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1-L’incontournable nécessité de débloquer le foncier

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L’incontournable nécessité de

débloquer le foncier

1.1. Aspects des blocages fonciers au Maroc

La problématique du foncier constitue une question cruciale pour toutes les régions marocaines. En effet, les besoins fonciers auxquels les différentes instances de la puissance publique sont confrontées pour répondre au développement des divers équipements, tout comme les nécessités de logements et les diverses demandes de l’urbanisation, s’avèrent énormes. Les politiques publiques, jusqu’ici mises en œuvre pour apporter des réponses à la question foncière, butent toujours sur deux grands obstacles :

·    la complexité et la diversité des statuts en vigueur et dont la plupart sont des héritages plus ou moins fossilisés et entretenus, qui bloquent la promotion d’une grande partie des terres agricoles et urbaines ;

·    l’ampleur des moyens financiers à déployer pour réaliser les acquisitions nécessaires ou pour assainir les arriérés en la matière ou encore pour reconstituer un minimum de réserves de sol pour la planification urbaine.

Ces deux grandes catégories de problèmes se rejoignent, d’autant plus que l’action d’assainissement juridique et institutionnel s’avère tronquée et, des fois même, fort inachevée. Ce constat a été souvent analysé en termes de dysfonctionnement général du système foncier marocain. Les manifestations de celui-ci se sont amplifiées par :

·    les retards enregistrés au niveau des opérations d’immatriculation qui restent même incapables de couvrir l’intégralité de leur principal espace de prédilection que sont les aires urbaines ;

·    l’ampleur des arriérés à assainir, touchant à la fois de vastes pans de l’urbain et du périurbain ;

·    la lenteur constatée au niveau de la formulation d’adaptations d’ordre législatif nécessaires à la préparation d’assiettes foncières, assainies au plan technique et juridique issues du domaine privé de l’Etat, des terres collectives, du melk traditionnel, etc ;

·    la vivacité de formes disparates et complexes de propriété traditionnelle, faute d’encadrement juridique adéquat capable de leur garantir la sécurité nécessaire au suivi et à l’organisation des transactions et à l’actualisation de l’identification des propriétaires à partir d’un référentiel foncier sous forme d’un document cadastral solide et exhaustif ;

·    l’inexistence de bases et de soubassements à une politique de fiscalisation élaborée à des fins d’amélioration du système foncier, de lutte et de dissuasion contre le gel et/ou la sous-utilisation des terrains privés et contre les mauvais usages des terrains collectifs, guich, habous, voire même domaniaux, municipaux ou communaux…

L’énumération de ces quelques manifestations de la problématique générale du foncier au Maroc suffit, nous semble-t-il, pour illustrer l’urgence de casser ce genre de blocages et ces différentes formes de dysfonctionnement. Dans les différentes régions du pays, l’intensité des problèmes liés au foncier diffère énormément, mais partout cela demeure parmi les contraintes majeures du développement local et régional et à la tête même des handicaps face à la réalisation des projets d’investissement, d’élargissement du tissu productif, d’amélioration du tissu urbain ou d’intensification de la production agricole. La complexité et souvent même l’ambiguïté des régimes fonciers sont la source de spoliations, de conflits ou de litiges qui représentent autant de facteurs de non-productivité du sol, tant en milieu rural qu’en zone urbaine, pour s’avérer parfois même en tant que facteurs de désinvestissement dans la Région.

1.2. La situation foncière inextricable  de la Région de l’Oriental

Concernant la Région de l’Oriental, les contraintes et les difficultés relevées désignent l’impact du foncier comme facteur inhibitif essentiel à toute stratégie de développement régional. Les conclusions de la phase du diagnostic du SDAR, tout comme les éléments de l’étude prospective établie pour cette Région, placent le foncier ainsi que l’eau, comme étant les deux goulets d’étranglement majeurs qu’il s’agit de débloquer pour libérer les forces productives de l’Oriental et en améliorer l’attractivité et la compétitivité à bien des niveaux.

La situation foncière se caractérise à la fois par sa diversité et par sa complexité, ce qui fait de l’Oriental une région de grande problématique foncière. A de rares exceptions près, et notamment les îlots de colonisation (autour d’Oujda et de Barkane), l’action de clarification et d’assainissement de l’assiette foncière est loin d’être patente et s’impose fondamentalement comme source de litiges et de blocages.

Ainsi à la pluralité des régimes fonciers en vigueur dans cette zone, s’ajoute toute une mosaïque de types de propriétés et de propriétaires et toute une panoplie de charges foncières dont les retombées handicapent la préparation des schémas d’urbanisme et les plans de développement régional, comme elles contrecarrent toute tentative d’élaboration d’une nouvelle politique foncière et, de là, entravent le déblocage économique à tous les niveaux.

1.2.1. Des systèmes fonciers diversement paralysants

Cette diversité apparaît à travers le fait que les terres non immatriculées sont soumises aux règles  de la Charia ou du Orf (droit coutumier) pour tout ce qui concerne la reconnaissance du droit de propriété et de sa mutation par succession. Quant aux terres immatriculées, elles sont soumises au Dahir du 12 août 1913 portant sur les modalités de la conservation foncière, et du Dahir du 2 juin 1915 portant loi d’application sur les immeubles immatriculés, que ce soit sur le plan de la reconnaissance de la propriété ou celui des droits qui lui sont liés.

Cette dualité n’est certes pas le propre de l’Oriental, puisque toutes les régions du pays restent soumises à la coexistence  troublante de deux systèmes fonciers dits moderne et traditionnel. Par ailleurs, l’Oriental, comme les autres parties de la zone nord du Maroc, se caractérise par la persistance de titres fonciers issus du «régime khalifien» appliqué dans l’ex-zone de protectorat espagnol dès juin 1914.

Il est à remarquer que toutes les tentatives déployées par le législateur marocain et destinées à étendre l’application du régime d’immatriculation de l’ex-zone sud se sont soldées par un échec. Deux raisons tiennent lieu d’explication :

·    la première relève de la nature même des textes promulgués depuis les années 1960 et qui n’ont apporté ni solution expéditive, ni remède progressif pour dépasser le régime khalifien ;
·    la seconde réside dans le choix opéré par la puissance publique d’appliquer toute une série de systèmes fonciers modernes, particulièrement à certaines zones.

Sur le plan législatif, l’Etat a tenté de pallier l’urgence du changement et de clarification du système foncier en promulguant des textes visant la généralisation du régime d’immatriculation en vigueur dans l’ex-zone sud. Toutefois, la portée de cette tentative d’uniformisation de la législation foncière s’est avérée fort limitée et n’a donné que de maigres résultats dans l’ensemble.

A trois reprises, le législateur a essayé, en vain, de pallier les faiblesses des titres khalifiens, et ceci en 1966, en 1977, puis en 1992, sans résultats notoires sur les plans qualitatif et quantitatif.

Sur le plan qualitatif, il y a lieu de souligner que les trois tentatives ne sont pas venues à bout des litiges, réclamations et oppositions à toute éventuelle demande d’immatriculation. La conséquence directe fut ainsi l’approfondissement d’un comportement de non-confiance dans les mécanismes fonciers introduits par l’Etat.

Sur le plan quantitatif, le nombre de titres assainis et immatriculés reste globalement faible, malgré les efforts louables déployés de plus en plus par les services de la Conservation Foncière et du Cadastre pour rattraper les retards. Les dernières données, dans ce domaine, font état de l’établissement de 500 à 600 titres fonciers issus de l’immatriculation ces dernières années, pour toute la Région, pour une superficie d’un millier d’hectares seulement. Ceci donne une superficie moyenne de l’ordre de 2ha par titre, ce qui renseigne bien sur la taille limitée des terrains immatriculés et donc sur la structure de la propriété en général. Cela indiquerait aussi que l’opération intéresse beaucoup plus les milieux urbain et périurbain que le milieu rural.

Au retard accusé dans la résorption des problèmes liés au système foncier khalifien, s’ajoute celui relatif au statut des terres collectives, à la délimitation du domaine forestier comme celle des terres domaniales et habous. Toutefois, quelques actions de clarification et d’assainissement ont été tentées et appliquées ici et là au sein de la Région de l’Oriental où l’on peut reconnaître au moins quatre grandes procédures différentes :

·    la procédure de remembrement des terres, entrant dans le projet de récupération et le projet de réforme agraire. Il s’agit de la Basse Moulouya et principalement dans la zone de Barkane. Il est à remarquer, toutefois, qu’une bonne partie de ces terres remembrées reste non immatriculée ;
·    la procédure de délimitation administrative appliquée à la zone de Jrada mais aussi à Taourirt ;
·    la procédure d’immatriculation collective qui a touché quelques zones limitées ;
·    la procédure d’immatriculation par voie d’expropriation.

Dictée par le souci d’apporter des solutions liées à un certain nombre de contingences localisées, l’introduction de ce genre de procédures est venue compliquer le statut foncier. Pareilles initiatives auraient plus de chance de réussir si elles étaient coordonnées et placées dans la perspective d’une stratégie foncière globale, adoptant des procédures réalistes et expéditives, restaurant la confiance des propriétaires fonciers et, donc, leur adhésion au système.

1.2.2.Une mosaïque troublante de types de propriétés, d’appropriations, de prétendants à la propriété et de charges foncières

Les provinces de l’Oriental connaissent un foisonnement de types de propriété. A côté des terrains et propriétés de type privé et individuel, il y a les propriétés habous, le domaine privé de l’Etat, le domaine forestier public, les propriétés du domaine public, les propriétés des communes locales, les propriétés des groupements tribaux, etc.

De cette diversité dans les modes de propriété et d’appropriation, découle toute une pluralité de charges et de «conventions» foncières qui gouvernent les modalités de mutation et d’usage des propriétés foncières au sein de la Région. Sur ce plan, on rencontre toute une panoplie de modes d’exploitation et de mise en valeur : usufruit, usage exclusif, hypothèque, droit dit de zina, location de longue durée, droit dit de superficie et bien d’autres droits réels fonciers.

Cette diversité traduit, faut-il le souligner encore une fois, la complexité des modalités de propriété et d’appropriation, juridique ou coutumière, en vigueur dans la région. Par certains aspects, elle révèle même les confusions entre droit de propriété reconnu et droit d’usage, entre propriété réelle et appropriation issue d’usages forgés par la force de l’histoire, récente ou passée, mais aussi par celle de spoliations ou de squatterisation plus ou moins avalisées par la pratique. En tout cas, elle reste la source de la persistance de litiges et de revendications interminables, à défaut d’opérations de clarification et de stratégie volontaire d’assainissement du foncier dans cette région.

La première conséquence de pareille situation se répercute d’une manière directe, sur l’évolution et les perspectives de l’urbanisation fort envahissante dans la Région. Les mécanismes d’intervention de l’urbanisme n’ont pas participé à la satisfaction du besoin d’assainissement du foncier. Par certains côtés, ils l’ont même aggravé, en raison du peu d’effort fourni afin de lutter contre les facteurs de nature foncière qui participent au gel de grandes superficies nécessaires à une extension urbaine rationnelle et maîtrisée.

De même, l’absence de base foncière claire et inattaquable, garantie par l’Immatriculation et le Cadastre, empêche tout investissement d’envergure dans la terre agricole, d’autant plus que celle-ci se caractérise souvent par un émiettement exagéré. Le statut collectif d’immenses superficies favorise les personnes et les foyers puissants qui s’enrichissent au dépens de la collectivité, soit en entretenant de gros troupeaux sur les parcours collectifs, soit en s’y taillant des «propriétés latifundiaires» de fait.

1.3. Les répercussions facheuses de la situation foncière sur le  developpement de l’Oriental

Cette situation foncière inextricable se révèle de plus en plus un handicap réel devant tout effort de promotion d’une Région excentrée. Elle contrecarre toute stratégie de maîtrise de l’urbanisation que connaissent de nombreux pôles de la Région, capitales provinciales, villes moyennes ou petits centres confondus. Elle participe à l’ajournement prolongé ou à l’annulation de bon nombre de projets de développement immobilier, touristique et industriel, que ce soit en raison du prix prohibitif du foncier ou de l’inaccessibilité des terrains souhaités, ou à cause des lenteurs et des difficultés qu’accuse toute demande d’acquisition de terrains viabilisés et assainis.

Trois grandes causes peuvent être invoquées pour examiner ces répercussions et préparer leur dépassement :

·    l’inexistence d’une politique foncière claire et déterminée capable de conforter les projets de développement et d’investissement ;
·    les difficultés d’acquisition et d’échanges des valeurs foncières ;
·    l’inexistence de bases de garantie foncière nécessaires à la faisabilité des projets.

1.3.1. Une gestion politique et administrative du foncier sous perspectives de clarification et d’assainissement

Le fait que les pouvoirs publics ne sont pas arrivés à mettre un terme aux confusions et aux litiges nés de la diversité des systèmes fonciers se traduit par un sentiment puissant et généralisé de non-confiance dans la politique foncière. L’exemple des hésitations qui ont entaché les trois tentatives sus-mentionnées, destinées à solutionner l’héritage du système khalifien a fait davantage ancrer chez les opérateurs économiques et sociaux le sentiment qu’il n’y a pas de volonté politique ferme pour traiter le problème. De même, le peu d’attention accordée aux velléités de la mise en valeur des terres collectives comme à la gestion des terres domaniales consolide le climat de méfiance à l’égard d’une intervention non ordonnée, non conséquente, hésitante et, parfois même, confuse de l’Etat, dans le domaine de la clarification et de l’apurement du contexte foncier.

Les mesures d’ordre législatif et réglementaire prises n’ont eu que fort peu de portée, en ce sens que les partis concernés n’ont pas été suffisamment et concrètement convaincus de la nécessité d’adhérer massivement au nouveau régime d’immatriculation proposé. Ils ont été soit dissuadés par la lenteur de la procédure, sa complexité et son coût, soit pas du tout mis au courant et sensibilisés aux divers avantages que leur procureraient l’enregistrement et l’immatriculation foncière.

1.3.2. Des difficultés multiples pour les transactions foncières

Tout projet d’investissement bute en premier lieu sur le problème du foncier, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. A la complexité de la transaction et à sa lenteur, vient s’ajouter celui de son coût. Cette réalité, qui reste malheureusement le lot de l’ensemble des régions du Maroc, se trouve particulièrement accentuée dans l’Oriental en raison des obstacles de toutes natures évoqués plus haut.

En effet, et en raison de la pluralité des systèmes fonciers en vigueur et de la complexité et des confusions issues des textes et procédures mises en application, tout éventuel promoteur immobilier ou investisseur est confronté à un grand vide du côté des mécanismes juridiques devant aboutir à l’acquisition de terrains viables et assainis.

L’acquisition de la propriété foncière se trouve, le plus souvent, confrontée à tout un ensemble d’obstacles, parmi lesquels on doit insister sur les suivants :

·    la difficulté de connaître et d’entrer en contact avec les propriétaires effectifs du sol d’autant plus que beaucoup d’entre eux sont à l’étranger ou ont émigré vers d’autres régions marocaines, dans une région à fort potentiel migratoire et où ce phénomène est ancien ;

·    l’existence de litiges inextricables relatifs aux prétentions et revendications d’appropriation et de propriété réelle par rapport à des terrains mal ou non délimités ;

·    les problèmes de l’indivision de la propriété issus du fait que la grande majorité des propriétés foncières appartiennent à un nombre sans cesse grandissant d’héritiers qui, faute de pouvoir procéder à un quelconque partage, sont acculés à rester dans cette situation forcée, notamment dans les campagnes ;

·    les répercussions de l’obsession du foncier comme patrimoine premier, voire comme richesse symbolique et non comme facteur de production à fructifier, chez beaucoup de petits ayants-droit ;

·    les conséquences du contexte de blanchiment de l’argent sur la valeur vénale du foncier et sur sa valeur refuge ;

·    la non actualisation des limites et contenus des propriétés ayant fait objet d’immatriculation. La grande majorité des titres ne correspond que  rarement  à l’effectivité et à la matérialité des propriétés immatriculées, en raison des modes d’appropriation et d’usages auxquels ils sont soumis ;

·    l’existence de grandes superficies de terres collectives au centre et au sud de la Région, terres à caractère inaliénable et dont le statut n’a subi aucune modification ou traitement pour contrecarrer son gel actuel et permettre d’ouvrir une partie de ce patrimoine pour son usage au profit de projets publics et privés de développement et de mise en valeur.

Ce genre de difficultés s’érigent comme autant d’hypothèques et de blocages face à tout essai de mobilisation de l’assiette foncière, facteur incontournable pour réaliser l’investissement.

Sur d’énormes superficies, le paradoxe bat son plein :

·    des zones à forte densité démographique et où, donc, la pression sur le foncier s’exerce fortement en raison d’une rareté artificielle et soutenue du sol, ainsi que par le biais de prix exorbitants, souvent défiant tout entendement, d’une part ;

·    de vastes zones à densité démographique insignifiante et dont la mise en valeur en souffre, se trouvant ainsi gelée par les intrigues et les blocages du foncier, d’autre part.

Il en découle évidemment des conséquences néfastes qui contrecarrent la formation d’un marché du foncier dans un contexte libéral, puisque l’essentiel du capital « terre » est souvent soustrait du marché ! La première conséquence réside dans l’incapacité de faire prévaloir l’atout foncier comme garantie : cette valeur fondamentale et particulièrement recherchée devient ainsi une non-valeur. La seconde conséquence est relative aux effets de la non maîtrise du phénomène d’urbanisation. La troisième conséquence est l’incapacité des villes à «se tailler» une assiette foncière productive et, donc, à se constituer un véritable arrière-pays.

1.3.3. La crédibilité minime ou nulle de la garantie foncière

Le financement bancaire des projets d’investissement de toute nature se fonde, en premier lieu, sur la capacité de l’emprunteur à présenter des garanties tangibles. Le substrat foncier de tout projet s’avère comme étant la première garantie et la plus palpable, exigée par les pourvoyeurs de fonds. Or, c’est l’existence du titre foncier qui confère à la propriété d’une parcelle ou d’une superficie donnée sa reconnaissance comme valeur réelle. Le titre symbolise et consacre l’existence du droit de propriété ainsi que ses conséquences et sa portée dans les transactions et au sein du milieu des affaires modernes.

Les difficultés et les retards de l’immatriculation foncière dans l’Oriental agissent dans le sens du grippage du mécanisme du crédit hypothécaire et donc du déblocage de fonds d’investissement nécessaires au projet.

Par conséquent, l’assainissement encore très insuffisant de la situation foncière que révèle la rareté de titres de propriété juridiquement apurés et techniquement viabilisés selon les normes de l’immatriculation moderne, va s’avérer comme un handicap très sérieux pour bénéficier du concours des institutions de financement bancaire. Dans la pratique courante, l’inexistence de la garantie foncière ne laisse aucune chance au prétendant au crédit. Les garanties de nature personnelle ou liées à la faisabilité du projet ne constituent que des gages d’appoint, de simples compléments épaulant la garantie première et tangible exigée par le système bancaire qui est la disponibilité d’un terrain bénéficiant de toutes les garanties juridiques. Ainsi, la déficience du système d’immatriculation foncière pénalise fortement l’économie régionale ainsi que la maîtrise de son urbanisation et le fonctionnement normal des rapports entre villes et campagnes.

1.3.4. L’anarchie urbaine, sous-produit d’une situation foncière inadéquate

L’anarchie qui caractérise la croissance de la plupart des villes de l’Oriental prend la forme d’une prolifération indomptable des formes d’habitat sous-intégré, pudiquement appelé «habitat clandestin», «habitat incontrôlé» ou encore « insalubre ». La poussée effrénée de l’urbanisation due au croît démographique et à l’immigration rurale se fait, dans beaucoup de cas, dans un grand désordre et entraîne l’éclatement souvent exagéré du tissu urbain. Les projections démographiques aux horizons 2015 et 2025 montrent que cette poussée sera maintenue et qu’il y a lieu de s’y préparer avec d’autres moyens que ceux utilisés jusqu’à présent, puisque le nombre des résidents en ville devra être au moins de 2 millions dans 20 ou 25 ans, représentant les 4/5 des habitants de la Région.

Face à cette croissance impétueuse et aux besoins grandissants de logements urbains et des corollaires en matière d’équipements grands consommateurs de terrains, l’extension urbaine se réalise dans une certaine pseudo-spontanéité, porteuse de conséquences lourdes à la fois pour l’environnement et pour les conditions de vie des populations, ceci d’autant plus que les documents d’urbanisme sont soit obsolètes, soit inopérants, soit tout simplement inexistants.

Dans la Région de l’Oriental, les conséquences de la non préparation des villes à cette extension inéluctable se trouvent aggravées par la forte propension à la spéculation foncière d’autant plus que le sol est rare sur le marché, mais aussi par la nature de la politique urbaine et les normes d’urbanisme édictées et appliquées au détriment des besoins et des mutations de l’espace régional.

La non préparation des bases foncières nécessitées par l’extension urbaine accroît la pression sur un foncier non apuré, d’où les formes innombrables de déviations et de coups partis dictés par le manque de lotissements viabilisés et assainis et le déficit constaté dans la production du logement social réglementaire. La situation du foncier constitue un cercle vicieux qui éclate en spirale porteuse d’anarchie et de complexification des modes « spontanés » d’occupation et de construction autour des grandes villes de la Région, mais aussi dans pratiquement toutes les localités moyennes, petites et émergentes, ce qui contribue amplement à la dispersion tous azimuts des agglomérations urbaines et entraîne, par conséquent, des problèmes infinis dans leur gestion, leur équipement et leur fonctionnement.

1.4. Propositions de depassement des blocages et de viabilisation du patrimoine foncier

L’assainissement du foncier doit être placé comme l’un des principaux volets de la modernisation du pays. La réussite de l’aménagement du territoire national, tel que l’imposent les défis de la globalisation et de la compétitivité, passe par la levée des contraintes et difficultés que pose l’impact actuel du foncier. Cette exigence est encore plus vitale dans les régions plus économiquement en retard et sur lesquelles pèse la servitude d’un foncier fort handicapant, comme c’est justement le cas de l’Oriental.

L’action foncière doit être la prémice à toute stratégie d’aménagement urbain et régional. Elle doit se traduire par des opérations cohérentes permettant de minimiser et de maîtriser l’impact du foncier afin d’optimiser les coûts des infrastructures, des équipements et des projets de mise en valeur des potentialités productives, et de lever, ainsi, cette contrainte de taille face à l’investissement.

C’est pour cela qu’il y a lieu de redéfinir la stratégie institutionnelle d’intervention sur le foncier en la considérant comme la traduction concrète et progressive du besoin de réforme générale du système foncier au Maroc.

1.4.1. Sur le plan national

Cette stratégie, qui requiert une volonté politique sans faille, une détermination constante et une fermeté assidue, devrait s’articuler autour des trois axes principaux suivants :

§    La diffusion la plus large possible des textes en vigueur concernant le système foncier, afin de mettre à la disposition des divers acteurs et intervenants un recueil ordonné, structuré et hiérarchisé pour que soit portée, à la connaissance de l’opinion publique et des opérateurs de toutes origines, l’ossature juridique et réglementaire qui régit le Foncier.

Cette action de diffusion est destinée à préparer les esprits à l’œuvre de refonte du système foncier. Si elle est bien menée et largement entourée d’une grande publicité et une bonne sensibilisation, pour en démontrer tous les bienfaits, elle aiderait à faire éclore des propositions aptes à constituer des bases objectives à la refonte escomptée. Un débat national sur la question foncière est de nature à en éclaircir les voies et à en expliciter les moyens et instruments.

§    La préparation d’une refonte des textes et des procédures applicables en matière foncière afin d’arriver à une meilleure lisibilité de la législation foncière, à son uniformisation et son unité, en tenant compte des changements du contexte social et économique en cours et des défis qui se profitent à l’avenir plus ou moins proche. Il est tout à fait impossible d’affronter toutes les exigences d’aujourd’hui et encore moins celles, ô combien plus complexes, de demain avec des données foncières aussi confuses qu’inopérantes que celles qui prévalent actuellement.

Le choix du système foncier basé sur l’immatriculation doit être étayé en engageant un travail de fond sur sa réforme. Un nouveau texte d’orientation générale consacrant cette réforme doit  être élaboré par le biais d’une Commission Nationale qui regrouperait le plus grand nombre d’acteurs de la scène foncière (administration, professions, représentants de la population, université, personnes ressources, etc…).

§    Préparation au traitement des problèmes fonciers par une action de formation théorique et pratique, tant au niveau national, qu’aux plans régional et local.

Cette préparation doit être organisée de manière méthodique permettant la formation de spécialistes et de techniciens rompus à la compréhension des mécanismes du foncier dans ses dimensions économique, sociale, juridique et technique.

1.4.2. Au niveau de la Région de l’Oriental

Tout en dépendant fortement des actions à mener sur le plan national, le travail sur le foncier s’avère urgent dans l’Oriental. Il se doit de traiter prioritairement les deux grands problèmes fonciers de cette Région, à savoir «les titres khalifiens» et les terres collectives.

1.4.2.1. Les titres khalifiens

Pour ce qui est du problème des titres de propriété soumis au régime khalifien, il est particulièrement urgent que la puissance publique redouble d’efforts pour leur trouver une solution satisfaisante.

Le choix pris jusqu’ici, consistant à transposer la démarche de l’immatriculation comme instrument de reconnaissance et de consécration de la propriété foncière, s’est avéré inconséquent et sans grande portée. Il a plutôt renforcé l’incrédulité vis-à-vis de ce genre de titres, mais n’a nullement pas tracé la voie vers l’uniformisation de la procédure d’immatriculation à travers l’ensemble des régions concernées.

Le traitement du statut des titres khalifiens ne peut faire l’économie d’une politique foncière courageuse qui doit repartir d’une refonte du régime d’immatriculation en veillant à sa simplification et à la recherche d’instruments et de techniques efficientes de publicité.

Afin de conférer à l’immatriculation un caractère attrayant, il y a lieu de :

–    confier la mission à une Commission constituée de juristes, de conservateurs, d’ingénieurs topographes et géomètres, de représentants des collectivités et de l’autorité locale. L’entrée en action de cette Commission, ainsi constituée, doit être précédée d’une large opération de publicité touchant l’ensemble de la zone nord du Maroc, et empruntant les divers canaux de communication moderne (radio, télévision, affichage public, journaux) et traditionnelle (prêche du vendredi, crieurs publics, souk…), et couvrant tout l’arsenal des espaces et des organisations de contact et de diffusion de l’information auprès du public le plus large ;

–    considérer les décisions d’immatriculation prises par cette Commission, très largement représentative par sa composition des enjeux du foncier, comme passibles d’appel devant la Cour suprême, en cas de mise en cause lors de la période de publicité ;

–    doter la justice de toutes les garanties d’accomplissement de sa mission et notamment la maîtrise de l’espagnol de la part des juges chargés d’examiner des titres rédigés dans cette langue ou renvoyant à des supports et référentiels en castillan.

La sensibilisation aux avantages et aux garanties que procure l’immatriculation foncière doit emprunter obligatoirement la voie de campagnes de publicité et de sensibilisation intelligentes, répétées et compréhensibles. Elle doit être accomplie dans le sens de déclencher l’adhésion la plus large possible des intéressés de tous bords. Afin de l’encourager, il y a lieu de déclarer la gratuité de l’opération d’immatriculation au départ, et de fixer une période suffisante et réaliste pour vaincre les réticences des porteurs de titres khalifiens.

Une campagne de mobilisation des différentes courroies de transmission en faveur de l’immatriculation et des opérations de sensibilisation des concernés s’avère incontournable afin de déclencher un mouvement d’acceptation et d’adhésion.

La généralisation de cette procédure passe par la mise en confiance de propriétaires et d’ayants-droit hésitants ou peu au courant des avantages de l’immatriculation.

1.4.2.2. Les terres collectives

Concernant les terres à statut collectif, l’action des pouvoirs publics doit être orientée vers le dépassement de leur gel et de leurs modes de mise en valeur non efficients et peu compétitifs jusqu’à présent, en raison de leur anachronisme patent par rapport à l’investissement financier et à la capitalisation du travail.

Il s’agit de grandes superficies dont la mobilisation de la partie viable en faveur de l’œuvre d’aménagement et de développement régional, impose une refonte institutionnelle de son statut obsolescent et fort désuet par rapport aux exigences modernes et aux défis actuels. C’est dire ici la nécessaire révision des fondements de la propriété des terres collectives et de leur mode d’appropriation et de mise en valeur et ce, au niveau national tout entier.

Il y a lieu de rappeler ici que la question des terres collectives a fait l’objet d’amples et fructueux débats. Les conclusions fort intéressantes élaborées à l’initiative de la tutelle lors du Colloque sur les terres collectives (1995) gardent toute leur actualité, même si elles nécessitent une réflexion plus approfondie, sous-tendue par les exigences de la valorisation raisonnable de ce patrimoine dans un contexte de développement durable et d’aménagement équitable du territoire.

Les problèmes des terres collectives sont divers et complexes. Ils ont trait aux modalités de répartition entre ayants-droit, mais ils génèrent aussi de grands obstacles pour une utilisation rationnelle du sol et de gestion d’un patrimoine foncier franchement sous-valorisé, voire même dilapidé.

La tutelle de l’Intérieur sur ces terres s’avère de plus en plus inappropriée pour faire sortir cette importante assiette foncière de l’état de léthargie et de mal exploitation où elle se trouve, afin de lui conférer la dimension économique qu’elle doit de plus en plus remplir, d’un côté, et la soustraire aux différentes formes de spoliation ou de dégradation dont elle fait souvent l’objet.

Par conséquent, le dépassement progressif de cette situation nécessite une série d’actions courageuses, urgentes et intelligentes, parmi les plus importantes d’entre elles se placent :

–    la réalisation d’un inventaire exhaustif des composantes des terres collectives qui n’ont pas encore été soumises à la procédure de délimitation administrative et d’immatriculation foncière. Cette opération doit être conduite par les soins d’une autorité de tutelle suprême, en l’occurrence le Premier Ministre, et doit être réalisée dans les plus brefs délais et cartographiée afin que chaque province et chaque commune puisse disposer d’un recensement complet, archivé et spatialisé de son assiette foncière collective ;

–    l’intensification et la simplification des opérations de délimitation dans le sens d’un assainissement selon les règles de l’art, afin de se prémunir contre toutes les tentatives d’appropriation, de confiscation, de détournement, de spoliation ou de squatterisation qui trouvent, souvent, dans ce type de patrimoine foncier, une proie facile à consommer ou à subiliser ;

–    la délimitation des terres collectives à usage de parcours et la fixation des modalités d’usage et d’exploitation dans un sens favorable aux besoins de l’élevage extensif et au rééquilibrage des écosystèmes ;

–    l’encouragement de modes d’exploitation sur une base coopérative ou associative capable de moderniser la mise en valeur des sols et de mobiliser les usagers en faveur de l’adoption de techniques productives appropriées et de l’amélioration des rendements et des niveaux de vie des populations concernées ;
    
–    le développement de formes de partenariat entre les communautés et les promoteurs privés par des formules de location pour des durées aptes à permettre la rentabilité et la durabilité des projets initiés et à les entourer des garanties nécessaires d’approfondissement pour la promotion de filières de production ou de systèmes productifs locaux viables ;

–    la révision des textes réglementant les terres collectives dans le sens de leur garantir des niveaux d’exploitation et de mise en valeur conformes à leur situation géographique et à leur vocation, aussi bien pour les besoins de l’urbanisation que pour ceux de l’agriculture ou de l’élevage. Cette révision doit se faire également avec le souci de lutter contre l’émiettement et le morcellement des exploitations inhérents aux modalités actuelles de partage entre plusieurs ayants-droit, réels ou prétendus.

1.4.2.3. Garantir une sécurité foncière productive

Ces propositions visent aussi à faire face au problème de l’insécurité foncière. Au sein de l’Oriental, cette insécurité constitue un handicap majeur pour tout projet de développement. C’est pour cette raison que le foncier doit être traité comme un problème institutionnel de premier ordre, ayant des répercussions économiques et sociales profondes, voire déterminantes, vu l’extension énorme des terres soumises aux statuts fonciers handicapants.

Par ailleurs, l’Oriental figure parmi les régions du Maroc où le foncier constitue une véritable obsession. Tout en étant considéré comme la matérialisation de la valeur la plus sûre en tant que patrimoine fort prisé, les comportements à son égard restent entachés d’une perception fort désuète. Le foncier participe à l’espace de production de la notoriété sociale comme simple valeur-refuge dont la détention conforte le propriétaire et le sécurise contre d’éventuels risques d’appauvrissement et de perte occasionnelle ou définitive des efforts déployés comme source de revenu. Elle l’est aussi en raison d’une perception de la détention et de l’appropriation du foncier dans sa dimension symbolique. C’est l’ancrage de cette perception dans les mentalités qui amoindrit la dimension économique du foncier comme élément actif au profit de la prééminence et de la généralisation de sa détention improductive. La rationalité du foncier se trouve ainsi pervertie par rapport aux normes de la mise en valeur qui gouvernent la sphère de l’économie moderne.

Plus est, une telle situation favorise le maintien, en milieu rural, d’une forte proportion de résidents improductifs, ce qui alourdit gravement la charge démographique des campagnes ; mais elle encourage en même temps de nombreux propriétaires ou d’ayants-droit à fuir ces campagnes par incapacité de pouvoir fructifier, localement, leurs avoirs ou leur savoir-faire dans l’activité agricole ou pastorale.

Pour lutter contre le gel du foncier, il y a lieu de redéfinir une nouvelle rationalité économique en empruntant des instruments et des mécanismes pénalisant la détention improductive du sol.

Autrement dit, il y a une grande urgence à introduire toute une série de réformes facilitant et sécurisant les transactions foncières et incitant à l’utilisation des assiettes foncières comme bases de projets rémunérateurs et créateurs de richesse, et comme facteurs de production de valeurs renouvelables. Les réformes à instituer sont appelées à faire bouger le foncier, à lui conférer une logique économique de mise en valeur, en faire un facteur de progrès et non un refuge pseudo-sécurisant et un capital sentimental factice.

Les propositions ci-dessus formulées visent à instaurer un changement dans la vocation et la perception en vigueur du foncier. Elles doivent être conduites dans le sens d’imprimer au foncier les valeurs économiques de la modernité. C’est que l’accès à la modernité  passe par le dépassement de la logique de notoriété vers une logique économique et de résultats. Les réformes de nature institutionnelle et juridique basées sur l’instauration et le renforcement de la transparence des mutations et des transactions foncières constituent la garantie du fonctionnement nouveau du foncier dans la Région, selon une nouvelle rationalité économique, sous-tendant et épaulant l’œuvre de développement régional. C’est sur cette base qu’il faut redéfinir la fonction du foncier. Et c’est dans ce but qu’une forte dose de volontarisme est requise, aujourd’hui plus que jamais.

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1 Comment

  1. BENAISSA AMAL EDDINE
    05/10/2008 at 21:15

    SALU MON NOM C ET BENAISSA JAMAL EDDINE DE LA VILLE DE MARTIL ET JE SUIS UN JEUNE CHERCEUR DANS LE DOMAINE DE FONCIER AU MAROC C ET TRأˆS BIEN DE LIRE UN ARTICLE INTERESENT COMME أ‡A ET JE SERAI RAVIE DE RECEVOIR DES AUTRE ARTICLE OU LIVRE APROPO DE FONCIER AU MAROC ET MERCI MON EMAIL C ET
    benaissa1975gmail.com

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