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L’exercice structural à l’école primaire marocaine.

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Résumé :

Après avoir été largement utilisé dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine depuis les années 60 jusqu’à la fin des années 80, il y a une sorte de recul relativement à la pratique de ce type d’exercices. Dans le présent article, nous nous penchons sur les soubassements théoriques de cette pratique didactique et son histoire  à l’école marocaine depuis les années 60 jusqu’à la nouvelle réforme. Notre analyse est appuyée par quelques exemples extraits des manuels scolaires utilisés durant cette période. Il faudrait signaler que notre appréciation personnelle – par rapport à cette pratique pédagogique – consiste en l’importance de l’exercice structural dans le cours de la langue française, vu que la langue française est une langue étrangère pour l’élève de l’école publique marocaine.

 

Introduction :

L’enseignement du FLE à l’école publique marocaine a connu une évolution des concepts didactiques relatifs aux théories de l’apprentissage et aux méthodes d’enseignement. Parmi les changements opérés dans cet enseignement, le recul constaté dans l’usage des exercices structuraux dans l’enseignement du FLE a marqué l’histoire du FLE au primaire marocain. Depuis les années 60 jusqu’à la nouvelle réforme de 2000, la place de l’exercice structural dans le cours du FLE avait progressivement connu des mises à jour constantes. On a passé d’une dominance totale à une présence restreinte de ce type d’exercices dans les ensembles pédagogiques du français.

Notre expérience personnelle et professionnelle – en tant qu’ancien élève marocain et ancien enseignant du français au primaire – nous a permis de constater cette transformation. De même, nous avons remarqué que le recul manifesté par les concepteurs de l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine – par rapport à l’exercice structural – s’accompagne par d’autres choix méthodologiques. Or, il faudrait signaler qu’actuellement un bon nombre d’écoles marocaines privées a tendance à utiliser certains ensembles pédagogiques reconnus dans les années 60 et 70 par la dominance des exercices structuraux.

Cela nous semble stimuler notre intérêt pour parler dans cet article de l’histoire des exercices structuraux à l’école publique marocaine. Notre travail portera sur la référence théorique des concepteurs de ce type d’exercice et sur l’évolution de leur intégration dans l’enseignement du FLE au Maroc. Ainsi, notre contribution à ce sujet comportera deux parties. Dans un premier temps, nous essayerons de situer théoriquement le recours à l’exercice structural. La linguistique structurale et les méthodes traditionnelles de l’enseignement du FLE  sont supposées constituer  les deux références (théorique et méthodologique) desquelles se sont inspirés les concepteurs de cet enseignement. Dans la deuxième partie nous analyserons chronologiquement l’usage de l’exercice structural dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine depuis les années 60 jusqu’à la réforme de 2000. Nous expliquerons comment la transformation –  citée plus haut – s’est effectuée en fonction de trois étapes. Des années 60 jusqu’à la fin des années 80, l’exercice structural nous semble être la base de l’enseignement du FLE. Relativement aux années 90, nous mettons en relief le début du recul manifesté à l’égard de cette méthode d’enseignement. Et nous parlerons du rôle limité de l’exercice structural dans le cours du français de la nouvelle réforme de l’enseignement marocain.

      I.             L’approche structurale et l’exercice structural :

Au vingtième siècle, le terme approche désigne selon le Petit Robert  la manière d’aborder un sujet de connaissance quant au point de vue adopté et à la méthode utilisée. Relativement à cette définition, le concept de « l’approche structurale »  – dans le domaine de l’enseignement des langues –  nous semble se référer à la linguistique structurale et au structuralisme en tant que théorie d’apprentissage. Nous supposons qu’il désigne une façon de concevoir cet enseignement. Une telle conception est présumée se faire à la base des principes scientifiques des deux références théoriques citées plus haut.

1.        La linguistique structurale comme une référence théorique de « l’approche structurale »:

La linguistique structurale, héritière de la linguistique saussurienne, s’est approprié son métalangage[1] lui permettant « la description de ces objets formels (ou formes linguistiques signifiantes) que sont les langues naturelles »[2]. Cette description ne constituait pas une fin en soi ; les structuralistes observaient et décrivaient le fonctionnement des langues humaines. Dans cet ordre d’idées André Martinet soutenait que le rôle du linguiste consiste en la précision – pour chacune de ces langues – de « la façon dont elle analyse l’expérience humaine en unités significatives et comment elle utilise les latitudes offertes par les organes dits de la parole »[3]. En effet, cette observation et cette description des langues naturelles et leurs fonctionnements nous semble faites dans le but –  pas uniquement de les décrire – mais surtout pour permettre aux gens de les utiliser correctement.

Il convient ainsi de dire que l’enseignement d’une langue est supposé se faire à la base d’une étude de cette langue et de son fonctionnement. Et c’est sur cette base que cet enseignement est présumé être conçu. Les manuels et les instructions qui les régissent doivent s’en suivre. Pour ce faire, les références théoriques de la conception de l’enseignement d’une langue sont supposées prendre en considération les constats des linguistes sur le fonctionnement de cette langue. En d’autres termes, les méthodes ou les approches relatives à l’enseignement des langues sont élaborées – nous semble-t-il – à la lumière de ces constats.

L’approche structurale nous semble être construite pour répondre au fonctionnement des langues naturelles ayant été étudiées et analysées par la linguistique structurale. La description de ces langues peut être synchronique ou diachronique. L’approche structurale est supposée se baser sur la description synchronique de la langue qu’on prétend enseigner, et ce dans la mesure où cette description porte sur les « unités significatives »[4] qui varient d’une langue à l’autre. Parmi ces unités nous trouvons les structures qui nous semblent désigner « par opposition à une simple combinaison d’éléments, un tout formé de phénomènes solidaires, tels que chacun dépend des autres et ne peut être ce qu’il est que dans et par sa relation avec eux »[5]. Dans cet ordre d’idées Benveniste nous semble résumer la vocation de la doctrine structurale et situer le concept structure dans cette vocation:

« Pour nous borner à l’emploi qui est généralement fait du mot ‘‘structure’’ dans la linguistique européenne de langue française, nous soulignerons quelques traits susceptibles d’en constituer une définition minimale. Le principe fondamental est que la langue constitue un système, dont toutes les parties sont unies par un rapport de solidarité et de dépendance. Ce système organise des unités, qui sont les signes articulés, se différenciant et se délimitant mutuellement. La doctrine structuraliste enseigne la prédominance du système sur les éléments, vise à dégager la structure du système à travers les relations des éléments, aussi bien dans la chaîne parlée que dans les paradigmes formels, et montre le caractère organique des changements auxquels la langue est soumise. »[6].

En effet, l’approche structurale appliquée à l’enseignement d’une langue nous semble se référer à la doctrine structuraliste dans la mesure où celle-ci considère une langue comme un système dont les unités dépendent l’une de l’autre. De même chacune de ces unités n’acquiert va valeur signifiante que si elle est associée à d’autres unités dans la chaîne parlée autant que dans leurs formes écrites. De ce fait nous constatons que l’enseignement d’une langue est supposé se faire oralement et par écrit.

Il faudrait signaler que l’approche structurale est strictement basée sur la priorité de l’enseignement de l’oral. En d’autres termes, les cours de la langue s’articulent sur un dialogue ou une situation de communication simulés par des supports audio-visuels (bandes sonores et figurines ou images). Et la description du fonctionnement des unités de la langue nous semble constituer un repère pour leurs organisations dans les structures ou les phrases constituant ce dialogue. Le choix de ces structures par les concepteurs des cours des langues (ou des manuels scolaires) dépend ainsi de l’objectif de chaque cours.

De ce point de vue nous pouvons dire que l’exercice structural s’est imposé comme un moyen d’assurer un enseignement des langues naturelles dont les unités peuvent être soumises à une description synchronique.  Ce type d’exercices – relatifs à d’apprentissage des langues –  était préconisé en France à partir des années 60 par le Centre de Recherche et d’Etude pour la Diffusion du Français (CREDIF). Et puisque notre article porte sur la place des exercices structuraux dans l’enseignement du français à l’école publique marocaine depuis les années 60, il convient de définir le concept d’exercice structural comme résultat d’application de l’adoption de l’approche structurale dans l’enseignement des langues, et notamment le FLE.

2.        L’exercice structural comme une technique d’enseignement des langues :

Le terme exercice désigne dans le Petit Robert une activité réglée ou un ensemble d’actions s’exerçant dans un domaine particulier, et ce en vue d’entretenir ou de développer des qualités physiques ou morales. Son association à l’épithète « structural » laisse entendre qu’il s’agit d’une activité intellectuelle régie par des règles relavant de la doctrine structurale. Sans doute, la dénomination exercice structural se rapporte à celle de structure qui désigne dans le Petit Robert l’agencement interne des unités qui forment un système linguistique. Dans la terminologie linguistique une structure est un système composé d’éléments solidaires qu’on ne peut séparer sans atteinte à l’unité de sens qu’ils constituent.

En outre, un exercice structural était recommandé pour l’enseignement de la langue française en France à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. Il a été préconisé – par la suite – dans d’autres pays où le français était enseigné comme une langue seconde ou étrangère, notamment au Maroc. Le recours à type d’exercice était supposé favoriser un enseignement efficace d’une langue vivante :

 « Faire acquérir la maîtrise d’une structure linguistique par la manipulation systématique de cette structure dans une série de phrases construites sur un modèle posé au début de l’exercice. Cette manipulation consiste à substituer ou à transformer un certain nombre d’éléments de la phrase de départ et résulte de la réponse de l’enseigné à un stimulus de l’enseignant.»[7]

Nous remarquons ici l’influence du behaviorisme sur cette conception. En d’autres termes, le résultat prévu à travers un exercice structural est stimulé par un modèle. Le rôle de l’enseignant qui consiste en la supervision de la substitution des éléments de la structure-modèle par d’autres éléments afin d’assurer la fixation de cette structure chez l’élève. Et la manipulation, dont parlent les auteurs  plus haut  et qui constitue la réponse à la stimulation par le modèle, nous semble traduire le résultat postulé par les concepteurs des exercices structuraux.

Nous pouvons dire que l’exercice structural s’était imposé comme une pratique efficace de l’enseignement des langues vivantes. Etant basé sur la répétition et la substitution, ce type d’exercice se concevait comme un facilitateur à la fois de la tâche de l’enseignant et celle de l’élève. L’enseignant pouvait – en proposant et expliquant le modèle à suivre – économiser le temps ainsi que ses efforts physiques et intellectuels quant à la stimulation des réponses des élèves. L’enseigné se trouvait dans une situation  d’imitation et de réflexion à la fois. Notons que l’exercice structural nécessite de la part de l’élève d’être attentif aux explications et aux simulations de son enseignant pour effectuer les répétitions et les substitutions que nous trouvons souvent dans ce type d’exercices. De même, les transformations  qui s’imposent de temps en temps dans les exercices structuraux et les questions ouvertes qu’on y trouve (surtout dans les niveaux scolaires élevées) semblent constituer un travail de réflexion pour l’enseigné.

Notons que l’exercice structural – tel que nous l’avons présenté ici – occupait une place importante dans l’enseignement du français dans les écoles marocaines durant environs quatre décennies (60, 70,80 et 90) ; il en était la base dans les trois premières décennies. Tandis que dans les années 90, on le trouvait surtout dans les leçons de l’oral où il ne constituait qu’une étape de l’apprentissage dans quelques séances d’expression orale.

   II.            L’exercice structural dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine :

Comme nous l’avons dit, l’exercice structural avait perdu progressivement son statut et son rôle dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine. Après avoir été la technique dominante dans cet enseignement, il est devenu un exercice supplémentaire à travers lequel on vérifie l’acquisition de quelques automatismes de la langue chez les élèves.  Rappelons que nous parlons ici de la conception de ce te type d’exercices et de son rôle dans l’apprentissage du français à travers l’histoire de l’enseignement du FLE au Maroc.

1.      La place de l’exercice structural dans l’enseignement du FLE au Maroc durant les trois décennies (60, 70 et  80) :

L’approche structurale et les méthodes traditionnelles étaient adoptées dans les années 60 et 70. En d’autres termes, l’enseignement du français était basé d’une part importante sur les exercices structuraux et la grammaire traditionnelle. Comme l’enseignement de l’oral était privilégié pendant ces deux décennies, les leçons de « langage » comportaient une étape dénommées « Exercices de fixation et de réemploi ». Elle portait sur les structures utilisées pendant le déroulement de la leçon de l’oral. De plus, on proposait dans chaque leçon des structures dont la répétition et le réemploi occupaient environs 75 % du volume horaire du cours.

A l’école publique marocaine des années 60 et 70, les leçons de « langage » étaient basées sur la répétition, le réemploi et la fixation du vocabulaire et des structures véhiculés par un « texte essentiel » ou « dialogue ».  Le vocabulaire et les structures visés étaient présentés dans le livre du maître et celui de l’élève au début de chaque leçon. Cela nous semble permettre à l’enseignant et l’enseigné de se concentrer sur un nombre limité de mots et de structures durant chaque leçon. L’objet de chaque cours (vocabulaire et structures) se rapportait à un thème général qui s’étalait sur plus d’une leçon (au moins deux leçons).

En outre il y avait une méthode d’enseignement du FLE qui régissait la pratique de l’exercice structural ; il s’agissait de la « méthodologie structuro-globale audio-visuelle (SGAV)». Elle relève de la méthode audiovisuelle dans laquelle on s’appuie sur un document (dialogue illustré par des images) comportant le vocabulaire et les structures visés. De même, l’enseignement du lexique et celui de la grammaire étaient implicites. En d’autres termes, on n’avait pas recours à la traduction pour fixer les champs  lexicaux chez l’élève qui retenait les règles de grammaire sans les apprendre machinalement.

Notons que les leçons de lecture étaient également une occasion pour pratiquer les exercices structuraux. Ces leçons constituaient un prolongement de celles du « langage ». En plus des exercices de compréhension globale des textes proposés, il y avait des exercices  qui étaient prévus à la fin de chaque leçon de lecture portant – surtout – sur le fonctionnement de la langue. De même, les élèves de la cinquième année primaire étaient progressivement amenés à la production des phrases puis des paragraphes en fonction d’un modèle proposé[8].

Dans les années 80, les concepteurs de l’enseignement du français à l’école publique marocaine avait prévu une séance par jour pour l’exercice structural. Cela concernait les deux premières années de l’enseignement du FLE (troisième et quatrième année primaire). En troisième année ce type d’exercices – appelé aussi exercice de réemploi – « mécanise un moule de la langue par répétition »[9]. Les exercices structuraux  qui étaient « ponctuels, limités et spécifiques »[10] portaient sur le lexique, la grammaire et la conjugaison. En quatrième année, les leçons de lecture constituent davantage un prolongement de l’oral. En d’autres termes « en lecture, on retrouve très souvent les éléments lexicaux et structuraux assimilés au cours des leçons orales ; les exercices d’orthographe, de grammaire, de conjugaison et d’initiation à l’expression écrite s’appuient à leur tour sur ces mêmes leçons, faisant ainsi de ce va-et-vient permanent entre l’oral et l’écrit »[11]. En cinquième année primaire, on proposait chaque semaine une seule séance d’exercice structural. Elle était  suivie d’une séance d’exercice lexical. Les structures et le vocabulaire étudiés pendant ces deux séances étaient supposés être utilisés par les élèves pendant la séance d’expression écrite.

De ce fait, dans les années 80 l’exercice structural n’était qu’une activité parmi d’autres activités constituant le cours du FLE. Il semble que les concepteurs de l’enseignement du français à l’école publique marocaine pensaient déjà à  rompre avec les pratiques dites « traditionnelles ». En outre l’apparition de « nouvelles » tendances théoriques avait amené ces concepteurs à adapter l’enseignement du FLE à leurs soubassements méthodologiques.

2.      L’exercice structural dans l’enseignement du FLE dans les années 90 :

L’exercice structural n’était pas exclu du cours du FLE à l’école publique marocaine des années 90. Il était considéré comme une composante de l’enseignement de l’oral, surtout dans les deux premières années de l’enseignement du FLE (troisième et quatrième année de l’enseignement fondamental). En cinquième et sixième années, on proposait dans la leçon de l’oral (expression et communication 1) des modèles – ne figurant pas dans le texte d’appui (dialogue) – à la base desquels l’élève était supposé s’exprimer oralement en fonction des consignes précises.

Ainsi la quatrième (ou la cinquième séance) de la leçon de l’oral, dans les des deux premières années de l’enseignement du FLE, était une occasion pour l’élève de pratiquer ce type d’exercices. Du fait que cette séance est dénommée dans les recommandations pédagogiques et les manuels du maitre « Exercice à dominante structural », l’élève était supposé être en mesure d’utiliser en situations les structures étudiées dans les séances précédentes. Les concepteurs de l’enseignement du FLE avait prévu une acquisition progressive – par l’élève – des structures proposées :

« Tout d’abord, l’apprenant étudie les structures les plus simples, les plus élémentaires. Il apprend ensuite, d’une façon fonctionnelle, à faire varier un ou plusieurs éléments de ces structures : il s’initie ainsi à les enrichir petit à petit, il acquiert la pratique spontanée des constructions et finit par distinguer ce qui est logique et correct de ce qui ne l’est pas. Ainsi, il pourra s’exprimer sans aller contre les lois de la langue. »[12].

Cette conception progressive de l’exercice structural  nous  semble correspondre aux leçons proposées dans le manuel du maître. Les structures fixées pendant cette séance (exercices à dominante structurale) étaient supposées être utilisées – au fur et à mesure – dans les séances précédentes. Mais il faudrait signaler que l’exercice structural était pratiqué dans les années 90 uniquement à l’oral : « Cet exercice est purement oral »[13]. De même, les structures visées dans chaque leçon correspondaient à ce qu’on appelait les « objectifs de communication » ou à « l’objectif opérationnel » voire à « l’objectif de la séance »[14]. Notons également que dès la première année de l’enseignement du FLE, l’exercice structural semblait permettre à l’élève d’acquérir implicitement certaines notions de base relatives au fonctionnement de la langue et à la conjugaison.

En outre, le prolongement de l’exercice structural oral dans les activités écrites se faisait surtout pendant le troisième trimestre. Il nous semble que les concepteurs de ces activités présupposaient que l’élève – à cette période de l’année scolaire – soit en mesure de fixer par écrit les structures étudiées pendant les séances de l’oral. Il s’agit ainsi – nous parait-il – d’une initiation à l’entraînement à la production écrite. Dans cet ordre d’idée, quoiqu’on ait prétendu que l’objectif final de l’exercice structural consiste en « l’expression libre et spontanée »[15], il est évident qu’il ait des prolongements dans l’écrit. Car tout enseignement d’une langue vivante vise  à la fois la communication orale et écrite.

Cette évolution constatée dans la pratique des exercices  structuraux à l’école publique marocaine nous amène à s’interroger sur la place et la conception de ce type d’activités dans la réforme de 2000. En d’autres termes, les changements opérés sur l’usage de l’exercice structural dans l’enseignement du FLE depuis les années 60 jusqu’à la fin des années 90 laissent entendre qu’on continue toujours à mettre à jour la pratique de ce type d’exercices.

3.        Y-a-il une place pour l’exercice structural dans l’enseignement du FLE selon la nouvelle réforme de l’enseignement marocain ?

La dénomination « exercice structural » ne figure pas dans le guide pédagogique du primaire et les manuels du maître – relativement à l’enseignement du français – qui sont conçus en fonction de la nouvelle réforme de l’éducation et de la formation marocaine. De même, aucune séance de la langue française – ni de l’oral ni de l’écrit – n’a été exclusivement prévue pour ce type d’exercices. Or il faudrait signaler qu’il y a encore quelques traces de la pratique de l’exercice structural. Par exemple en troisième année primaire, l’avant dernière étape (exploitation) de chaque leçon de l’oral (appelée « communication et acte de langage ») est parfois consacrée exclusivement à rappeler et à fixer des structures utilisées au fur et à mesure du déroulement des étapes précédentes[16].

De même ce type d’exercices se fait – dans la même étape de la leçon de l’oral et dans le même niveau scolaire cité plus haut –  à travers des questions à laquelle l’élève est supposé répondre pour utiliser et acquérir les structures visées. En outre, nous n’avons remarqué aucun prolongement de ce type d’exercice dans d’autres activités, surtout celle de la lecture ou de l’écrit. Cela nous amène à supposer que la présence des exercices structuraux a concerné – dans la nouvelle conception de l’enseignement du français à l’école publique marocaine – uniquement une seule étape de la leçon de l’oral (« communication et acte de langage »), et c’est généralement la phase où l’élève est supposé avoir suffisamment assimilé le contenu linguistique de la leçon.

Nous pouvons ainsi dire que la pratique des exercices structuraux  est effectuée à l’école publique marocaine en fonction de trois étapes. L’enseignement du FLE à l’école publique marocaine se faisait durant deux décennies (années 60 et 70) à la base des exercices structuraux à l’oral autant qu’à l’écrit. En d’autres termes, les autres composantes du cours du français (fonctionnement de langue et autres) étaient implicitement abordées dans ce type d’exercices. Dans les années 80, l’exercice structural occupait une place considérable dans l’enseignement du FLE, sauf qu’il demeurait une activité parmi d’autres. On lui consacrait une séance par jour ; la pratique quotidienne de l’exercice structural semblait être une nécessité dans cours du français. Ce recul opéré dans l’usage des exercices structuraux dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine s’accentuait dans les années 90 où  ce type d’exercices n’occupait qu’une seule séance hebdomadaire ; mais il était également prolongé dans une activité écrite (exercice écrit en troisième et quatrième année). Quant à la réforme de 2000, nous constatons que les structures proposées dans quelques leçons de l’oral ne sont fixées et mises en valeur qu’à travers une seule étape de ces leçons. Notons que, dans les activités écrites, surtout des trois premières années de l’enseignement du FLE, il nous semble qu’il n’y a aucune place pour l’exercice structural.

Conclusion :

La pratique de l’exercice structural suppose le choix d’un bon nombre de principes théoriques et méthodologiques. Ainsi, la linguistique structurale nous semble constituer la référence théorique des concepteurs de l’enseignement du FLE à la base de ce type d’exercices. De même, la méthodologie SGAV leur a donnés des outils méthodologiques pour mettre en avant les ensembles pédagogiques ayant comme matière première les exercices structuraux à l’oral autant qu’à l’écrit.

La définition de la structure, comme un ensemble d’éléments linguistiques (ou sous-systèmes) cohérents d’un système linguistique visé à travers le processus d’enseignement, nous semble motiver les adeptes de la pratique des exercices structuraux. La répétition et la substitution sur lesquelles se basent ces exercices leur attribuent une sorte de dynamisme caractérisant les langues naturelles reconnues par la diversité des automatismes pouvant être  intégrés par plus d’une structure. De même, selon les concepteurs des ensembles pédagogiques pionniers relativement à la pratique de l’exercice structural, ce type d’exercice ne concerne pas uniquement l’oral. Nous avons repéré dans ces ensembles un prolongement des exercices structuraux oraux dans des activités écrites y compris  celle de l’entraînement à l’expression écrite.

L’usage des exercices structuraux à l’école publique marocaine a connu des transformations relevant – à la fois – des méthodes d’enseignement du FLE et de leur place dans les ensembles pédagogiques depuis des années 60 jusqu’à la réforme de 2000. Durant cette période de l’histoire du FLE à l’école publique marocaine, on est passé de la dominance de l’exercice structural dans les leçons de la langue française à une présence furtive de ce type d’exercice dans certaines séances de l’oral. Cela nous semble témoigner des changements théoriques et méthodologiques qui ont régi l’évolution des concepts didactiques relatifs à l’enseignement du FLE au Maroc.

Dans cet ordre d’idée, la raison pour laquelle l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine se basait sur les exercices structuraux  nous semble être la mode structurale qui influençait le domaine de l’enseignement des langues vivantes vers la fin de la première moitié du vingtième siècle. Notons qu’au Maroc, les premières tendances des exercices structuraux provenaient des ensembles pédagogiques conçus par des auteurs français, notamment Bien lire et comprendre. Cela confirme la primauté de l’expérience française relativement à la pratique de ce type d’exercices. Il nous semble que les français avaient constaté que l’exercice structural convenait à l’enseignement de la langue française – d’abord comme langue nationale – si non ils ne les auraient pas intégrés dans l’ensemble pédagogique cité plus haut.

Sur ce point, il faudrait s’interroger sur le recul opéré dans la pratique des exercices structuraux à l’école publique marocaine. Nous supposons que la transformation du statut de la langue française au sein de l’enseignement public marocain, et notamment au primaire, a joué un rôle important dans ce recul. Car on se passait des exercices structuraux à l’école publique marocaine progressivement et parallèlement à l’avancement du processus de l’arabisation de l’enseignement primaire public. De même, cela peut être lié à l’absence d’une étude sémiolinguistique de la langue française par les concepteurs de l’enseignement du FLE au Maroc. En d’autres termes, cette étude pourrait leur permettre de repérer les spécificités culturelle et linguistique de cette langue. La prise en considération de ces spécificités ainsi qu’une analyse des besoins des élèves marocains nous semble indispensables pour un  choix pertinent de la méthode convenable à l’enseignement du FLE au Maroc.

L’hésitation des concepteurs marocains relativement à ce recul se manifeste surtout à partir des années 90 où la pratique quotidienne de l’exercice structural n’était plus effectuée. On n’avait gardé pour ce type d’exercice qu’une séance hebdomadaire – et spécialement dans les deux premières années de l’enseignement du FLE – qui nous semble insuffisante, surtout pour ces deux années d’initiation  à  l’apprentissage de cette langue chez l’élève marocain. Notons que l’enseignement du FLE au primaire était régi – pendant les années 90 – par la pédagogie par « objectifs » qui avait prévu un bon nombre de type d’objectifs à travers cet enseignement ; et l’exercice structural semblait servir à la réalisation d’un seul type de ces objectifs au sein d’une seule leçon, voire dans une seule séance.

En outre, la libéralisation de la conception des manuels scolaires du français nous semble contribuer également à  l’instabilité dans le choix d’une méthode d’enseignement du FLE. Car les ensembles pédagogiques conçus sous l’égide de la réforme de 2000 semblent tous reprendre les mêmes leçons en prétendant  respecter la spécificité de chacune des régions marocaines. De ce fait, il ne nous semble pas évident de prévoir pour chacun de ces ensembles pédagogiques des exercices structuraux qui tiennent compte de cette divergence prétendue. Notons que la langue française – à l’instar des autres langues naturelles – ne peut être enseignée de manières différentes au sein d’un seul pays.

En fait, nous nous permettons d’appeler à revoir le rôle donné actuellement aux exercices structuraux dans l’enseignement du FLE à l’école publique marocaine. Notre proposition ne nous semble pas exclure l’enseignement explicite des leçons de fonctionnement de la langue, surtout pour les deux dernières années du primaire. Car durant les trois années de l’initiation à l’usage de la langue française – soit comme langue enseignée ou langue d’enseignement – l’élève non-natif (notamment l’écolier marocain) a besoin d’être doté d’un bon nombre d’automatismes de cette langue. Pour ce faire, il nous semble nécessaire d’avoir recours aux exercices structuraux dont l’usage a permis d’avoir des résultats satisfaisantes. D’ailleurs, il y a des écoles marocaines privées qui adoptent depuis des années certains ensembles pédagogiques intégrant ce type d’exercices (particulièrement Bien lire et comprendre). Cet état des lieux nous amène à s’interroger sur le recul manifesté par l’enseignement public marocain relativement à ce choix méthodologique.

Bibliographie :

1.     BENVENISTE Émile, Problème de linguistique générale I,  Paris, Gallimard, 1966, 356 p.

2.     GALISSON Robert & COSTE Daniel, Dictionnaire de la didactique des langues, Paris, Hachette, 1976, 612 p.

3.     GREIMAS Algirdas-Julien & COURTES Joseph, Sémiotique. Dictionnaire raisonné  de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, 424 p.

4.     LAHLOU Abdelouahed et al, L’oasis des mots. Guide du professeur. Troisième année primaire (première année du cycle intermédiaire), Casablanca, Al Madaris, 2004, 196 p.

5.     MARTINET André, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, 1996, 222 p.

6.     MEN, Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français. Cours élémentaire. Troisième année. Livre du maître, Casablanca, Les imprimeries DAR EL KITAB, 1981, 142 p.

7.     MEN, Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français. A grands pas. Français. Livre du maître. Quatrième année primaire, Casablanca, Librairie des Ecoles, 1981, 384 p.

8.     MEN, Objectifs et intentions pédagogiques. Troisième année de l’enseignement fondamental. Programmes et horaires. Français, Rabat, Mars 1991, 66 p.

9.     TRANCHART Henri & LEVERT Jean, Bien lire et comprendre. Troisième année. Livre de l’élève, France,  Editions Henri OGE, 1979, 190 p.


[1] . Algirdas-Julien GREIMAS & Joseph COURTES, Sémiotique. Dictionnaire raisonné  de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, pp. 224-226.

[2] . Ibid, p. 212.

[3] . André MARTINET, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, 1996, p. 28.

[4] . Ibid, p. 2.

[5] . Émile BENVENISTE, Problème de linguistique générale I,  Paris, Gallimard, 1966, p. 96.

L’auteur rapporte dans son article « Structure en linguistique » la définition du concept structure proposée par André Lalande.

[6] . Émile BENVENISTE, Op. Cit, p. 98.

[7] . Robert GALISSON & Daniel COSTE, Dictionnaire de la didactique des langues, Paris, Hachette, 1976, p. 519.

[8].  Voir sur ce point les appareils pédagogique accompagnant les textes de lecture dans :

Henri TRANCHART & Jean  LEVERT, Bien lire et comprendre. Troisième année. Livre de l’élève, France,  Editions Henri OGE, 1979.

[9] . MEN, Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français. Cours élémentaire. Troisième année. Livre du maître, Casablanca, Les imprimeries DAR EL KITAB, 1981, p. 16.

[10] . Ibid.

[11] . MEN, Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français. A grands pas. Français. Livre du maître. Quatrième année primaire, Casablanca, Librairie des Ecoles, 1981, p. 5.

[12] . MEN, Objectifs et intentions pédagogiques. Troisième année de l’enseignement fondamental. Programmes et horaires. Français, Rabat, Mars 1991, p. 16.

[13] . Ibid, p. 22.

[14] . Cette terminologie relève de la pédagogie par objectifs adoptée à l’école primaire dans les années 90. Chacun des trois types d’objectif cités plus haut concerne une période d’apprentissage donnée ; elle peut aller d’une seule séance jusqu’à une ou deux semaines.

[15] . MEN, Op. Cit, p. 22.

[16] . Nous citons notamment ici les structures « jouer à…/ jouer avec…/jouer au/jouer de … ». Voir sur ce point :  Abdelouahed LAHLOU et al, L’oasis des mots. Guide du professeur. Troisième année primaire (première année du cycle intermédiaire), Casablanca, Al Madaris, 2004, p. 45.

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