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L’AFFAIRE SKHIRAT : Iere PARTIE : BRANLE-BAS A MEKNES /COLONEL MOHAMED MELLOUKI

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COLONEL MOHAMED MELLOUKI 28/10/2014
LE JOURNAL : LA 2ème LECTURE

L’AFFAIRE SKHIRAT :
Ière PARTIE : BRANLE-BAS À MEKNES

Le putsch de Skhirat a fait couler beaucoup d’encre et délier tout autant de langues, pour la plupart celles qui n’y étaient pas. Moi, non plus, et, donc, je ne vais pas en rajouter à mon tour. Par contre, je révèlerai, ici, un épisode concomitant, en relation à la fois indirecte parce qu’il se déroulait loin de Skhirat et directe puisque c’était dans le même contexte. Il a failli ajouter un drame au drame.
Après ‘Le miracle d’El Hajeb’- voir l’article précédent- ma condition professionnelle a repris son cours normal. Un couple ami casablancais, dont le mari était banquier à Meknes, nous avait invités mon épouse et moi, à deux reprises, à aller passer avec eux un week-end à l’hôtel ‘L’Amphitrite’ attenant pratiquement au palais royal. Les deux fois, j’ai décliné l’invitation en raison des exigences du service. La 3ème fois, le vendredi 9 juillet, jour anniversaire de Hassan II, je leur ai promis d’y répondre. En allant informer mon chef, toujours le Commandant D. B, que je comptais m’absenter le week-end, je l’ai trouvé sur son trente et un, en costume civil. Il me demanda si j’avais une raison impérieuse. Je lui fis part de l’insistance de mes amis. Il rétorqua texto : ‘ Si vous étiez venu cinq minutes plus tard, vous ne m’auriez pas trouvé ; je pars aussitôt sur Marrakech assister au mariage d’une cousine que je considère comme une soeur’. Je me devais, donc, d’assumer son intérim. J’ai eu du mal à convaincre mon épouse et mes amis qui croyaient que je leur racontais encore une blague.
Le lendemain, 10 juillet, vers 14 heures, le standardiste m’informa que le gouverneur me demandait de le rejoindre d’urgence à son bureau. Sur le coup, j’ai pensé que cela avait probablement un rapport avec le séjour du président mauritanien Mokhtar Ould Daddah qui villégiaturait, à titre privé, à Ifrane. Au moment où je m’apprêtais à entrer chez le gouverneur, je fus hélé par le commissaire divisionnaire Mr Sefrioui, chef de la Sûreté régionale- futur préfet de police et patron des R.G, qui était lui aussi intrigué par la même convocation. Nous avons trouvé le gouverneur en état presque d’hébétude. Il mit un certain temps à nous serrer la main, et observa un silence gênant. Finalement, il nous demanda difficilement si nous avions quelques informations sur ce qui se déroulait à Skhirat. Nous tombions des nus. Sortant tous les deux du bâtiment de la Province, nous avons trouvé, en bas des escaliers, un groupe de personnes autour d’un capitaine du makhzen administratif. Il nous fit part que sa sœur venait de lui annoncer le décès de son mari- amant pour certains-, le général Gharbaoui, chef des aides de camp du Roi, que je connaissais depuis six ans, quand je servais à Fes où j’étais en relation constante avec lui, durant les fréquents séjours du Roi dans cette ville, et qui me témoignait beaucoup de sympathie. Le gouverneur savait donc, à travers ce capitaine, de quoi ça retournait à Skhirat et voulait nous sonder, le commissaire Sefrioui et moi, sans dévoiler son information. Je repartis chez moi me mettre en tenue, avant de rejoindre mon bureau.
Le général Medbouh avait enjoint au général Hammou Amehrouq commandant la région militaire de Kenitra de prendre également en charge celle de Meknes devenue vacante à la suite de la mort de son titulaire- par ailleurs cousin de ce dernier- tué tout au début de l’incursion des troupes de Aabbou sur la scène. Hammou fit réunir les officiers supérieurs à qui il dévoila l’affaire. Mais il ignorait que la situation s’était retournée depuis qu’il avait quitté le Palais, par route ; ayant, ainsi, à la fois perdu du temps en faisant un détour par Kenitra et le contact avec la réalité, à Skhirat, au moment de son arrivée à Meknes. Le colonel censé y être son adjoint se trouvait être le frère du général Driss ben Aissa de l’État-major général- à ne pas confondre avec le général Driss Ben Omar-. Faussant discrètement compagnie à ‘ce patron inattendu’, le colonel contacta son frère qui se trouvait, à ce moment précis, aux côtés d’Oufkir qui venait de reprendre du poil de la bête après s’être fait prendre au piège comme un rat. Dès lors, le général Hammou, ne tardant pas à voir une colonne blindée se pointer à l’entrée de la garnison comprit que le coup avait échoué, et se rendit sans difficulté. Il fut aussitôt transféré sur Rabat par hélicoptère.
Juste après, en début de crépuscule, le général Bougrine, commandant la région de Fes, ayant, pour sa part, disposé d’un avion militaire s’apprêtait à se poser sur l’aéroport civil de Saïss. Il ignorait, lui aussi, le renversement de la situation et qu’entre-temps ordre avait été donné pour empêcher coûte que coûte son atterrissage. La piste fut obstruée par des chicanes et les feux de balisage éteints. L’avion fit depuis tour et se dirigea sur la base militaire de Meknes, qui avait reçu les mêmes consignes et pris les mêmes dispositions. Le pilote argua, alors, d’une insuffisance de carburant qui conduirait à l’écrasement de l’appareil sur la base. Informé, Oufkir autorisa l’atterrissage, et tout en ordonnant au comandant de la base d’arrêter le général, il enjoint à l’unité blindée d’aller le récupérer. Les ‘Blindés’, croyant que les aviateurs étaient passés du côté de la conjuration, foncèrent sur la piste d’atterrissage en défonçant la clôture au passage. Les aviateurs, pensant de leur côté que les intrus étaient venus libérer le général leur opposèrent une batterie de mitrailleuses. Durant presque une heure, doigt sur la gâchette, les deux bords ont baigné dans une atmosphère délétère, prêts à en découdre au moindre faux geste. Heureusement qu’Oufkir, difficilement joignable durant ce temps là, finit par être contacté et remit la pendule à l’heure.
Bien plus sérieusement par contre, et plus au Sud, le commandant de la Brigade blindée stationnée à Rachidia, le colonel Abrouq me semble-t-il, ayant reçu, lui aussi, de Medbouh ordre de marcher sur Rabat, se mit en branle et se préparait à avancer dans la direction de Meknes avant qu’Oufkir, alerté, ne donna le contre ordre et ne cloua sur place ‘ cette terrible puissance de feu’ qui aurait sûrement causé un inimaginable carnage, d’un côté ou de l’autre, si elle s’était mise en mouvement et était arrivée à Rabat.
Il y eut, cependant, dans la foulée de ces évènements, quatre intermèdes assez cocasses :
Le 1er : Pendant le même après-midi, un gradé est venu m’annoncer qu’un colonel flanqué de cinq ou six officiers des FAR, en tenue de combat et armés, attendaient à l’entrée de la caserne. Après un laps d’hésitation, je lui ai dit de les laisser entrer, mais de leur pointer une ou deux mitraillettes dans le dos, en refermant le portail. Les officiers, ayant vu la manœuvre, ont quelque peu paniqué croyant que je les ferais arrêter, ne sachant pas que moi-même je doutais de leur bonne intention. Finalement, ils venaient s’enquérir de la situation à Skhirat.
Le 2ème : Le commissaire Sefroui m’appela pour me dire que le gouverneur, apprenant la présence à proximité de son bureau d’une colonne blindée- en fait, celle qui passait seulement pour arrêter le général Hammou- s’est affolé et lui a demandé d’envoyer des renforts pour assurer sa sécurité personnelle et celle du siège. Il lui a répondu : ‘ Il faut d’abord que je les trouve !’ ; il a pouffé de rire, me dévoilant qu’en effet ils étaient cinq seulement, le commissaire central, ceux de la PJ et des RG, lui-même et son chauffeur ; tout le reste de la police s’était volatilisé. J’allais avoir moi-même, tard dans la nuit, affaire au gouverneur pour une raison autrement plus sérieuse.
Le 3ème : La surveillance de Bougrine fut confiée à un jeune capitaine de la base qui s’est laissé convaincre par le général que le coup de Skhirat avait, contrairement à la propagande, bel et bien réussi, que sa détention ne résultait que d’une bêtise du commandant de la base et que s’il le libérait et le conduisait au ‘Conseil de la Révolution’, il en serait hautement récompensé. Ils ont été surpris au moment où ils s’apprêtaient à filer hors de l’enceinte de garde, et conduits tous les deux sur Rabat. On n’a plus reparlé du capitaine, le sort de Bougrine étant connu.
Le 4ème : En plein cafouillage ci-dessus, je fus contacté par le commissaire central Allabouch- futur patron de la DST- qui me dit avoir reçu un ordre d’Oufkir pour assurer la sécurité du relais de la RTM à Sabaa Ayoun, et que l’endroit relevant de la compétence de la Gendarmerie, il me transmettait la communication. J’appelai aussitôt le commandant de la compagnie locale- le collègue qui se trouvait à mes côtés à El Hajeb au moment du passage de Aababou- et le chargeai de s’acquitter de la mission, ce qu’il fit sur le champ avec une douzaine d’éléments armés de quelques mitrailleuses. Une heure plus tard environ, il me contacte par radio pour me signaler la progression d’une unité blindée en direction du site, et me demandait la conduire à tenir. Je lui dis que je le rappellerai. J’ai aussitôt appelé à mon tour l’État-major de la gendarmerie à Rabat. Je suis tombé sur un camarade qui était l’officier de permanence. Il m’apprend que tous les officiers supérieurs étaient invités à Skhirat, qu’aucun d’eux n’avait encore réapparu depuis, qu’il se trouvait seul et lui-même désemparé et que les rares officiers subalternes qui passaient furtivement venaient surtout s’enquérir de la situation avant de repartir en toute hâte. Les choses ont fini par se passer bien au relais de Sabaa Ayoun. Le collègue m’en racontera le dénouement à la fin de la mission : Le capitaine des FAR, apercevant les gendarmes en position de tir, préféra tenir à distance son unité. Après un moment d’hésitation, il avança seul, s’arrêta dans une sorte de no man’s land et fit signe au collègue. Celui-ci acquiesça et se rendit à la rencontre. Le capitaine lui demanda de quel bord il était, le collègue répondit : ‘du service !’, l’autre rétorqua : ‘ nous sommes tous pour le service, mais de quel côté ?’ et l’autre d’insister : ‘ le service !’. Ils restèrent, ainsi, se regardant en chiens de faïence pendant un long moment, jusqu’à l’instant où l’un d’entre eux dévoila involontairement ‘ son bord’, et à l’autre de lui crier : ‘ Eh bien, mon ami, il fallait le dire depuis tout à l’heure !’. Ainsi, les choses rentrèrent dans l’ordre à Sebaa Ayoun.
Mais entre-temps, je n’allais pas tarder, pour ma part, à affronter, tard dans la nuit, une situation autrement plus sérieuse que celle racontée par le commissaire Sefrioui et à essuyer, du fait, ce soir là, probablement la plus grosse frayeur de ma vie. J’en parlerai dans un article ultérieur.

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