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L’AFFAIRE DU BOEING : Ière PARTIE : L’ÉPISODE DE LA PISCINE

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COLONEL MOHAMED MELLOUKI
LE JOURNAL : LA 2ème LECTURE
26/11/2014

L’AFFAIRE DU BOEING :
Ière PARTIE : L’ÉPISODE DE LA PISCINE

Suite à un sérieux désaccord de commandement avec le capitaine Lahrizi, celui-ci comprit qu’en dépit de notre relation cordiale au plan personnel, nos rapports professionnels et hiérarchiques risqueraient de ne pas toujours être empreints des mêmes sentiments. Le fait est que contre toute attente, je fus muté à Nador quelques mois après ma rencontre avec Oufkir- voir l’article précédent-. La veille de mon départ, le capitaine donna un ‘ pot’ à l’occasion, et devant le personnel rassemblé, il prononça à mon égard un speech professionnellement élogieux sur fond d’une sincère émotion charriant ses profonds regrets quant à notre séparation et m‘assurant de toute sa considération et sa profonde amitié. Je lui rendis la pareille, et garde, d’ailleurs, toujours, de lui le meilleur souvenir.
Environ deux ans plus tard, en partance sur Agadir, j’ai fait escale, le temps d’une nuit, à Casablanca, et là j’ai téléphoné à un collègue, juste pour avoir de ses nouvelles. Il en informa le Cdt Lahrizi, nommé depuis à Casa, qui lui enjoignit de m’empêcher coûte que coûte de repartir avant de passer le voir, parce qu’il avait un message urgent pour moi. Intrigué, je voulais savoir de quoi ça retournait. Lahrizi me reçut chaudement, et à peine assis, il me lance : ‘ Devine qui vient de se rappeler de toi !’ Franchement, je n’en avais aucune idée. Il rajoute : ‘ Oufkir ! Je viens de dîner avec lui la semaine dernière, et à l’improviste, il m’a demandé ce que tu devenais ; je lui ai répondu que tu étais à Nador. Il s’est étonné et m’a demandé pourquoi ? À peine ai-je prononcé le mot désaccord, qu’il m’a brutalement interrompu pour me dire : ‘ Écoute Abderrahane, tu as eu tort ; tu vas le contacter d’urgence et venir me voir ensemble !’ Lahrizi a tenu, alors, à ce que je lui fixe une date précise pour ce rendez-vous. Pour éviter de le frustrer, je lui ai promis que ce serait fait sur mon chemin de retour d’Agadir. Une semaine plus tard, arrivé à la bifurcation de Médiouna, j’ai emprunté la bretelle contournant Casablanca.
Plus tard encore, vers fin 1971, après mon séjour à Meknes – voir les quatre articles correspondants – j’ai atterri à Beni-Mellal. Là étant, je fus convoqué pour assister, le 20 juillet 1972, à une réunion à l’État-Major de la Gendarmerie. Le bruit avait couru que le prince Mly Abdellah devrait nous transmettre un message du Roi. C’est Oufkir qui débarqua à la place. Cet épisode, je l’ai, déjà, raconté dans mon Manifeste politique posté sur Internet le 15 mars 2011. Je le reproduis, ici, texto : « Face à l’écran de projection, dos tourné à une trentaine d’officiers, Oufkir donne l’impression d’écouter attentivement l’exposé du colonel Arzaz, commandant de ce corps, appuyé de diapositives et principalement axé sur l’organigramme et la logistique. Il s’enquiert de la dissémination des unités sur le territoire, du rapport sur ce plan entre le Maroc et la France et insiste sur le renforcement de l’assiette sécuritaire. Mais il devient évident, lorsqu’il se retourne pour nous faire face, que ces domaines ne sont ni son souci immédiat ni sa préoccupation majeure. Visage fermé et ton grave, il s’adresse à l’assistance : « ‘Tous vos problèmes, dit-il, seront résolus. Je vous promets que votre avenir sera brillant, et que votre situation sociale sera enviée. J’envisage même d’inclure dans vos salaires une prime spéciale pour vos épouses pour qu’elles puissent tenir dignement leurs rangs. L’argent n’est pas un problème ; ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir compter sur vous…sur des hommes’. Il répète et martèle cette dernière phrase. Toute l’assistance est éberluée. Elle ne sait si ces propos exprimaient une reconnaissance royale pour la fidélité dont l’Arme avait fait preuve lors du ‘ coup de Skhirat’, ou s’ils traduisaient une intention personnelle. Souvent les rassemblements d’officiers se terminent dans un papotage cordial, avec fortes embrassades et accents tapageurs. Celui-ci se disloque dans une totale morosité. »
Vingt-huit jours plus tard, le 16 août, je me trouvais aux côtés du gouverneur, Mr Said Ou Assou qui présidait la réunion du comité technique de l’Office d’irrigation du Tadla, à Fquih Ben Salah. La salle, longue d’une quinzaine de mètres était en grande partie occupée par une table qui prenait l’essentiel de l’espace, permettant à peine un étroit passage entre les chaises et le mur. L’assistance se composait majoritairement d’agriculteurs, et de quelques autorités locales et chefs de services. L’ambiance y était animée, lorsque vers 16 ou 17 heures d’une journée torride, quelqu’un est venu susurrer à l’oreille du gouverneur. Celui-ci quitta aussitôt les lieux et s’absenta une dizaine de minutes. De retour, et à partir du seuil de la salle, il me cria à haute voix : ‘ Mon lieutenant, venez !’ Il était complètement retourné, et l’assistance secouée par son accent et son agitation se leva en bloc et se rua sur la seule porte existante, située à l’autre bout de la salle. Il me fallut user des coups de coude pour parvenir à la sortie. J’ai trouvé le gouverneur au volant de sa voiture. Le commissaire divisionnaire, Mr Takhmi, chef de la Sûreté régionale, prit place à côté, moi sur la banquette arrière. À peine a-t-il démarré qu’il nous lança que le Boeing royal a été attaqué à hauteur de Tétouan ; ajoutant que c’était probablement par des avions libyens. Je luis répondis, instinctivement, que leur rayon d’action ne pouvait atteindre le Maroc.
Au siège de la Province, le gouverneur se démena, durant deux ou trois heures, pour joindre Oufkir, vainement. La dernière fois, totalement abattu, le visage ciré, il déposa avec peine le combiné et nous dit d’une voix à peine audible : ‘ Oufkir s’est suicidé !’.À l’instant gicla en mois le souvenir d’un épisode vieux de six ans, remontant à la période où je servais à Fes. Un jour d’été, juillet ou août 1966, le capitaine Lahrizi qui avait escorté le Roi à Sidi Hrazem, fit, au retour, irruption dans mon bureau et me dit : ‘ Tu ne connais pas la dernière ?’ Je lui répondis : ‘ Comment voulez-vous que je sache, j’ai passé la journée enfermé ici !’ Il me raconta alors la scène dont j’ai parlé aussi dans le Manifeste, et que je reproduis, ici : « Le Roi et son frère Mly Abdellah se disputent une compétition dans la piscine de Sidi Hrazem. Oufkir y débarque apparemment à l’improviste, se met à arpenter les rebords du bassin en attendant une entrevue avec le Roi. Mly Abdellah sort furtivement de l’eau et l’y jette, d’une poussée dans le dos, tout costumé. Oufkir, de toute évidence ne sachant pas nager, se met à barboter et parvient difficilement à s’en sortir, sous les ricanements sous le manteau des officiels présents qui détournent le regard, pensant lui rendre, ainsi, l’offense moins pénible ».
Après leur élargissement d’un internement ultra secret de presque une vingtaine d’années, Mme Oufkir, son fils Raouf et sa fille Malika, ont tous mis, par la suite, en exergue dans leurs livres, écrits une fois en France, la solide amitié de leur époux et père avec le prince Mly Abdellah. C’était peut-être vrai avant l’épisode de la piscine. Personnellement, je suis convaincu qu’Oufkir ruminait sa vengeance à partir de cette mésaventure: le prince l’ayant jeté dans l’eau, lui, a pensé à faire jeter…du ciel…tout le régime. Mais, cet épisode de la piscine, autant qu’il ait pu être ressenti comme une flétrissure, n’était sûrement pas le seul mobile qui a actionné Oufkir, six ans après. Depuis la disparition de Ben Barka, certaines décisions royales ont dû l’inquiéter et sonner comme des menaces fragilisant et rétrécissant progressivement l’étendu pouvoir dont il bénéficiait – Pour plus de détails, voir le Manifeste politique, posté sur Internet le 15 mars 2011-
À suivre, l’article : ‘ Le Mouroir de Tazmamart’

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