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MRE : Ce que disent Benkirane et PJD – France et ce que dit la réalité

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                   Par Abdelkrim Belguendouz
                    Universitaire à Rabat , chercheur spécialisé en migration

Abordant le dossier de la communauté marocaine résidant à l’étranger , dans le cadre des questions mensuelles sur la politique générale qui lui sont adressées au Parlement , Abdeilah Benkirane , chef du gouvernement , a fait tout dernièrement devant la Chambre des représentants , des déclarations très discutables . Celles-ci appellent par conséquent des observations et critiques et au même moment ,  des éléments d’alternative à la politique suivie en direction des citoyens MRE .

Se basant visiblement , mais sans discernement ni vigilance à notre sens , sur une fiche préparée par le ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , le chef du gouvernement a annoncé notamment que le gouvernement a mis en place une stratégie en matière de communauté marocaine résidant à l’étranger , en délimitant ses trois objectifs .

   De quelle stratégie s’agit-il ?

Or dans une démarche très ambigüe , il n’a pas précisé à quelle stratégie il faisait allusion . En fait , ce dont il parlait , c’est de la « nouvelle » stratégie culturelle en direction des Marocains du Monde , élaborée par un bureau d’études et dont les principaux éléments avaient été présentés publiquement début juillet 2015 il y a un an de cela à Rabat .

Certes , cette stratégie tourne autour d’un élément très important , celui de l’aspect culturel , mais elle n’embrasse pas la totalité du dossier multidimensionnel de la communauté marocaine résidant à l’étranger , dans le cadre d’une stratégie nationale globale , cohérente et intégrée . Celle-ci renvoie notamment à la nécessaire mise à niveau des structures et instruments d’intervention en matière de MRE , et à l’impératif de poser et de répondre à un certain nombre de questions fondamentales et de défis .

Un rappel royal sur l’impératif d’une Stratégie Nationale MRE

Voilà pourquoi , le discours du Trône du 30 juillet 2015 de Sa Majesté le Roi Mohammed VI , a bien rappelé la nécessité pour le gouvernement d’élaborer une stratégie globale , cohérente et intégrée en matière de communauté marocaine hors du territoire national :  » Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée , fondée sur la synergie entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration et pour rendre ces institutions plus efficientes au service des intérêts des Marocains du Monde » .

Il s’agit en effet d’un rappel direct et clair à l’autorité gouvernementale , qui doit assurer la continuité de la mission sur les choix structurels et les orientations stratégiques de l’Etat , même en cas de changement de majorité parlementaire . Dans ce domaine , il y a lieu de relever que le discours royal datant d’il y a presque neuf ans , le 6 novembre 2007 , à l’occasion du 32ème anniversaire de la Marche Verte , contenait déjà notamment une orientation précise au gouvernement sur la nécessité d’adopter une stratégie profonde , consistant en :  » une réflexion renouvelée et rationnelle et une révision de la politique migratoire , à travers l’adoption d’une politique globale , mettant fin au chevauchement des rôles et à la multiplicité des intervenants . Il s’agit d’une stratégie cohérente en vertu de laquelle chaque autorité publique , institution ou instance agit dans un esprit de complémentarité et d’harmonie pour s’acquitter des missions qui lui incombent pour assurer la bonne gestion de toutes les questions de la migration… »

Neuf années après , on est encore au stade du constat de carence en la matière , les gouvernements qui se sont succédés jusqu’ici , y compris les équipes Benkirane , n’ayant pas assumé leur mission en ce domaine pourtant stratégique qui concerne quelques cinq millions de citoyens marocains de l’étranger .

Une étude de l’IRES non aboutie…

Certes , en mai 2012 , une étude avait été lancée pour l’élaboration de la  » Stratégie nationale de l’émigration à l’horizon 2022  » ( puis étendue à l’horizon 2030 ) , avec un budget conséquent de quelques 650 millions de centimes . Coordonnée par l’Insitut Royal des Études Sratégiques
( IRES ) , avec la participation directe des trois intervenants majeurs couvrant le dossier MRE , à savoir le ministère chargé des MRE , le CCME et la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger , cette étude a néanmoins échoué en particulier pour des raisons méthodologiques et des raisons organisationnelles liées de notre point de vue , notamment au fait que les institutions objets d’analyse , étaient elles mêmes juges et parties ! Voilà pourquoi , à notre connaissance , l’étude n’a jamais été terminée et ses résultats n’ont jamais été officiellement validés .

Dés lors , on ne voit pas pourquoi le chef du gouvernement invoque au crédit de l’action de son équipe gouvernementale , cette stratégie sous entendue nationale en matière de communauté marocaine résidant à l’étranger , alors qu’elle n’existe pas et fait encore cruellement défaut à la fin juin 2016 pour donner du sens à l’action gouvernementale en matière de citoyens MRE . Par conséquent , le passif maintes fois mis en avant , en premier lieu par la plus haute autorité du pays ,  est toujours là . Le gouvernement Benkirane est encore redevable de cette stratégie nationale , notamment pour mettre à niveau les principaux intervenants du domaine , qui connaissent toujours de multiples dysfonctionnements et une mauvaise gouvernance . Inutile donc de jouer avec les mots , de procéder par omission en enlevant le mot « culturelle » pour faire croire qu’il s’agit d’une véritable stratégie nationale en direction des MRE . Début juillet 2015 , lors d’un débat public auquel on a fait référence plus haut , le ministre Birou avait reconnu que son département ne pouvait élaborer une stratégie nationale d’ici la fin de la législature…

Dysfonctionnements à la Fondation Hassan II pour les MRE

Prenons un seul exemple mais très significatif , celui de la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger , dont le comité directeur ne s’est pas réuni depuis l’an 2000 , alors qu’il doit selon l’article 5 de la loi 19/89 ( votée au parlement en juillet 1990 ) portant création de la Fondation , tenir deux réunions ordinaires au moins chaque année  !!! Soit la non tenu d’au moins 32 réunions statutaires !!!

A la même Fondation et du côté de la représentation des MRE , le comité directeur est toujours composé uniquement des représentants des tristement célèbres « Amicales » qui ont joué un rôle répressif à l’égard des citoyens MRE et de leur tissus associatif ou syndical démocratique durant les longues années de plomb . Or cette loi portant création de la dite Fondation n’a jamais été réformée , en dépit des demandes réitérées argumentées par les uns et par les autres au niveau du débat public ! A l’encontre des intérêts des citoyens marocains résidant à l’étranger , ce statuquo anachronique n’arrange t-il pas certains responsables qui ne font rien pour que cela change !?

Cette violation flagrante de la loi , non seulement porte préjudice à la transparence et à la bonne gouvernance du secteur MRE , mais contribue à un autre dysfonctionnement , en entravant le débat et la coordination en matière de politique migratoire à l’échelle nationale , alors qu’il y a l’impératif juridique de la réunion du comité directeur de la Fondation , où les principaux acteurs institutionnels ( sauf le CCME créé fin décembre 2007 ) concernés par le dossier multidimensionnel de la communauté marocaine résidant à l’étranger sont représentés .

Alors , qu’attend le gouvernement pour réviser cette loi 19/89 et qu’attend le chef du gouvernement pour que les divers ministères et autres institutions étatiques qui sont membres du comité directeur , puissent se réunir dans le cadre de la Fondation ? Ce point ne peut-il être inscrit à l’ordre du jour de la réunion de la commission interministérielle chargée des MRE et des affaires de la migration ?

Au delà de la personne et au regard du fonctionnement institutionnel et du principe constitutionnel de reddition des comptes pour tout responsable public , une question s’impose . Compte tenu de son parcours respectable , de son profil et de ses diverses hautes responsabilités passées et actuelles , le président délégué de la Fondation , qui a été hissée il y a quelque  temps au niveau des  » entreprises stratégiques  » s’agissant de la nomination de son premier responsable , ne peut-il donner l’exemple dans le respect de la loi et faire en sorte que l’institution qui porte un nom illustre , fonctionne normalement avec efficience !?

Couverture de complaisance

Devant cette absence manifeste de vision globale et de stratégie nationale en matière de citoyens MRE , face également à l’absence de volonté politique d’inscrire certains points à l’ordre du jour pour ne pas fâcher des responsables à certains niveaux influents , et contrairement à une couverture médiatique officielle largement reprise sans vigilance par certains organes de la presse écrite et par certains média électroniques , une remarque s’impose .  On voit mal comment la réunion du 22 juin 2016 de la Commission interministérielle chargée des MRE et des affaires migratoires , qui aura lieu pour la quatrième fois sous la présidence du chef du gouvernement , « part du souci de parvenir à une interaction entre les différentes politiques des secteurs concernés par les MRE  » .

Par ailleurs et contrairement aux louanges tressées par le site officiel PJD – France , la mise en place de cette commission nationale n’est pas nouvelle . Elle existait déjà depuis le gouvernement d’alternance consensuelle même si elle a fonctionné très irrégulièrement . De plus , compte tenu des résultats concrets sur le terrain , elle n’est nullement  » le fruit d’une véritable initiative du gouvernement pour apporter efficacité et service aux MRE  » .

  En quoi est-ce une Bonne Nouvelle ?

Dans son intervention à la Chambre des représentants , le chef du gouvernement a poursuivi en déclarant qu' » au niveau institutionnel , un projet de loi portant sur le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger sera soumis prochainement pour adoption  » . Là aussi , au delà de la « bonne nouvelle » célébrée par le site officiel du PJD -France ,  c’est l’imprécision , le flou et l’ambiguïté totale , aucune échéance précise n’ayant été donnée , le terme de « prochainement » souvent utilisé par le gouvernement prenant la plupart du temps une signification élastique .

On ne connaît rien du contenu de ce projet de loi , sauf selon le site officiel du PJD-France , qu’il  » se focalise en premier lieu sur le fonctionnement du CCME , qui offrirait désormais plus d’aides et aurait plus d’interaction avec les MRE » , et qu’il le considère comme faisant partie  » d’une série de réalisations  » dont le gouvernement peut se féliciter .

Si le site PJD-France relève l’aspect « positif » précédent , rien n’est dit sur la manière de constituer le prochain Conseil . S’agit-il de simples nominations si l’on se réfère à un projet de loi sur le CCME qui aurait été déposé il y a quelques mois par le ministère des MRE au secrétariat général du gouvernement sous le n° 83 – 15 , mais qui n’est nullement officiel pour pouvoir le discuter valablement ? Auquel cas , on constatera que la démarche démocratique prônée pourtant par le Roi dans le discours du 6 novembre 2007 , n’a nullement été suivie pour avoir un CCME démocratique , représentatif , élu et efficient . Ce qui serait prévu , au cas où notre référence est la même que celle utilisée par PJD-France , c’est de simples nominations avec une sorte d’institutionnalisation de « l’amicalisation » du CCME , à travers notamment l’instauration d’un CCME local entièrement nommé au niveau de chaque pays d’immigration significativement concerné par la présence des MRE ….

Précisions sur le statut du CCME

Relevons au passage que , contrairement à ce qu’écrit un site pourtant spécialisé en matière de MRE selon lequel  » en principe , le CCME est placé sous la tutelle directe de la présidence du gouvernement  » , ce Conseil est en fait placé auprès du Roi . Comme le précise l’article 1 du dahir n° 1. 07. 208 du 21 décembre 2007 portant sa création , :  » Il est créé auprès de notre majesté une institution à caractère consultatif , dénommée « Conseil de la communauté marocaine à l’étranger » chargé de donner avis à notre majesté sur les affaires de l’émigration et notamment sur les questions concernant nos  concitoyens résidant à l’étranger ».

L’article 21 précise que « le Conseil jouit de l’autonomie administrative et financière dans la gestion de son administration et de son budget . A cette fin , il est doté d’un budget particulier destiné à couvrir ses dépenses de fonctionnement et d’équipement . Les crédits nécessaires à la gestion du Conseil sont inscrits au budget général de l’Etat » .

C’est dans cet esprit que le budget du CCME est inscrit dans le cadre du budget de la Primature ou chefferie du gouvernement depuis le référendum du 1er juillet 2011, comme ceci est d’ailleurs le cas pour les autres institutions de bonne gouvernance . Mais il ne s’agit que d’une écriture comptable , le chef du gouvernement n’ayant strictement aucune autorité quelconque sur ces institutions nationales consultatives dont le CCME . Cette conception de l’indépendance du CCME est tellement poussée qu’elle avait amené son président en 2012 â s’opposer même au contrôle financier du Parlement … La même conception , avait poussé également le secrétaire général du CCME à refuser il y a deux ans environ , que le Conseil soit membre de la commission interministérielle présidée par le chef du gouvernement , chargée des MRE et des affaires de la migration …

Mais si cette indépendance est jalousement revendiquée par rapport au gouvernement et même par rapport à l’instance législative , pourquoi en liaison avec la nécessaire effectivité des droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc , les responsables de ce Conseil sont au contraire bien perméables aux sollicitations , si ce n’est à de véritables injonctions d’un puissant lobby mû essentiellement par la logique sécuritaire , et qui est réfractaire à la concrétisation de ces droits !?

Un retard énorme du projet de loi

En fait , le projet de loi sur le CCME a beaucoup tardé à venir . Le « Plan législatif » du gouvernement pour la législature 2012-2016 avait donné comme délai entre 2013 et 2014 , mais cet engagement gouvernemental n’a nullement été respecté . Par ailleurs , à notre connaissance , aucune consultation pour l’élaboration de ce projet de loi n’a été ouverte avec la société civile MRE . Tout comme le CCME lui même – dont le représentant du PJD en France est membre au titre de « Maroc Développement  » – n’a jamais présenté d’avis consultatif en la matière . De même , aucune des quatre propositions de lois sur le CCME déposées à la Chambre des représentants respectivement par le PAM ( depuis fin juillet 2013 ) , l’USFP ( 4 février 2014 ) , l’Istiqlal ( avril 2014 ) et les quatre partis réunis de la majorité ( PJD , RNI , MP , PPS ) , n’a été discutée à la Commission des Affaires étrangères , en raison de l’absence de volonté politique du gouvernement .

Toujours est-il qu’aucune échéance précise de la soumission de ce projet de loi au Conseil de gouvernement n’a été donnée par le chef du gouvernement qui affectionne ces formules vagues , sans « deadline » comme il l’avait fait pour la participation et représentation politique des MRE qui « se fera tôt ou tard …lorsque les circonstances le permettront »…Le résultat est le déni démocratique , le projet de loi organique relatif à la Chambre des représentants et adopté le 15 avril 2016 par le Conseil de gouvernement ayant purement et simplement ignoré et exclu les citoyens MRE de toute représentation parlementaire à l’occasion du scrutin législatif du 7 octobre 2016 .

L’opérationnalisation de l’article 163 de la Constitution étant liée à l’adoption d’une loi ordinaire et non d’une loi organique , et compte tenu de l’agenda parlementaire très chargé en cette fin de législature , il y a tout lieu de penser que le projet de loi sur le CCME ne verra le jour qu’à la prochaine législature après les élections du 7 octobre 2016 d’où vont être pratiquement exclus les citoyens marocains de l’étranger , sauf si comme on le souhaite vivement , le tout prochain Conseil des ministres présidé par le Roi Mohammed VI en décide autrement pour supprimer cette injustice flagrante et ce manquement manifeste à la lettre et à l’esprit de l’article 17 de la Constitution rénovée de 2011 .

A ce propos , nous regrettons vivement que la pétition signée par près de 150 ONGs de la société civile MRE ( appuyée en cela par une pétition de l’intérieur du Maroc )  et qui demandait notamment l’arbitrage du Roi , n’ait pas été déposée au Cabinet Royal . Au lieu de cela , la confiance des signataires a été littéralement trahie par le détournement de le pétition associative de sa raison d’être , de son esprit et de ses objectifs , pour être utilisée à des fins essentiellement partisanes et pour certains ( on ne généralise pas ) à des fins purement personnelles , comme nous l’avons montré dans des contributions écrites précédentes , ainsi que lors  d’un débat sur la participation politique des MRE , assuré par Radio Plurielle dans le cadre de l’émission « Arc En Ciel » du dimanche 12 juin 2016 .

 Une commission interministérielle pourquoi faire ?

Au total , les aspects fondamentaux que nous avons mis en relief seront-ils entre autre , soulevés par le chef du gouvernement lors de la la tenue demain 22 juin 2016 sous sa présidence , de la Commission interministérielle chargé des MRE et des affaires de la migration ? Fera t-il en sorte également que les projets de lois concernant l’asile et la réforme profonde et l’humanisation de la loi 02-03 sur l’immigration soient enfin mis dans le circuit ?

Ce que nous attendons aussi de cette réunion du 22 juin , ce sont des décisions concrètes , des arbitrages précis et non pas une simple annonce protocolaire sur laquelle le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement sait néanmoins s’arrêter pour « vendre » ces « réalisations importantes » du gouvernement…

Rabat , le mardi 21 juin 2016

                                                   Abdelkrim Belguendouz
                                                   Universitaire à Rabat , chercheur spécialisé en migration

 

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