e pouvoir de l’argent n’a pas toujours raison
Mustapha HMIMOU
Lorsque le désormais fameux Zohran Mamdani s’est lancé dans la course à la mairie de New York, le verdict semblait acquis d’avance. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il n’ait aucune chance. Trop jeune, trop radical, trop atypique. Fils d’une famille musulmane indienne, né en Ouganda, il revendique fièrement sa foi islamique et son identité d’immigrant arrivé aux États-Unis à l’âge de sept ans, naturalisé seulement en 2018. À cela s’ajoute un engagement pro-palestinien sans ambiguïté. Autant de traits que l’establishment politique, y compris dans son propre Parti démocrate, jugeait marginaux, voire disqualifiants.
Son programme, lui non plus, ne semblait pas tenir la route. Socialiste assumé, il promettait le gel des loyers, la gratuité des crèches et des transports, ainsi qu’une hausse des impôts pour les grandes fortunes. Face à lui se dressaient le pouvoir de l’argent et les machines partisanes, bien décidés à le discréditer. Pourtant, contre toute attente, c’est lui qui l’a emporté d’une manière éclatante avec un assez large et confortable écart devant ses deux concurrents. Comment donc fut-ce possible, dans le pays de l’Oncle Sam ?
Le secret de sa victoire ne tient pas à une manne financière miraculeuse, mais à une nouvelle alchimie entre financement et mobilisation. Tandis que ses adversaires comptaient sur les grands donateurs traditionnels, Mamdani a misé sur le peuple. Il a exploité avec une redoutable efficacité le système de financement public, transformant les micro-dons de milliers de modestes sympathisants directement concernés par son programme en une force financière inédite. Chaque donateur, en finançant la campagne, ne faisait pas qu’ajouter sa propre voix le jour du scrutin ; il entraînait avec lui celles d’une multitude d’indécis et de désengagés. Il augmentait aussi, ce faisant, la part de fonds publics allouée au financement de la campagne de son candidat.
Le chiffre est éloquent : 28 978 contributeurs, pour une contribution moyenne de 88 dollars. Cette somme, modeste prise isolément, a créé une vague qui a submergé l’argent concentré de ses concurrents. Il n’a pas simplement collecté des fonds ; il a construit une base militante, transformant chaque donateur en un ambassadeur potentiel de sa cause. Ce modèle a démontré une vérité simple mais souvent oubliée : la légitimité ne se mesure pas aux montants des chèques, mais au nombre de simples citoyens prêts à investir, même modestement, une part du peu qu’ils ont dans une idée en laquelle ils croient.
Cette révolution financière n’aurait pu voir le jour sans un terreau civique extrêmement fertile. La victoire de Zohran Mamdani est aussi celle d’une société civile new-yorkaise active, organisée et autonome. Les communautés, et en particulier la communauté musulmane, n’ont pas attendu que le pouvoir public intervienne : elles avaient déjà l’habitude de prendre l’initiative, par leurs propres moyens, pour assumer des pans entiers de la solidarité, de l’éducation et de la santé, comblant ainsi les lacunes des services publics.
Sous le titre Pillars Of Community: How Muslim Americans And Religious Freedom Support The Social Safety Net, le Center for Public Justice, un groupe de réflexion chrétien, The Center for Public Justice, met en lumière comment les communautés musulmanes américaines, en exerçant leur liberté religieuse, soutiennent activement le filet de sécurité social pour toute la population. Leur témoignage démontre ainsi que le pluralisme religieux, lorsqu’il est protégé, devient une force civique essentielle qui profite à l’ensemble de la société. Le candidat Mamdani n’a pas tant créé un mouvement qu’il en est juste devenu le leader et porte-voix politique.
Ce phénomène n’est pas isolé. Chez Sadiq Khan, musulman d’origine pakistanaise, élu trois fois consécutives maire de Londres, on observe une dynamique similaire. Les associations de quartier et les réseaux communautaires déploient, sans instruction venue d’en haut, des programmes d’entraide et de solidarité d’une efficacité remarquable. Le rôle du maire, dans ce cas, est moins d’initier que de catalyser, de soutenir et de ne pas entraver cette énergie civique.
Ces expériences de New York et de Londres dessinent une nouvelle carte du pouvoir politique, qui pourrait bien faire des émules ailleurs en Occident, et pas nécessairement sous la conduite d’outsiders issus du Sud global. Comme le souligne le rapport de The Kettering Foundation, intitulé : How a Network of Grassroots Organizations Is Strengthening Community, Building Capacity, and Shaping a New Kind of Civic Education, la combinaison d’une multitude de petits dons, d’une société civile bien organisée et d’un programme clair, redéfinit aujourd’hui les équilibres démocratiques, jusqu’à renverser les rapports de force les plus solidement établis..
Et la leçon est profonde : la puissance de l’argent faiblit lorsqu’elle se heurte à la force de l’esprit collectif. Face à la concentration des richesses, l’arme la plus efficace demeure la diffusion large de l’engagement populaire. Le changement social ne s’impose pas d’en haut ; il jaillit de la conscience vivante de la cité, de la participation du peuple, de la solidarité tangible et de la foi partagée en la possibilité d’un avenir urbain différent. En définitive, même si l’argent conserve une influence entre les mains de l’aristocratie, la parole dernière et décisive revient au peuple et à sa classe laborieuse, qu’il serait imprudent de provoquer.





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