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Oujda : La Joutiya et Bab Sidi Abdelouahhab

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Bab Sidi Abdelouahhab ou bab Qabli comme l’appellent encore les personnes d’un certain âge tire son nom du Saint dont le mausolée est à peine visible dans sa tunique blanche face à la place des bouchers de la ville et contre la coupole duquel s’adossent les écrivains publics avec leurs Olivetti hors du temps et presque hors d’usage et dont certaines, à coup sûr, ont servi au procès de Nuremberg. Elle est là à recevoir le soleil levant qui chaque matin depuis que la ville est ville et que la porte est porte éclaire le rempart de ses rayons de feu l’été et à peine tièdes l’hiver. Elle est loin de rivaliser avec les portes des villes impériales mais elle est à la dimension de cette ville perdue dans les confins d’une zone aride et coupée du reste du pays aussi bien par la géographie que par le climat. Face à cette porte, avec ses deux autres petites portes jumelles ouvertes de part et d’autre de la porte mère qui les sépare et les domine de sa taille et de sa forme en arcade, il y a la grand place de la Joutiya et qui dit Joutiya dit également un lieu de va et vient incessant et perpétuel de gens nullement pressés qui vont et viennent dans tous les sens à longueur de journée et pendant toute une partie de la nuit. Ils se déplacent comme mus par la rotation d’une meule géante, ou par les mouvements convulsifs d’un estomac de monstre qui digère ce qu’il a avalé la veille ou comme par les mouvements rotatoires d’une bétonnière de chantier, avant d’aller se déverser dans les boyaux qui servent de points de dégagement et d’échappatoire à cette fourmilière frappée par la folie du mouvement dans un désordre chaotique et vertigineux.

La porte et ce qui reste de son rempart regardent la grand place dite Joutiya : lieu de rencontres de tous les habitants de la ville et des visiteurs venus d’ailleurs. Tous les moyens de transport urbains partent de la Joutiya et y reviennent bondés à craquer pour y déverser leur contenu humain cuit à la sueur du contact des corps contre les corps, le temps d’un trajet. Elle est un point de départ et un terminus. Vous venez de quelque quartier situé à la périphérie de la ville et vous désirez vous rendre dans un autre quartier à l’autre bout ? Vous devez faire escale à la Joutiya. Vous voulez faire vos achats de produits de quelque nature qu’ils soient ? Vous devez vous rendre à la Joutiya. Si la ville était à comparer avec un corps humain, la Joutiya en serait le nombril. Si elle est à comparer avec quelque monde de conte et de légende, elle serait l’antre de l’ogresse.

Si la Joutiya avait une mémoire, elle vous conterait les mille spectacles jadis animés sur sa grand place. Elle vous parlerait du cascadeur mutilé avec sa non moins mutilée moto noire, des conteurs de récits de légende où se mêlaient la réalité et la fiction, des chanteurs d’airs folkloriques gais ou mélancoliques, des montreurs de singes, des charmeurs de serpents, des herboristes, des arracheurs de dents, des jongleurs, des prestidigitateurs, et d’autres nids autour desquels s’attroupaient des spectateurs émerveillés aux yeux rivés sur le centre de la scène en effervescence.

Que reste-t-il de ces théâtres à l’air libre ?Rien.

La place est occupée par des vendeurs ambulants qui proposent aux passants des briquets ou des allume gaz électroniques, des brosses à cheveux en plastique, des piles pour télécommandes ou MP3, des cigarettes au détail, du tabac à chiquer, des bottes de persil, de menthe ou de verveine fraîche ; par des cireurs, des mendiants, des pickpockets, des badauds, des drogués au diluant ou à la colle forte. Et d’autres choses et d’autres fausses activités.

Vue de loin, Bab Sidi Abdelouahhab donne l’impression d’être une porte monumentale, grandiose et joliment belle. Le rempart dans lequel elle est percée,ou le piètre lambeau qui en reste, long d’une trentaine de mètres de part et d’autre de la porte centrale, est surmonté de créneaux et de merlons à forme pyramidale derrière lesquels s’étaient abrités les farouches archers et frondeurs devant protéger la médina des pilleurs venus prendre possession de ses richesses ; il est également percé en son flanc de milliers de meurtrières derrière lesquelles, beaucoup plus tard, s’étaient postés les fusiliers qui devaient assurer la garde de leur ville. Le rempart, mutilé, tronqué, réduit à ce qu’il en reste par les nombreuses modifications apportées par les différents responsables qui se sont relayés pour faire sa perte et transformer le monument à valeur historique en baraques à valeur commerciale, est pitoyable à considérer dans l’infirmité à laquelle il été réduit. Le spectateur qui regarde la porte voit que le rempart s’arrête au marché de légumes à l’architecture en pigeonnier, et à sa gauche, il cède la place à des toilettes publiques ; du côté de Bab Sidi Abdelouahhab, c’est tout ce qui reste du rempart de la ville que la gangrène des intempéries et plus encore celle des hommes dévore. Si la porte et ce qui reste du peu de son rempart sont assez bien visibles de l’extérieur, de l’intérieur, le visiteur ne voit ni l’un ni l’autre .Mille baraques, accrochées au rempart comme des verrues, comme des excroissances hideuses, avec leurs toits en zinc tordu et rouillé, leurs auvents en bâches grossières, rapiécées, décolorées, constellées, poussiéreuses et sales que soutiennent des supports en fer carré ou des manches à balai ,retenus par des cordes et des fils noués ,tressés et pendants, s’accrochent maladroitement au mur contre lequel elles prennent appui pour ne pas s’affaisser . Les marchands, debout devant leurs étals de fruits secs exposés aux mille vices de l’endroit; ou d’épices depuis bien longtemps sans arôme d’épices ; ou de fripes infectées par la gale, puant la merde et sentant la mort ; ou de gadgets à usage obscur, crient, gueulent, hurlent de toute la force de leurs poumons. La porte est perpétuellement obstruée par des grappes d’êtres peinant pour entrer ou sortir de cette bouche de démon qui avale et vomit.

De l’intérieur, le visiteur ne voit ni la porte ni le rempart comme si le rempart et la porte sont faits pour l’extérieur comme une monnaie à face sans pile.

Vue de près, le long du rempart et aux encoignures formées par les saillies de la porte, elle fait découvrir au visiteur venu tôt le matin voir le lever du soleil matinal sur le rempart et la porte de la ville millénaire, des traînées d’un liquide marron et écumant à l’odeur forte aux narines s’écouler à mi-hauteur d’homme le long du mur historique pour aller finir son ruissellement à quelques pas de sa base, puis des tas d’ immondices déposées en galettes molles, aux contours mal définis, qu’une mince pellicule noirâtre recouvre , d’autres immondices en mottes flottantes et informes, d’autres encore en bâtonnets entrecroisés de manière arbitraire . Vagabonds, clochards, personnes sans domiciles fixes, passants sans retenue, drogués inconscients, débauchés nocturnes, ivrognards à l’esprit éteint, se sont servis de l’obscurité de la nuit, de l’isolement et du confort que leur procure le lieu pour se soulager. Ceux qui ont mutilé le rempart de ses parties manquantes tout comme ceux qui ont baissé leurs culottes pour se vidanger à la base du rempart en lui montrant leur derrière en lobes disjoints ou la queue molle et dégouttante de leur devant, ont laissé derrière eux en partant une insulte à l’histoire millénaire du lieu que viendront bientôt emporter dans leurs semelles les badauds et les promeneurs perpétuels ou devant laquelle viendront soupirer les amoureux des vestiges.

Ah ! Si derrière chaque merlon il y avait un archer ou un frondeur!

Ah ! Si derrière chaque meurtrière il y avait un fusilier !

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