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Statut du français à l’école marocaine depuis les années 60 jusqu’à la réforme de 2000.

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Introduction :

Un bon nombre de données ont contribué à la définition de ce statut à partir des années 60. Notamment, la réduction des horaires liés à l’usage du français comme une langue d’enseignement (y compris les cours de la langue). De ce point de vue, nous trouvons dans les instructions officielles de 1960 :

« Au lendemain de l’indépendance, la part réservée à l’enseignement en arabe avait été sensiblement augmentée. Les récentes décisions ministérielles réduisent de nouveau la part du français. A partir d’octobre 1960, les deux premières années du cycle primaire seront consacrées entièrement à l’enseignement en arabe ; le français sera enseigné à raison de 15 heures par semaine, dans les trois dernières années, ce qui ne représente plus que 30% de la durée totale des études.

En d’autres termes, sur les 5400 heures de travail qui constituent le cycle primaire, 3000 heures étaient naguère consacrées au français ; ce nombre est désormais réduit à 1600 heures. »[1]

Pendant  les années 80 et 90, l’école marocaine avait adopté deux ensembles pédagogiques conçus par le Ministère de l’Education Nationale. Cette période coïncidait avec l’arabisation de l’enseignement des matières scientifiques au cycle secondaire. L’enseignement du français au Maroc visait dans cette période à « amener les élèves à communiquer en français (comprendre, lire, écrire) »[2]. Cet objectif était traduit autrement dans les instructions officielles de 1987; en d’autres termes, on visait à travers l’enseignement du français une « utilisation « fonctionnelle » »[3] de cette langue.

Les auteurs des recommandations  pédagogiques  des années 90 avait repris la même conception de l’enseignement du français dans les années 80. Ainsi on se référait aux « nouvelles » tendances éducatives y compris celles portant sur l’enseignement des langues, notamment la « pédagogie par objectifs » et « l’approche communicative ».

Pour mettre en avant le statut du français à l’école marocaine primaire depuis les années 60 jusqu’à ma réforme de 2000, nous proposons dans cet article une analyse de quelques exemples des instructions officielles et des deux ensembles pédagogiques liés l’enseignement de cette langue. Cette  analyse sera complétée par nos remarques relavant de notre expérience professionnelle.

1.       1. Le statut de la langue française après la fin du protectorat français :

Les données numériques citées dans l’introduction laissent entendre qu’il y avait une prétention d’instaurer une sorte de « renversement des valeurs »[4]. En d’autres termes, le « maître d’arabe »[5]  avait substitué le maître de français quant à « la formation morale, esthétique et intellectuelle de l’écolier marocain »[6]. De ce fait, puisque la langue arabe était devenue la langue nationale, la langue française était enseignée « non plus comme un instrument de culture, mais comme une langue étrangère »[7]. Ce statut semble être une conséquence de la tendance vers l’arabisation de l’enseignement primaire.

En effet, les auteurs des instructions officielles de 1960 se sont rendu compte de la nécessité d’« une révision radicale des buts assignés à l’enseignement du français »[8]. Ainsi, depuis cette époque là, le français n’est plus une langue de culture pour l’écolier marocain. Cela veut dire que « les leçons réservées à l’étude de la langue française se justifient désormais, non plus par des fins culturelles, mais par des raisons pratiques »[9]. Par exemple, on prétendait que l’utilité de cette langue se résumait  dans une leçon de lecture  à déchiffrer et à comprendre un message écrit sans prendre en considération la culture véhiculée par ce message. Or, les manuels de français utilisés à l’école marocaine durant les années 60 et 70 comportaient plus  d’aspects de la culture française que ceux de la culture marocaine.

Pour ce qui est des raisons pratiques, dont les auteurs des instructions officielles de 1960 parlaient davantage, l’écolier marocain était supposé apprendre la langue française pour l’utiliser à l’âge adulte comme un « moyen d’entrer en relation avec la communauté française du Maroc, et particulièrement avec les secteurs d’activité où les français jouent encore un rôle (entreprises agricoles, industrielles, commerciales) »[10]. Cela nous semble témoigner de la prétention d’apprendre aux élèves marocains un « français fonctionnel ». Dans cet ordre d’idées, les auteurs des instructions officielles de 1960 nous semblent avoir confirmé cette prétention : « Quant à l’enfant destiné à poursuivre des études secondaires modernes, la clé du succès reste encore, dans une bonne mesure, la connaissance du français, qui demeurera la langue principale de l’enseignement du second degré tant que le Maroc ne disposera pas d’un nombre suffisant de professeurs pour arabiser cet enseignement »[11].

Nous pouvons dire que l’enseignement du français à l’école marocaine pendant les années 60 a été influencé par l’arabisation de l’enseignement primaire. Cette influence nous semble se manifester surtout à travers la réduction du volume horaire réservé soit à l’enseignement en langue française soit à l’enseignement de cette langue elle-même. Cette tendance a été reprise dans les instructions officielles de 1967. En d’autres termes, le statut de la langue française défini dans les instructions de 1960 était confirmé par celles de 1967 : « La langue française, dit-on, est en effet définie comme une langue étrangère qu’il importe à un jeune marocain de manier avec aisance pour les services de tout ordre qu’elle peut lui rendre et comme une langue de culture  complémentaire lui permettant d’établir avec sa culture nationale propre de fructueuses confrontations »[12]. De même, ces instructions avaient également parlé de la place de cette langue dans l’environnement socioculturel de l’écolier marocain : « En dehors des heures de classe en français les élèves n’ont plus aucune occasion de pratiquer cette langue »[13].

En outre, la langue française était également considérée comme une langue étrangère dans les instructions officielles des années 70 (celles de 1974, 1976 et 1979)[14]. Notons que les instructions officielles de 1976 ont coïncidé avec l’achèvement de l’arabisation de l’enseignement des matières littéraires dans le cycle primaire marocain. Ces instructions reprenaient presque tous les propos de celles de 1974, sauf  qu’on se prononçait contre l’enseignement d’un « français instrumental ». En d’autres termes, on désapprouvait la proposition dans les manuels de français d’un contenu ayant un caractère scientifique. Selon les concepteurs marocains, « il était hors de question d’enseigner ces lexiques (de spécialité) en classe de français »[15]. Notons que le français demeurait une langue  d’enseignement des choses et du calcul à l’école primaire pendant cette époque-là.

Pour ce qui est de la place de la langue française dans l’enseignement primaire marocain pendant les années 70, les mesures prises dans les années 60 en matière de la masse horaire et des matières enseignées en langue française étaient toujours en vigueur.  Le seul changement consistait en l’approbation d’un enseignement «plus fonctionnel» du français, et ce à travers le rejet de l’étude des textes littéraires. C’est pour cette raison que les auteurs des instructions officielles de 1976 soutenaient que « ni le niveau de langue atteint à la fin du premier cycle, ni les finalités de l’enseignement du français déterminées notamment par les plans de développement économique et social, ni les motivations des élèves, ne permettraient de maintenir un enseignement systématique de littérature et de civilisation française »[16].

Cependant, la culture française avait sa place dans les ensembles pédagogiques préconisés pour l’enseignement du français durant les années 70, notamment Bien Lire et comprendre. Mais la réduction du volume horaire dont nous avons parlé plus haut laisse entendre qu’il y avait dès le début des années 60 une prétention chez les dirigeants politiques marocains d’instaurer une « nouvelle » conception de l’enseignement du français, y compris la redéfinition du statut de cette langue comme une langue étrangère.

Notons que les efforts du Ministère de l’Education Nationale durant les deux décennies (années 60 et 70) étaient focalisés sur la généralisation et l’arabisation de l’enseignement. Ainsi, la marocanisation de cet enseignement s’appuyait sur ces deux principes (généralisation et arabisation) afin de mettre en avant un système éducatif national qui était supposé être indépendant de quelques héritages des périodes précédentes.

2.      2. Le statut du français selon la version marocaine de l’enseignement du français :

Les instructions officielles de 1987 ont coïncidé avec le début de l’arabisation totale de l’enseignement marocain, hormis l’enseignement supérieur où le français demeurait la langue d’enseignement dans les  filières scientifiques et sociales. En d’autres termes, la langue française avait gardé son statut annoncé dans les instructions officielles des années 60 et 70. Ainsi, à l’école primaire, le français continuait d’être la première et unique langue étrangère enseignée. Les auteurs des instructions de 1987 semblaient préciser le rôle de l’enseignement du français et son  statut dans le système éducatif marocain :

« Loin d’y perdre, cet enseignement devrait au contraire y gagner : horaires accrus, possibilité de mieux cerner les besoins/objectifs des élèves ; Ceux-ci prendront conscience du fait que l’utilisation ‘‘fonctionnelle’’ (au sens propre) de la langue française leur sera d’autant plus facile qu’ils en auront acquis la maîtrise en tant qu’instrument de communication orale et écrite »[17].

Il ne manquait point à ces auteurs de souligner que « la révision proposée aujourd’hui, si elle introduit des changements parfois importants, ne représente pas un revirement par rapport aux précédents, encore moins un rejet »[18]. Or, nous constatons qu’il y avait une continuité par rapport à la conception précédente, surtout concernant les objectifs de l’enseignement du français. En d’autres termes, « il s’agit d’amener les élèves à communiquer en français (comprendre, parler, lire, écrire) »[19]. Nous remarquons que la priorité était toujours donnée à l’oral dans la formulation de ces objectifs.

Certaines activités proposées dans les manuels de français des années 80, surtout ceux qui ont été conçus en fonction des instructions officielles de 1987, portaient encore les traces de l’approche structurale qui prédominait dans les conceptions précédentes et qui étaient fondées sur les répétitions et les montages d’automatismes. Les auteurs de ces instructions rappelaient que « l’acquisition progressive du système linguistique de français constitue l’objectif essentiel des leçons de langue (…), comme tout exercice répétitif, les exercices structuraux ont un rôle à jouer dans l’apprentissage d’une langue étrangère »[20]. Ce type d’exercices continuait à jouer un rôle important dans les cours de français, et ce en fonction du schéma méthodologique traditionnel : présentation, fixation et réemploi[21].

En outre, les concepteurs de l’enseignement du français au Maroc prétendaient intégrer le concept des « actes de langage »[22] dans leur conception. Pour eux, l’élève marocain pourrait se servir de la langue française aussi bien dans sa vie quotidienne que dans son contexte scolaire :

 « On vise aussi l’aptitude à se servir de la langue dans une situation déterminée. On prend aussi en considération les données de cette situation, qui, sans être ignorées, se trouvaient reléguées au second plan »[23].

Il nous semble que la communication langagière dont on parle ici semble aller plutôt dans le sens de concevoir la langue enseignée (le français) comme un outil que l’élève marocain peut utiliser également dans l’étude de cette langue. Notons que cela se faisait également lors des cours de fonctionnement de la langue (grammaire, conjugaison, orthographe et lexique).

Au surplus, à partir des années 80, on avait commencé au Maroc de reprocher aux concepteurs de l’enseignement du français à l’école marocaine de ne pas avoir pris en considération le rôle de l’élève dans leur conception. C’est pour cette raison que les instructions officielles de 1987 semblaient apporter un changement sur ce point : « On passe de la forme  au contenu de la langue, à l’expression, d’un enseignement centré sur la langue à un enseignement centré sur l’élève »[24]. De ce point de vue, l’élève ne se contentait pas de produire des phrases grammaticales dans le vide. Dans les activités proposées dans les manuels de français, ces concepteurs veillaient à ce que cet élève soit impliqué dans le déroulement des cours. En d’autres termes, on envisageait que comme il est le sujet des énoncés qu’il produit, il est également le récepteur réel d’autres énoncés.

De même, selon ces instructions, le rôle de l’enseignant ne consistait pas uniquement à inculquer des connaissances aux élèves, mais aussi à leur faire acquérir un savoir-faire leur permettant d’être « autonomes ». On  commençait ainsi à parler du travail hors classe comme l’un des moyens favorisant cette « autonomie ». Les auteurs des instructions officielles de 1987 soutenaient qu’« il importe d’habituer les élèves à développer un effort personnel qui développe leur esprit d’initiative et les amène à participer efficacement à leur propre formation »[25].

Il faut reconnaitre également que le statut de la langue française dans l’enseignement marocain nous semble actuellement indéterminé, bien que dans la Charte de 2000 on laisse entendre qu’elle est une « première langue étrangère »[26]. Or, on prétend, selon la nouvelle réforme, que l’enseignement marocain doit permettre l’ouverture de l’élève marocain sur d’autres horizons culturels sans aucune atteinte à son identité culturelle. En d’autres termes, d’un côté « le système éducatif du Royaume du Maroc respecte et révèle l’identité ancestrale de la Nation »[27], et d’un autre côté, « il assure une interaction dynamique entre le patrimoine culturel du Maroc et les grands principes universels des droits de l’Homme et du respect de sa dignité »[28]. Ce système est supposé devoir également prévoir « l’insertion du pays dans le courant d’ouverture et de communication au plan mondial »[29].

3.      3. Quelques remarques sur le statut du français à partir des années 80 :

Il faut reconnaître que ce n’est qu’à partir des années 60 que les instructions officielles ont défini le français comme une langue étrangère. De même, les auteurs des recommandations pédagogiques de 1991 avaient soutenu que l’enseignement du français au marocain vise à faire acquérir à l’élève marocain « une langue étrangère fonctionnelle »[30]. En outre, certains avaient  constaté, surtout dans les années 90, « l’absence d’une définition claire du statut du français »[31]. On a proposé de définir la langue française à l’école marocaine comme une langue seconde et concevoir son enseignement en fonction de ce statut.  On a également réclamé « une méthodologie locale qui puisse tenir compte des vrais rôles attribués à la langue française et, partant, qui puisse répondre aux vrais besoins de nos élèves »[32].

Il faut également noter que selon la nouvelle version des « programmes et orientations pédagogiques de l’enseignement primaire », l’élève marocain doit être  initié à la langue française dès la première année primaire[33]. Cependant, nous nous interrogeons sur l’efficacité de cette mesure, compte tenu des besoins effectifs et des compétences sensorimotrices des élèves à bas âge.

Conclusion :

La version marocaine de l’enseignement du français se caractérise par la  continuité des mesures prises dans les années 70 et la mise en avant des autres pratiques méthodologiques. Or, le statut de la langue française n’a pas été modifié dans les textes officiels. Elle demeure encore une langue étrangère et elle est enseignée comme une matière scolaire, malgré son statut indéterminé dans la société et sa présence incontestée dans l’administration marocaine. La stabilité de ce statut à l’école primaire marocaine ne nous semble pas engendrer l’immobilité des conceptions didactiques liées à l’enseignement du français.

Comme nous l’avons dit, le statut du français dans l’enseignement marocain a été modifié juste après l’indépendance, notamment à partir du début des années 60. Les instructions officielles depuis les 1960 définissent le français comme une langue étrangère. Pour terminer, il va de soi de dire que nul ne peut nier le rôle de l’indéterminisme des responsables marocains concernant le statut du français dans le système éducatif.


[1] . MEN, Instructions officielles pour l’enseignement du français, Rabat, 1960, p. 11.

[2].  Idem,  Instructions officielles pour l’enseignement du français, Rabat, 1987, p. 4.

[3].  Ibid.

[4] . Ibid.

[5] . Comme nous le savons, à l’école primaire marocaine et à partir de la troisième année, l’élève marocain était (et continue de l’être encore) pris en charge par deux enseignants : le maître de français  et celui d’arabe. Or, dans certains cas (surtout dans les zones rurales), un seul enseignant peut remplir les deux rôles.

[6] . MEN, Op. Cit, p. 11.

[7] . Ibid, pp. 11-12.

[8] .  Ibid, p. 14.

[9] . Ibid, p. 12.

[10] . Ibid.

[11] . Ibid.

[12] . Idem, Instructions officielles pour l’enseignement du français, Rabat, 1967, p. 98.

[13] . Ibid, p. 3.

[14] . Il faut signaler que nous n’avons pas pu recueillir les instructions officielles des années 70. Elles sont introuvables même auprès des archives du Ministère de l’Education Nationale. Nous nous sommes basés sur des références de seconde main (une thèse de doctorat et un livre portant sur l’enseignement du français au Maroc). Voir sur ce point :

Moussa CHAMI, L’enseignement du français au Maroc. Diagnostic des difficultés et implications didactiques, Casablanca, Imprimerie Najah El Jadida, 1987.

Mohamed-Jawad TOUMI, L’arabisation et l’enseignement du français au Maroc. Thèse de doctorat, Université de la Sorbonne nouvelle (Paris 3), 1994.

[15] . MEN, Les instructions officielles pour l’enseignement du français, Rabat, 1976, p. 13.

[16] . Idem, Instructions officielles pour l’enseignement du français, Rabat, 1979, p. 9.

[17] . Idem,  Instructions officielles pour  l’enseignement du français, Rabat, 1987, p. 4.

[18] . Ibid, p. 1.

[19] . Ibid, p. 4.

[20] . Ibid, p. 14.

[21] . Nous avons déjà parlé de la place des exercices structuraux dans l’enseignement du français à l’école primaire marocaine pendant les années 80 et 90 dans un autre article publié sur  »Oujda City ».

[22] . Dans les années 90 les concepteurs de l’enseignement du français au Maroc avaient intitulé un cours de français « acte de langage ». Il semble que cette dénomination est due à l’influence de la philosophie du langage.

[23] . MEN, Instructions officielles pour  l’enseignement du français, Rabat, 1987, p. 3.

[24] .Ibid, p. 12.

[25] . Ibid, p. 87.

[26] . COSEF, Op. Cit, p. 46.

[27] . Ibid, p. 6.

[28] . Ibid.

[29] . Ibid, p. 44.

[30]. MEN, Objectifs et intentions pédagogiques. Sixième année de l’enseignement fondamental. Programmes et horaires, Rabat, Afrique-Orient, Mars 1991, p. 5.

[31] . Mohamed-Jawad TOUMI, Op. Cit, p. 274.

[32] . Ibid.

[33]. Selon ce document officiel, cette initiation devrait se faire par le biais des activités orales ainsi que des graphismes. Voir :

MEN, Programmes et Orientations pédagogiques de l’enseignement primaire (version arabe), Rabat, Septembre 2013, pp. 94-95.

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