires du peuple palestinien, tant au niveau institutionnel que sociétal. Ainsi, la rencontre portait un message clair de reconnaissance envers la position, populaire et officielle, qui s’oppose aux agressions répétées contre Gaza, et soulignait l’importance de la convergence éthique et humaine entre les Marocains du monde et leurs partenaires européens.
3. Une participation de qualité reflétant l’évolution sociologique de la migration marocaine
Le colloque a été marqué par la présence de Marocaines et Marocains venus de plusieurs pays européens (Espagne, France, Belgique, Italie, Pays-Bas, Allemagne, Danemark), en plus d’intervenants venus du Maroc représentant différentes générations. Cette diversité professionnelle et générationnelle illustre l’évolution de la migration marocaine, qui ne se limite plus à la main-d’œuvre, mais inclut désormais des compétences hautement qualifiées dans divers domaines économiques, sociaux et culturels.
4. Une approche globale et multidimensionnelle
Les travaux du colloque ont traité la question migratoire et les relations maroco-européennes à travers des angles complémentaires, notamment :
la géopolitique et les transformations de l’espace européen,
les relations maroco-espagnoles et le rôle de la diaspora dans leur renforcement,
l’importance de la culture comme pont entre les deux rives,
la relation entre migration, santé et valeurs éthiques,
le rôle des médias dans la défense de la participation politique des Marocains du monde,
la question des mineures non accompagnées,
les attentes des nouvelles générations de la diaspora.
Cette diversité montre une conscience accrue de la nécessité d’aborder ces questions selon une logique intégrée, loin des lectures fragmentaires traditionnelles.
5. Un cadre de référence fondé sur les droits humains
La rencontre a eu lieu à la veille de la Journée internationale des droits humains (10 décembre) et de la Journée internationale des migrants (18 décembre), conférant au débat une dimension pleinement humaniste. Les participants ont rappelé les recommandations de l’Instance Équité et Réconciliation, affirmant que la réconciliation nationale passe par la garantie des droits des Marocains du monde, notamment en matière de citoyenneté, de participation politique et de protection juridique.
6. Des analyses croisées sur les enjeux maroco-européens
Les intervenants ont analysé en parallèle les réalités marocaine et européenne en mettant en relief les défis stratégiques actuels, dont :
le besoin croissant de l’Europe en main-d’œuvre face au vieillissement démographique,
l’importance des transferts financiers des Marocains du monde pour l’économie nationale,
la nécessité d’élaborer des politiques publiques adaptées aux transformations de la migration.
Les visions ont convergé vers l’importance de renforcer le dialogue stratégique entre le Maroc et ses partenaires européens sur la base d’un intérêt mutuel et d’une relation équilibrée.
7. Un appel explicite à bâtir un nouveau partenariat stratégique
Les participants ont évoqué les forces et faiblesses des relations maroco-européennes, à la lumière des récentes discussions entre le Maroc et l’Espagne. La rencontre a ainsi souligné la nécessité d’associer les Marocains du monde à l’élaboration d’un nouveau modèle de partenariat fondé sur l’équité, le respect des droits et les intérêts réciproques.
8. Plaidoyer contre le gâchis du temps politique et pour la participation politique
La rencontre de Barcelone a ravivé une question centrale :
« Qui bloque la participation politique des Marocains du monde ? »
Une question déjà soulevée lors d’une conférence de presse à Rabat le 25 avril 2025, et restée sans réponse concrète. Plusieurs interrogations ont été posées avec insistance :
Pourquoi l’État marocain continue-t-il de traiter la diaspora comme des « citoyens de seconde zone » ?
Pourquoi les orientations royales appelant à garantir leurs droits politiques ne sont-elles pas appliquées ?
Pourquoi les partis politiques obéissent-ils aux injonctions du ministère de l’Intérieur refusant d’allouer des circonscriptions législatives aux Marocains de l’étranger ?
Les intervenants ont insisté sur la levée du veto du ministère de l’Intérieur, sur l’adoption d’une nouvelle loi du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et sur la responsabilité du Parlement et des partis dans la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles pertinentes.
9. Vers une nouvelle vision des Marocains d’après le 31 octobre
La rencontre a confirmé que la défense des droits des Marocains du monde nécessite l’unification du tissu associatif, son renforcement, et la constitution d’alliances avec les forces démocratiques au Maroc, afin de rompre avec le modèle d’une « citoyenneté à deux vitesses » et d’ouvrir une nouvelle perspective fondée sur la citoyenneté pleine et entière, la participation politique et la contribution de la diaspora à la construction du Maroc de demain.
Ainsi, la rencontre de Barcelone n’a pas été un simple colloque, mais une étape politique et intellectuelle majeure visant à redéfinir la relation du Maroc avec sa diaspora et à ouvrir un débat profond sur l’avenir de la migration marocaine dans un contexte international en pleine mutation.
Amiens, le 8 décembre 2025





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