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Politiques migratoires du Maroc et société civile : Quelle nécessaire implication ?

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Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur spécialisé en migration

Au début de cette semaine , a eu lieu à Rabat un séminaire organisé par le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de la migration , en partenariat avec le Conseil national des droits humains ( CNDH) sur le thème suivant : « Politiques migratoires : Quel rôle pour la société civile ? »

Lors de la séance d’ouverture , ont pris la parole successivement : le ministre Anis Birou , Driss El Yazami , en tant que président du CNDH , Younes Mihoubi , sous-ministre adjoint , ministère de l’immigration , de la diversité et de l’inclusion au Québec ,Canada , Papa Omar Diatta , Chancelier des affaires étrangères et directeur adjoint de l’assistance et de la promotion des Sénégalais de l’extérieur .

Ce forum est le bienvenu pour constituer un moment de débat et d’échange sur un thème d’une très grande importance : comment , au Maroc , impliquer la société civile dans la préparation , l’élaboration et le suivi des politiques  migratoires au pluriel , sachant que ces politiques concernent des aspects multidimensionnels ? A cette occasion , nous développerons  ici quelques treize remarques  et / ou propositions , dont certaines seulement  ont pu être évoquées brièvement par nous- même lors du peu de temps accordé au débat général avec la salle , lors des trois séances organisées .

Ne pas occulter ou marginaliser le dossier MRE

1 – Le thème inscrit à ce forum est pertinent :  » Politiques migratoires : quel rôle pour la société civile ? ». Par politiques migratoires , on entend normalement pour le Maroc aussi bien les politiques multidimensionnelles liées à l’immigration étrangère au Maroc , que les politiques multisectorielles concernant la communauté marocaine résidant à l’étranger. Or le programme élaboré par les organisateurs de la rencontre ne concerne pour le Maroc que la dimension immigration étrangère au Maroc . Ce n’est pas la première fois que le débat est strictement limité , éliminant toute discussion en même temps sur les politiques publiques en direction des MRE . Ainsi ,  lors d’un récent séminaire organisé par le même ministère  et l’OIM , portant le titre « Médias et migrations » , les exposés ont été cantonnés à l’immigration étrangère au Maroc .

Finalement , si le débat sur l’immigration étrangère au Maroc est bien entendu souhaitable et même nécessaire , on se rend compte de plus en plus que les responsables rechignent à mettre en débat tout aspect des politiques marocaines concernant la communauté marocaine résidant à l’étranger . Pourtant , le ministère est aussi et c’était sa mission initiale , chargé des Marocains résidant à l’étranger . De même , s’agissant du CNDH , il faut bien relever que les droits humains forment un tout , qu’ils sont indissociables et pour les migrants , on ne peut les évoquer uniquement pour les étrangers au Maroc , et ne pas s’interroger sur les droits multidimensionnels des Marocains résidant à l’étranger . Sur ce plan , faut-il encore sensibiliser la présidence du CNDH , alors que celle – ci assure au même moment la présidence du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) !?

 Élargir et dynamiser l’Observatoire des Migrations

2 – Concernant les étrangers au Maroc , un espace de dialogue et de concertation est indispensable . Si l’article 163 de la constitution ne concernait pas une institution dédiée spécifiquement à la communauté marocaine résidant à l’étranger , on aurait pu , peut être , intégrer le dossier des étrangers au Maroc , dans une institution qui s’occupe également des Marocains résidant à l’étranger. En l’état actuel des choses , nous reprendrons une de nos suggestions présentée  publiquement à plusieurs reprises depuis bien longtemps .

L’observatoire des Migrations , créé en 2003 et dépendant jusqu’à maintenant du ministère de l’intérieur , nous paraît cet espace adéquat . Sa composition est à élargir notamment aux syndicats , aux ONG de l’immigration , aux chercheurs etc , pour constituer notamment un espace de réflexion , d’étude , de concertation , d’échange , voir de médiation pour les aspects concernant l’immigration étrangère au Maroc .

Le fait que l’Observatoire des Migrations dépende du ministère de l’Intérieur , ne constitue nullement , à notre sens , un obstacle , dans la mesure où la nouvelle politique migratoire du Maroc  , lancée à l’initiative du Roi Mohammed VI en septembre 2013 , est basée sur le respect des droits de l’Homme qui s’impose à tous.

3  – Dire officiellement  que le ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , a mis en place un outil permanent de consultation et de concertation avec le tissus associatif , c’est aller vite en besogne . Déclarer aussi  que les acteurs associatifs ont été également impliqués étroitement dans les concertations relatives aux projets de lois sur la traite des êtres humais , l’asile et la migration , est un pur abus de langage .

Certes , trois réunion d’information ont eu lieu de manière générale sur la nouvelle politique migratoire , mais il n’y a pas un outil permanent de concertation en bonne et due forme en la matière . De plus , même ces réunions d’information ont cessé depuis près de deux ans , et le retard observé dans la préparation des projets de lois sur l’asile et la migration , n’a même pas été mis à profit par le gouvernement pour assurer véritablement cette concertation avec la société civile .

Impliquer démocratiquement la société civile MRE

4 – En cette période , on ne peut passer sous silence les politiques du Maroc en direction des Marocains résidant à l’étranger : absence de stratégie nationale globale et intégrée en la matière ;  remise en cause d’un certain nombre de droits sociaux comme pour les Marocains aux Pays -Bas , en raison notamment d’une diplomatie sociale improductive et de l’absence d’implication saine et ouverte de la société civile MRE en Hollande ; déficit de protection par le Maroc des droits notamment des Marocains du troisième âge en France ; échec de la politique d’encadrement religieux de la communauté marocaine résidant à l’étranger par les institutions marocaines concernées ; résultats très mitigés de l’action d’enseignement de la langue arabe ( et amazigh ) et de la culture d’origine aux MRE par la Fondation Hassan Ii pour les Marocains résidant à l’étranger…

5 – L’agenda législatif au Maroc montre aussi des déficiences dans le domaine suivant : un retard énorme par le gouvernement , dans la préparation de la loi sur l’asile et la loi qui doit remplacer la loi 02-03 sur l’entrée et le séjour des étrangers  au Maroc , l’émigration et l’immigration irrégulières , sans que par ailleurs une nouvelle fois , la société civile ne soit réellement associée à cette réflexion préparatoire .

Deux problèmes de l’heure : la représentation parlementaire des MRE
            et l’institution d’un CCME démocratique , efficient et transparent

6 – C’est le site officiel du CCME lui même qui rappelle une des obligations des responsables de cette institution :  » Le dahir portant création du Conseil ( le CCME ) , lui confère la mission d’élaborer des avis sur la composition du futur conseil et sur les modalités de participation des émigrés marocains à la vie démocratique de la nation . L’élaboration de ces avis devra être précédée par une large concertation que le Conseil est tenu de mener avec les acteurs des communautés marocaines à l’étranger , les acteurs politiques et les institutions concernées au Maroc même  » . Or force est de constater qu’aucun de ces avis n’a été préparée et même la concertation nécessaire ,  notamment avec la société civile MRE , n’a jamais eu lieu .

7 – Voila pourquoi , le dialogue qui vient d’être entamé entre le gouvernement et l’ensemble des partis politiques pour réformer le code électoral à l’horizon des législatives marocaines du 7 octobre 2016 , montre l’urgence d’aborder sainement , objectivement et démocratiquement la question des droits politiques des citoyens marocains à l’étranger par rapport au Maroc . La lecture d’arrière garde et très restrictive que fait le gouvernement de l’article 17 de la Constitution de 2011 , ne peut être acceptée , notamment pour des raisons que nous avons déjà développées dans un autre article .

L’effectivité de la citoyenneté intégrale des MRE doit être réalisée à l’occasion des prochaines élections législatives , en permettant enfin la députation des citoyens marocains résidant à l’étranger à partir des pays de résidence . Les problèmes techniques , logistiques et organisationnels évoqués constamment par le département de l’Intérieur , sont moins l’expression d’un manque de savoir-faire , que celle d’une certaine forme de paresse administrative et plus fondamentalement , de l’absence flagrante de volonté politique ! Comment en effet invoquer le caractère insurmontable de ces difficultés , alors que des pays comme l’Algérie et la Tunisie parviennent à organiser pareilles élections à l’extérieur ?

Pour assumer réellement leur devoir , les responsables marocains devraient , à notre sens , s’appuyer aussi sur l’apport de la société civile MRE , un paysage associatif  dynamique et multiforme , qui doit être impliquée étroitement aussi bien au niveau de la préparation du processus électoral à l’étranger , que de son déroulement , de son contrôle et de son suivi . Or force est de constater que , visiblement , l’application saine et démocratique des dispositions de l’article 17 de la constitution , ne constitue pas une priorité du gouvernement Benkirane .

CCME et société civile MRE

8 – Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger ( CCME) institué depuis fin décembre 2007 , est déjà plus qu’un espace de concertation et d’échange. C’est une instance consultative sur tous les aspects qui concernent les politiques publiques marocaines concernant les citoyens marocains à l’étranger . C’est une instance également de veille et de prospective .

Mais on constate qu’au niveau de sa composition initiale ,qui n’est d’ailleurs pas achevée plus de huit années après ( 37 nommés sur 50 prévus ) , la société civile MRE avait vivement réagi au manque de sérieux et d’ouverture dans les « consultations » menées , à l’absence de transparence dans la liste proposée par l’ex-CCDH aux nominations du CCME. De même , le bilan de ce conseil est négatif : aucun avis consultatif et aucun rapport stratégique . Or  le projet de loi transmis par le ministère chargé des MRE et des affaires de la migration au secrétariat général du gouvernement , ne tient nullement compte des attentes maintes fois exprimées par la société civile MRE en termes de démocratie , de représentativité , de transparence et d’efficacité du futur CCME constitutionnalisé .

Par son architecture , son mode de composition et de fonctionnement , les concepteurs de ce futur conseil , qui n’ont entrepris aucune concertation démocratique préalable avec la société civile MRE concernée au premier chef , voudraient nous ramener bien arrière , avec un esprit de main- mise et de tutelle sur le tissu associatif MRE , pire que dans les années de plomb avec les « Amicales » …

Impliquer démocratiquement la société civile MRE au sein de la Fondation Hassan II

9 – Un autre acteur institutionnel chargé de la gestion du dossier MRE , n’a jamais impliqué correctement la société civile MRE , et son fonctionnement n’est pas conformé à la loi n°.   portant sa création . Ainsi en est-il de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger , dont la composante MRE au niveau de son comité directeur , est limité aux « Amicales » de triste mémoire .

Par ailleurs , il n’existe aucune concertation avec qui que ce soit , puisque le comité directeur qui doit se réunir au moins deux fois par an , ne s’est pas réuni depuis 16 ans ! Où est alors la reddition des comptes ? Que fait- on du principe constitutionnel selon lequel , toute prise de responsabilité doit être suivie de présentation du bilan en assumant toutes les conséquences ?

Respecter l’article 18 de la constitution

10 – Si la société civile est un acteur incontournable dans la réussite des politiques migratoires , on ne peut dire , concernant la nouvelle politique migratoire du Maroc , que le tissus associatif de l’immigration étrangère soit impliqué en la matière . Il en est de même des politiques en direction des MRE . L’article 18 de la constitution concernant la nécessaire démarche en termes de démocratie participative impliquant la société civile MRE dans toutes les institutions consultatives nationales , n’est nullement mis en application .

Même au niveau de la stricte composition de ces institutions , la composante MRE n’est nullement représentée : CNDH , Conseil économique , social et environnemental , Conseil supérieur de l’Education…

Garantir le pluralisme nécessaire

11 – Au total , le débat au Maroc sur politiques migratoires et société civile , doit prendre en considération tous les aspects des politiques migratoires concernant aussi bien l’immigration étrangère au Maroc que la communauté marocaine résidant à l’étranger . On ne peut faire l’impasse sur le dossier multidimensionnel des citoyens marocains à l’étranger . Par ailleurs , l’implication et l’association de la société civile MRE , ainsi d’ailleurs que des ONG de l’immigration doit être réelle , ouverte et démocratique .

Or même la démarche de préparation de ce séminaire sur les rôles de la société civile en relation avec les politiques migratoires , s’est faite sans associer étroitement la société civile concernée ! De même , des chercheurs ont été empêchés de présenter des communications , sous prétexte que le programme était déjà finalisé …. Par ailleurs , beaucoup d’acteurs associatifs sur le terrain , en particulier au niveau de l’oriental du Maroc , des provinces du Nord ainsi que celles du Sud , n’ont pas été invitées , faisant l’objet d’un  ostracisme . Il est vrai que ces derniers n’ont pas nécessairement de conventions de partenariat avec le ministère pour certains projets , mais ces ONG sont très actives sur le terrain et sont connus normalement du CNDH .

Il s’agit en particulier d’un certain nombre d’´ONG regroupées dans le Collectif Civil Migration et Asile et comprenant notamment :  l’association Béni Znassen pour la culture , le développement et la solidarité  ( ABCDS ,  Oujda ) , ARMID ( Tanger ) , l’association Rif des droits de l’Homme ( ERDH ,  Nador ) , Chabakat Agraaw ( Nord du Maroc) , ASMED ( Laâyoune, sud du Maroc ) .

Sur tous ces points et pour l’avenir , le ministère doit être le garant du pluralisme nécessaire , qui n’a nullement été respecté par son partenaire au niveau de l’organisation du forum en question .

Nécessite de soumettre les discours institutionnels au débat

12 – Par ailleurs , comment prétendre mener un débat sur les politiques migratoires du Maroc en concevant la société civile comme une force de réflexion  et de proposition pour la construction des politiques migratoires en matière de migration , alors qu’on n’ associe même pas la société civile à la préparation d’un forum qui la concerne au premier chef !? Comment en plus prétendre faire jouer à la société civile un rôle incontournable dans l’évaluation des politiques publiques migratoires , en monopolisant la séance d’ouverture sans la moindre association de la société civile , en se retirant au niveau des responsable sans la moindre discussion dés qu’ils terminent leurs discours  et en faisant prendre aux travaux du forum un retard énorme , ce qui réduit d’autant l’espace de débat censé avoir lieu dans les séances qui suivent….

Procédé habituel et connu lorsqu’on ne veut pas réellement engager un débat public sérieux , informé et contradictoire , car pour certains responsables , en suivant cette méthode de « com » , le débat est terminé avant qu’il ne commence réellement . L’essentiel pour eux est de prononcer un discours monolithique sans discussion aucune et de s’en aller juste après avoir fait des déclarations à un maximum de chaînes de télévision et d’autres moyens d’information , qui quittent eux même les lieux en raison de diverses contraintes , sans se donner la peine d’assister aux travaux jusqu’au bout et de permettre le recueil d’interventions plurielles , fournissant des points de vue différenciés.

 Démocratiser l’information par le ministère des MRE

13 – Enfin , pour  ce qui est du ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , vis à vis de la société civile et en particulier des chercheurs , la direction de la communication ne doit pas être la direction de rétention de l’information ! Les nombreuses études menées , déjà validées voire même présentées publiquement par le ministre , devraient à notre sens , être publiées intégralement sur le site du ministère .

Après une longue attente pour sa refonte , Il est fort regrettable que ce site ne soit pas tenu régulièrement et ne publie ni les diverses interventions publiques du ministre et ou du secrétaire général , ni le texte des diverses conventions signées par le département , ni les appels d’offres des études lancées , ni les rapports ,monographies et études déjà validées etc.. La diffusion de ce type d’information d’intérêt public nous paraît absolument nécessaire et ne doit pas faire l’objet de cachoterie , ce qui est le cas , même lorsque cette demande d’information est faite directement auprès de cette direction .

Lorsqu’on est chercheur et observateur actif de la scène migratoire marocaine , on a besoin , pour mener une analyse objective et tenir compte des efforts officiels qui sont menés  , d’avoir à disposition les documents et informations nécessaires . Sinon , comment prétendre s’ouvrir sur la société civile en général et considérer celle-ci comme un acteur indispensable d’évaluation des politiques publiques menées dans le domaine migratoire , alors que le même département suit une pratique de rétention de l’information !?

Rabat , le 18 mars 2016

Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur spécialisé en migration

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