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Les jeunes MRE sont-ils aussi des citoyens marocains à part entière ?

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                                           Par Abdelkrim Belguendouz
                                           Universitaire à Rabat , chercheur en migration

Pour célébrer cette année la Journée Nationale de la Communauté marocaine résidant à l’étranger , instituée par le Souverain depuis 2003 , le ministère des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de la migration a bien fait en retenant le thème suivant : « Nos jeunes à l’étranger : potentialités et défis d’avenir  » . L’occasion était donnée de faire le point sur la politique gouvernementale en la matière , en procédant aussi bien au diagnostic du secteur qu’aux mesures prises , à leur évaluation et aux défis qui doivent être affrontés .

L’état des lieux a été entrepris , nous a t-on dit , grâce à un certain nombres d’études et d’enquêtes qui ont été lancées par le département dit « de tutelle »et dont certains résultats ont été rappelés durant cette journée ou en marge de cette occasion , par le biais d’une campagne de communication qui a mobilisé plusieurs supports médiatiques . Cependant , on aurait aimé qu’en plus de cet effort en terme de « com », le ministère concerné publie intégralement sur son site les études et rapports en question pour élargir l’information d’une part , et d’autre part pour qu’un véritable débat informė puisse publiquement avoir lieu , en prenant en considération la méthodologie et la démarche qui sont à la base de ces investigations , de leurs résultats et des politiques publiques marocaines qui en découlent .

 La parole ministérielle du 10 août 2016

Ainsi , dans une interview publiée le 10 août 2016 sur les colonnes du journal « Aujourd’hui le Maroc » , le ministre Anis Birou affirme que ces études ont permis de relever plusieurs constats objectifs , qui appellent des mesures et des actions cohérentes en la matière de la part du Maroc .  Parmi les éléments qui ont retenu notre attention , figure le passage suivant :  » les besoins de ces jeunes sont généralement liés au renforcement de leur lien avec le Maroc , A LA PARTICIPATION À LA VIE POLITIQUE  et associative DANS LES PAYS D’ACCUEIL , ainsi qu’à l’insertion dans le marché de l’emploi . Il est donc nécessaire pour nous de les accompagner(…) » .
Mais quelle est la nature de cette relation qu’il s’agit de consolider avec le Maroc ? S’agit-il simplement du rapport économique et financier , dans le cadre d’une vision utilitariste qui reste prégnante , ou bien aussi du seul lien culturel et cultuel ? Quid par contre de la dimension de la citoyenneté pleine en entière , avec ce que cela implique comme devoirs et obligations , mais aussi comme droits , notamment et y compris au plan démocratique et politique ?

Or sur ce dernier terrain , les besoins et attentes des jeunes marocains à l’étranger se situeraient selon les propos cités , par rapport à leur pays d’accueil et uniquement par rapport à ces pays , à l’exclusion du Maroc ! On voit clairement où ce type d’analyse veut en venir : ces jeunes doivent s’intégrer politiquement dans leur pays d’accueil et se désintégrer politiquement par rapport au Maroc ! La suite , on la connaît : il s’agit pour le Maroc d’accompagner ces jeunes dans leur intégration dans les pays d’immigration et ne rien faire qui irait à l’encontre de ce mouvement . Accorder à ces jeunes des droits politiques par rapport au Maroc , revient selon cette vision , à parasiter l’intégration dans les pays d’accueil , la contrer et l’empêcher pratiquement .

  Dans la lignée des responsables du CCME...

Ce faisant , le ministre poursuit l’action dans le même sens que celui prôné notamment par les responsables du CCME . Rappelons-nous cette déclaration , faite au journal « Le Matin du Sahara  » du 10 mars 2008 , dans laquelle Driss El Yazami , en tant que président de cette institution nationale consultative , invoque des mutations structurelles parmi les immigrés marocains au sein des pays de réception pour récuser la légitimité de leur reconnaissance de droits politiques par rapport au Maroc :  » Ces terres d’accueil sont en train de devenir progressivement leurs propres pays et non seulement des pays de résidence (…) IL FAUT QUE LA POLITIQUE GÉNÉRALE DU MAROC RÉPONDE AU PRINCIPE D’ACCOMPAGNEMENT DE L’INTÉGRATION DES MAROCAINS RÉSIDANT À L’ÉTRANGER DANS LEUR SOCIÉTÉ D’ACCUEIL ET NON ENTRAVER CETTE INTÉGRATION  » .

Relevons également cette position de Abdellah Boussouf , secrétaire général du CCME , développée le 28 mai 2014 dans le cadre de l’émission « Moubacharatan Maâkoum » , consacrée par la chaîne de télévision 2M au dossier de la représentation politique au Maroc des Marocains du Monde  . S’agissant plus particulièrement des nouvelles générations de Marocains établis à l’étranger ,  » le défi auquel on doit faire face est la nécessaire intégration totale ( de la communauté marocaine à l’étranger ) dans les pays d’accueil . Le suivi d’un projet sociétal à l’intérieur de l’Europe , ne laisse nullement le temps suffisant pour l’implication dans un autre projet sociétal dans un autre pays , à plusieurs milliers de kilomètres là-bas . Dans cette situation , on serait dans une position contradictoire : opposition dans les références , conflits d’intérêts entre les pays . Le moindre problème qui surgit entre les pays concernés , pourrait donner lieu à une très grave crise… » .

N’est-ce pas dés lors prêcher explicitement l’intégration politique dehors et par un choix délibéré « la désintégration » politique dedans ? Plaider ainsi officiellement pour l’intégration politique des Marocains résidant à l’étranger exclusivement dans les pays de séjour , ne serait-il pas une formule pour délégitimer et mieux les écarter de la nécessaire représentation politique au sein du parlement marocain ?

    Retour aux sondages BVA instrumentalisés de 2009 et 2010

Cette attitude du ministre Birou est d’une étrange similitude avec la situation prévalant sept années et six années auparavant , lorsque les responsables du CCME ont instrumentalisé deux sondages , en tendant d’accréditer l’idée selon laquelle les jeunes MRE en particulier n’avaient aucun intérêt pour la politique au Maroc , et que cet intérêt politique était exclusif pour les pays de séjour . Le premier est celui réalisé par l’institut BVA du 16 mars au 18 avril 2009 à la demande du CCME auprès d’un échantillon de 2819 personnes marocaines ou d’origine marocaine ( 1ère et 2ème générations ) âgés de 18 â 65 ans et vivant dans les six pays européens suivants : France , Italie , Espagne , Belgique , Pays -Bas , Allemagne .

La participation des sondés a été relevée dans divers domaines aussi bien dans le pays de séjour que par rapport au Maroc , sauf dans celui de l’intérêt pour la vie citoyenne et politique : intérêt à l’actualité politique , à l’inscription sur les listes électorales … où n’ont été étudiées que les perceptions en pays de résidence et non pas également par rapport au Maroc , ce qui pose une série de questions sur l’objectivité et la crédibilité des résultats obtenus et leur interprétation sociologique et politique .

La même lacune méthodologique grave renvoyant au refus d’inscrire la question de la pleine citoyenneté par rapport au Maroc dans les sondages d’opinion concernant les attentes et aspirations politiques des sondés , s’est retrouvée un an plus tard en mars et avril 2010 dans le sondage auprès de 3000 jeunes marocains à l’étranger réalisé cette fois par BVA dans les mêmes six pays pour le compte commun du CCME et du ministère chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger .

Le CCME déjugé

Or en dépit de nombreuses « précautions » des responsables du CCME , certaines des recommandations politiques du Premier forum des jeunes marocains du monde , co-organisé à l’Université Al Akhawayn à Ifrane les 27 et 28 juillet 2010 par le CCME et le ministère de la communauté marocaine résidant à l’étranger , sont allés diamétralement à l’opposé de ce qu’on voulait que le sondage BVA accrédite , à savoir l’inexistence ou la perte de tout lien politique des nouvelles générations nées ou grandies à l’étranger avec le Maroc . En effet , les conclusions  de l’atelier « s’engager en politique : enjeux et perspectives » , ont relevé le constat qu' »il y a à la fois la volonté d’engagement politique dans les pays de résidence  » , mais aussi de  » RENFORCER L’ENGAGEMENT POLITIQUE AU MAROC » , avec ce que cela implique , notamment la représentation à la chambre des députés .

Une autre recommandation , complémentaire de la précédente , consiste en la « représentation des MRE à la seconde chambre , qui nécessiterait une réforme constitutionnelle  » . Les dernières propositions consistent à « avoir des MRE dans toutes les instances travaillant ( au Maroc) sur le sujet  » et à organiser sur les précédentes thématiques une université d’automne .

Cette rencontre sur les jeunes marocains du monde a bien eu lieu à l’Université de Marrakech six années plus tard au printemps 2016 durant laquelle dés l’ouverture , le ministre Birou annonçait « l’impossibilité » de faire voter les MRE pour le scrutin législatif du 7 octobre 2016 , à partir des pays de résidence …

Une politique à l’opposé des orientations officielles de l’Etat

Toujours est-il que la déclaration faite par le ministre Birou à « Aujourd’hui le Maroc » du 10 août 2016 , est de notre point de vue , en porte à faux avec les articles 16 et 17 de la Constitution marocaine rénovée . Elle est en même temps en totale contradiction avec deux décisions royales capitales énoncées dans le discours royal fondateur du 6 novembre 2005 . Il s’agit  en premier lieu , de faire représenter les MRE à la chambre des députés à partir de circonscriptions électorales législatives de l’étranger . En plus de la décision précédente ouverte à toutes les générations de Marocains à l’étranger , il s’agit en second lieu d’élargir le droit de vote et d’éligibilité aux nouvelles générations de Marocains à l’étranger , en l’étendant aux autres scrutins qui ont lieu à l’intérieur du Maroc ( élections locales et plus tard , élections régionales ) . Cette décision a donné lieu au vote de la loi 23-06…

Enfin , certes en retenant pour le 10 août 2016 le thème des jeunes Marocains du Monde , le ministre Birou a bien fait allusion au discours royal du 20 août 2012 consacré également à la jeunesse marocaine à l’étranger , dans le cadre général des préoccupations du Souverain concernant la jeunesse marocaine dans son ensemble . Mais considérés comme nos « compatriotes » , les jeunes marocains de l’étranger ont été appelés solennellement à participer à « la construction du Maroc de demain » , dans une conception qui ne se limite pas à l’aspect économique et financier , mais qui tient comte également des dimensions sociale , culturel et environnemental du développement , sans oublier bien entendu l’aspect politique et démocratique .

Or dans la vision et la pratique des responsables du ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , ainsi que dans celles des dirigeants du CCME , ces derniers aspects tout aussi fondamentaux sont totalement occultés . Pire encore , en liaison avec un puissant lobby contre la participation politique des MRE par rapport au Maroc ,  une action méthodique est menée , avec d’énormes moyens , contre l’effectivité de la pleine citoyenneté par rapport au Maroc , des Marocains établis à l’étranger et particulièrement des nouvelles générations . Le non recadrage officiel de cette action nuisible à notre sens au Maroc et à sa communauté établie à l’étranger , encourage ce lobby dans son creusement d’une véritable fracture citoyenne !

Rabat , le jeudi 18 août 2016

Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration

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