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La nouvelle politique migratoire du Maroc confirme son originalité et imprime ses marqueurs

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Par Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration

Initiée par le Roi Mohammed VI le 10 septembre 2013 , à la suite de recommandations du Conseil national des droits de l’homme ( CNDH ) , qui s’est lui même inspiré de bon nombre de revendications et de propositions de la société civile au Maroc , l’objectif de la nouvelle politique migratoire du Maroc est triple :

1 – Une opération inédite de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière au Maroc , ainsi que des demandeurs d’asile . Cette opération exceptionnelle , qui s’est déroulée toute l’année 2014 , a permis de faire sortir de la « clandestinité » quelques 25. 000 immigrés , originaires de pays d’Afrique subsaharienne pour la plupart , en leur donnant la chance d’aborder une nouvelle vie au Maroc , en tant que pays d’accueil et d’hospitalité , dans le respect de la dignité des migrants .

2 – Une mise à niveau en profondeur du cadre juridique pour le mettre en phase avec les  nouvelles orientations du Maroc , en matière d’immigration et de droits humains , avec les dispositions de la Constitution rénovée de 2011 et des conventions internationales signées par le Maroc

3 – L’objectif ultime de cette nouvelle politique courageuse et audacieuse , est l’insertion multidimensionnelle harmonieuse de l’ensemble des étrangers au Maroc . Elle se fait sur la base d’une stratégie globale et intégrée en matière d’immigration , déclinée en de vastes plans d’action y afférent , avec l’implication étroite des milieux concernés , bénéficiant des mêmes droits que les Marocains : accès au logement , à l’éducation , à la santé , à la formation professionnelle et à l’emploi ; lutte contre les discriminations ; assurer les conditions d’une vie digne et épanouie ( regroupement familial en particulier ) .

  Un suivi personnel du Roi

C’est dans cet esprit qu’une nouvelle phase de régularisation a été décidée le mois dernier par le Roi , qui constitue la confirmation et la dynamisation de la nouvelle politique migratoire du Maroc , et  concerne numériquement essentiellement les immigrés originaires de l’Afrique subsaharienne . À ce propos , le discours royal du 20 août 2016 , commémorant l’anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple , posait la problématique en ces termes :

« Nous notons avec beaucoup de considération et de satisfaction ce qui fait la particularité de ces immigrés , à savoir une bonne moralité et une bonne conduite à l’égard d’autrui , l’ardeur à l’ouvrage , le respect de la loi , des valeurs et des constantes sacrées du Maroc . Je tiens à réaffirmer que nous ne faisons que remplir le devoir qui nous incombe vis à vis de cette catégorie , étant donné qu’il s’agit de personnes que la précarité a poussées à risquer leurs vies et à quitter leurs familles et leur pays  » . Et d’ajouter avec force et détermination : le Maroc  » est fier de l’action qu’il mène dans le domaine de l’accueil et de l’intégration des immigrés . Et il ne reviendra pas sur cette approche pratique et humanitaire  » .

Cette vision de la question migratoire est inscrite également dans un rapport de solidarité authentique avec les pays d’Afrique subsaharienne dont sont originaires ces immigrés . Le discours royal à la Nation , adressé à partir de Dakar le 6 novembre 2016 , à l’occasion de la célébration du 41ème anniversaire de la Marche Verte , en détermine les contours , loin de l’approche purement sécuritaire , dans laquelle l’Union Européenne a voulu engluer le Maroc :  » Concernant la problématique migratoire , notre pays poursuivra ses efforts pour remédier aux causes réelles de ce phénomène , en le reliant au développement et en adoptant une approche humanitaire et solidaire , protégeant les droits des immigrés et en préservant leur dignité  » .

Dés lors , on ne s’étonnera nullement du suivi de très près par la plus haute autorité du pays , de l’exécution par le gouvernement marocain , de cette politique sur le terrain . C’est ainsi que lors du Conseil des ministres tenu à Marrakech le 10 janvier 2017 , et consacré à l’adoption de la loi relative à l’acte constitutif de l’Union Africaine ( UA) signé le 11 juillet à Lomé et du protocole additionnel , ainsi que du projet de loi portant approbation de la loi précitée , ce sujet , à dimension humanitaire et de droits de l’Homme , s’est naturellement invité .

Selon le communiqué du Palais Royal , le Souverain « s’est informé des conditions du déroulement de la deuxième étape de la régularisation des migrants en situation irrégulière au Maroc et attire l’attention que la limitation à une seule année de la durée de validité de la carte de séjour qui leur est délivrée , engendre plusieurs contraintes pour ces migrants qui entravent leur intégration et leur conditions de vie au sein de la société , telle que l’acquisition d’un logement , la contraction d’un crédit ou la réalisation de projets . Dans ce sens , S.M. Le Roi a donné ses hautes instructions aux départements concernés pour s’atteler à l’examen de la possibilité de relever à trois ans cette durée de validité et accélérer et simplifier les procédures  » .

Les directives royales ont été exécutées immédiatement , comme en témoigne un communiqué du ministère de l’Intérieur, qui annonce le relèvement de la durée de validité des cartes de séjour des ressortissants étrangers à trois années , au lieu d’une année actuellement , et ce , un an après la régularisation du séjour au Maroc ( sauf en cas d’actes répressibles commis par les intéressés ).

De même , ajoute le communiqué de l’Intérieur , les procédures de délivrance et de renouvellement des cartes de séjour seront également accélérées et simplifiées au maximum .

Voilà une décision royale bienvenue , qui constitue un grand soulagement pour les immigrés , en réduisant le sentiment de vulnérabilité et de précarité juridique auquel étaient soumis jusqu’à présent les personnes régularisées , et en favorisant au contraire leur stabilité . Raisons entre autres pour lesquelles il serait hautement souhaitable d’instituer la durée de validité à 5 années . Cette opération de renouvellement des cartes de séjour , devrait toucher normalement les 25 .000 immigrés qui ont pu régulariser leur situation au cours de la première phase de régularisation .

Un énorme retard du gouvernement au plan juridique

De notre point de vue , cette louable initiative , constitue également une critique à peine voilée  à l’énorme retard relatif à la mise à niveau du cadre juridique migratoire marocain , pris par le gouvernement sortant .

Si la loi pour lutter contre la traite des êtres humains a déjà été adoptée et publiée au Bulletin Officiel , par contre 2 projets de loi n’ont pas encore abouti au Conseil de gouvernement pour les soumettre , après adoption , au débat et vote au parlement .

Il s’agit d’une part d’une loi instituant une procédure nationale pour l’établissement du statut de réfugiés au Maroc d’un système d’asile moderne et global , d’autre part d’une révision substantielle de la loi 02-03 sur l’entrée et le séjour des étrangers au Maroc , l’émigration et l’immigration irrégulières , en humanisant la loi et en y introduisant les droits des immigrés selon les standards internationaux , tout en lui ôtant sa tonalité qui criminalise notamment la migration « irrégulière » .

Devant conforter l’Etat de droit , c’est la révision de fond en comble de cette loi , qui devrait notamment prévoir les règles et la durée des cartes de séjour . Ce retard est très préjudiciable à la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc , car sans l’arsenal juridique rénovée y afférent , qui nécessite par ailleurs des révisions de lois dans bien d’autres domaines (amendements du code du travail , du code de la nationalité , de la loi sur les associations , du code électoral pour permettre selon l’article 30 de la nouvelle constitution , la participation des étrangers en séjour régulier aux élections locales ,  etc ) , une question lourde s’impose . Comment dans ces condition peut-on parler de Nouvelle Politique Migratoire , orientée en grande majorité vers les migrants des pays subsahariens , et à l’heure où le Maroc s’ouvre tout azimut sur le continent africain , en s’apprêtant notamment d’acter son retour au sein de l’Union Africaine , à l’occasion de son prochain sommet , prévu pour le 29 janvier 2017 dans la capitale éthiopienne , Addis Abeba ?

Libéraliser les critères de régularisation

Pour réussir la seconde phase de l’opération de régularisation ( mi-décembre 2016 à mi-décembre 2017 ) , il conviendrait à notre sens de revoir les critères de régularisation , que le gouvernement a considérés comme les critères les plus ouverts , les plus justes , les plus objectifs et les plus souples , qui ressortent d’expériences étrangères , mais qui sont en fait trop stricts , exigeants , draconiens et rigides , avec des interprétations différentes d’une région à une autre et ne permettant pas de produire les justificatifs nécessaires . En voici deux :
– être étranger et avoir un contrat de travail effectif d’au moins 2 ans ;
– être travailleur étranger et avoir un contrat de travail effectif d’au moins 2 ans .

La circulaire marocaine semble avoir été directement inspirée de la circulaire Valls ( alors ministre de l’Intérieur ) du 28 novembre 2012 , qui voulait rivaliser avec la droite en matière de gestion musclée de l’immigration  . Parmi les cas de figure possibles en matière de régularisation, on note deux critères :
– la circulaire prévoit les sans-papiers présents depuis 5 ans en France et ayant travaillé au moins 8 mois au cours des 24 derniers mois sur 5 ans ;
– ceux qui n’auraient que 3 années de présence , pourraient être régularisés s’ils ont travaillé 24 mois sur cette période , dont 8 mois au cours de cette période .

Par contre , l’étude comparative n’est pas allée chercher à tenir compte de l’expérience française de régularisation exceptionnelle de 1981 , après la victoire de François Mitterand , où la circulaire du 11 août 1981 précise comme suit les critères de régularisation exceptionnelle en faveur des travailleurs clandestins et des autres immigrés en situation irrégulière . Dans le premier cas , il s’agit de fournir la preuve de la présence en France ( non pas de 5 ans , mais ) depuis le 1er janvier 1981 , c’est à dire durant l’année en cours . Dans le deuxième cas , la preuve consiste en l’occupation d’un emploi stable depuis un an .

De même , les responsables marocains ont fait fi du cas de l’Italie , où on a régularisé plus de 700.000 clandestins en 2003 , parmi lesquels un grand nombre de Marocains .

Par ailleurs , la régularisation record étalée sur 3 mois ( début février à début mai 2005 ) de 700.000 étrangers en Espagne ( dont 12,51% de Marocains ) , sous le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero , et où à peine 3,15% des demandes ont été rejetés , n’a pas été prise comme exemple . Les critères retenus alors , consistaient en une preuve de résidence en Espagne antérieure au 7 août 2004 , ou par un contrat de travail de 6 mois ( 3 mois dans l’agriculture , qui concernaient plus les Marocains ) .

Comment alors les responsables marocains actuels du dossier migratoire  , ont-ils oublié l’attitude de leurs prédécesseurs , consistant à montrer leur satisfaction à diverses opérations de régularisations ouvertes , dont ont bénéficié dans le passé , un grand nombre de « clandestins  » marocains en Europe !?

Alerte sur une proposition d’action du PJD !!!

En tant qu’acteur de la société civile , analyste et observateur actif  de la scène migratoire marocaine , nous attirons l’attention sur une proposition d’action contenue dans  » le programme électoral du Parti de la Justice et du Développement pour les élections législatives du 7 octobre 2016″ , d’autant plus que c’est le PJD qui dirigera l’équipe et la majorité gouvernementales , son secrétaire général , Abdelilah Benkirane , étant l’actuel chef du gouvernement désigné .

À la page 59 de ce volumineux document , on relève notamment la proposition suivante :  » Mobilisation de sources de financement pour la mise en place de centres  d’accueil des réfugiés « .

Cette proposition sur laquelle s’est engagé le PJD , peut paraître comme partant d’un sentiment altruiste et d’ouverture sur l’autre , mais nous la considérons comme très dangereuse politiquement , s’inscrivant dans la logique de la soutraitance sécuritaire . Elle ressemble fort en effet à la proposition maintes fois réitérée par l’UE et toujours refusé par le Maroc , consistant , sous couvert de centres d’accueil pour les réfugiés , à installer de fait des centres de rétention et d’enfermement dans le cadre de la politique d’externalisation de l’asile par l’UE .

Dans la même logique sécuritaire , ces mêmes centres peuvent être utilisés pour accueillir notamment les migrants subsahariens « irréguliers » en Europe , réadmis dans le cadre du projet d’accord de réadmission UE – Maroc que Bruxelles , dans une démarche obsessionnelle depuis l’ouverture des négociations formelles en 2003 , ne désespère nullement de faire signer par Rabat , alors que la philosophie humaniste de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc , a instauré une distance certaine avec la politique foncièrement sécuritaire de l’UE .

De notre point de vue , le programme du prochain gouvernement que dirigera le PJD et qui se fait attendre , ne doit nullement comporter ce genre de proposition , qui constitue une invitation sur un plateau d’argent à l’UE , de prendre en charge le financement de ces centres à des fins foncièrement sécuritaires , facilitant à l’UE la réadmission vers le Maroc des Subsahariens ( ou autres) « illégaux » qui auraient transité par son territoire vers l’Europe , à les installer ( même provisoirement ) dans des camps de rétention ou de détention dits « d’accueil » , et à les rapatrier chez eux à travers des accords de réadmission que le Maroc doit signer avec les pays d’origine subsahariens ( ou autres ) .

Cette dangereuse proposition programmatique du PJD est à retirer . Le Maroc ne peut , au même moment , suivre une  nouvelle politique migratoire humaniste , solidaire, généreuse et respectueuse des droits humains , à l’égard notamment des migrants subsahariens et traiter ces derniers de manière répressive . Les deux logiques sont antinomiques et en opposition frontale .

  Pour conclure

Un point très important à souligner ici , en guise de conclusion . La Nouvelle Politique Migratoire du Maroc , qui vise au delà de la régularisation administrative des « sans papiers », l’insertion harmonieuse des immigrés , notamment subsahariens dans la société marocaine , doit réussir avec l’apport , la mobilisation et l’implication de tous .

Encore faut-il qu’au niveau de la direction des Affaires de la migration , dépendant du ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , prévale une attitude d’ouverture et de transparence à l’égard des acteurs de la société civile et des chercheurs , et non pas celle de la rétention de l’information , avec pratiquement l’interdiction de l’accès aux études et recherches sur l’immigration déjà validées , et qui devraient même être mises à disposition sur le site du ministère !

En totale contradiction avec l’esprit d’ouverture , de coopération et de dialogue du Ministre , on ne peut que regretter vivement cette attitude d’opacité nuisible notamment à la recherche objective pour l’action sur la migration , dans l’intérêt national .

Rabat , le 12 janvier 2017

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