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A L’APPROCHE DU Xème ANNIVERSAIRE DU DISCOURS ROYAL DU 6 NOVEMBRE 2005, OÙ EN SONT LES DROITS POLITIQUES DES MRE ? dernière partie

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II- Un recul gouvernemental : « l’approche progressive »
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration

Or à peine sept mois après le discours du 6 novembre 2005 (voir l’article publié hier), et alors qu’on était encore à quinze mois de l’échéance législative (septembre 2007), un revirement gouvernemental spectaculaire et inattendu a eu lieu, motivé officiellement comme à l’occasion des législatives de 2002 pour des raisons « techniques », « organisationnels » ou « logistiques », les départements concernés ne pouvant pas être prêts aux échéances requises.
Dans cet esprit, à l’issue de la dernière réunion de concertation concernant la révision du code électoral, tenue le 16 juin 2006 à Rabat avec les partis formant la coalition gouvernementale, et alors que la question du vote et de l’éligibilité des MRE n’avait jamais été abordée auparavant au sein de cette commission, un communiqué a été publié par le département de l’intérieur, n’étant pas le fruit d’un compromis positif et rassembleur, mais l’expression d’un recul et d’une véritable régression politique.

La démarche « évolutive »

Ce communiqué avance la nécessité d’appliquer le point suivant:
« Adopter une approche progressive pour mettre en œuvre les mécanismes relatifs à la représentativité des Marocains résidant à l’étranger et ce, en accordant la priorité à la structuration du Conseil supérieur des Marocains résidant à l’étranger, d’une part, et en instituant les règles juridiques qui permettront aux nouvelles générations de notre communauté résidant à l’étranger de s’inscrire sur les listes électorales nationales pour garantir leurs droits de voter et de se porter candidats aux  élection locales ou nationales, d’autre part ».
Au lieu de chercher, dans une démarche programmatique et opérationnelle, à trouver remède et solution aux aspects pratiques, logistiques et organisationnels, le gouvernement de l’époque n’a-t-il pas décrété « l’impossibilité » technique d’organiser les élections à l’extérieur et le caractère impraticable de la formule, sans apporter de démonstration convaincante de cette impossibilité ? Est-il concevable de priver un citoyen d’un droit aussi fondamental que le droit de vote, sous prétexte qu’il est difficile d’organiser des élections à l’étranger ?
Peut-on raisonnablement retirer dans la pratique ce droit politique essentiel pour des raisons logistiques et matérielles? En d’autres termes et en référence à l’Etat de droit, les carences logistiques et les arguments techniques peuvent-ils fonder légitimement l’exclusion des urnes des citoyens marocains à l’étranger et la privation de leurs droits politiques constitutionnels prévus par la constitution marocaine révisée de 1996 (articles 5 et 8), qui fut adoptée par un référendum auquel les MRE avaient participé ….?

Fortes déceptions

Parmi les explications qui ont été données à ce revirement gouvernemental, citons celles de l’ex Parti National Démocrate (PND), qui s’était, après le discours royal du 6 novembre 2005, le plus impliqué auprès de l’émigration en prévision des législatives de 2007. C’est ainsi qu’une forte délégation de sa direction s’est déplacée en Italie, en Belgique, en France et aux Pays-Bas en avril-mai 2006, tout comme d’autres partis comme le PJD, l’Istiqlal, le RNI, le PPS avaient fait de même auprès de la communauté marocaine à l’étranger.
Dans un communiqué de son bureau politique, le PND estimait que les missions effectuées auprès des MRE : «  entrent dans le cadre de sa mission nationale d’encadrement des citoyens comme le prévoit la constitution » (Voir « Annidal Addimoccrati » du 5 mai 2006).
Dés lors, la déception ressentie n’est que plus forte. Son secrétaire général déclarait à propos de ce communiqué du 16 juin 2006: « C’est une grande catastrophe et un écart par rapport aux orientations royales qui avaient appelé à la nécessité de la représentation des émigrés au sein de l’institution parlementaire. A l’occasion d’une tournée effectuée par le parti, j’ai remarqué combien les MRE tenaient à participer à ces élections que certains partis veulent s’accaparer ». (Abdellah Kadiri « la majorité dictatoriale contredit la volonté royale ». Déclaration à «  Al Ousbouia Al jadida » n° 82, du 29 juin au 6 juillet 2006).

La peur des résultats des urnes

Une semaine plus tard, l’enjeu et la raison de ce revirement gouvernemental sont affichés par le même dirigeant (Abdallah Kadiri): « la parole de S.M le Roi doit être respectée. Rien ne justifie la mise à l’écart des MRE, sauf  la peur du verdict des urnes ». (Cité par N.Jouhari in « le code du plus fort » Maroc Hebdo International n° 706 du 7 au 13 Juillet 2006. Voir également « qui a intérêt à exclure la communauté marocaine à l’étranger ? » Article central paru dans « Annidal addimocrati » du 30 juin 2006).
Conformément à cette « approche progressive », la législation électorale pour les législatives 2007, présentée par la suite par le gouvernement et  entérinée par le parlement, n’a prévu ni droit de vote, ni éligibilité à partir des circonscriptions électorales législatives de l’étranger et ce, en dépit des amendements favorables à ces aspects, déposés par le PJD et le PSU au sein de la Chambre des Représentants et par le groupe syndical CDT au sein de la Chambre des Conseillers.
L’échéance législative du 25 novembre 2011, survenue pourtant au lendemain de l’adoption de la Constitution rénovée par referendum du 1er juillet 2011, a été également un « raté », le gouvernement de l’époque ayant prétexté que les élections ont été devancées d’un an, au lieu de se dérouler comme prévu en 2012. Pour les MRE, le vote a été cantonné à l’intérieur du Maroc, par une présence physique ou par le biais de la procuration à partir du pays d’accueil, procédure qui a connu un revers cinglant !

Une démarche « progressive » qui doit aboutir

Le discours royal devant, à notre sens, garder son honorabilité, précisons ici que la «démarche progressive» retenue par le gouvernement le 16 juin 2006, ne signifie nullement un abandon, une remise en cause ou une suppression de la décision royale prise le 6 novembre 2005. Dans cet esprit, la démarche progressive suppose qu’il y ait une suite, un échéancier précis, que des mesures soient prises, en étudiant la manière de faciliter et d’aménager la possibilité d’exercer à partir de l’étranger ce droit de vote et d’éligibilité. Elle suppose la définition du mode d’emploi et l’avancée concrète dans l’action organisationnelle, afin que les raisons techniques, logistiques et matérielles avancées auparavant pour justifier le report de l’application de la décision royale, soient résolues et dépassées.
Cela veut dire qu’une fois les mesures complémentaires prises, notamment l’établissement des listes électorales à l’étranger et la réalisation d’un découpage rationnel des circonscriptions législatives à l’étranger, on change le code électoral en cours pour permettre le vote à l’étranger au niveau législatif. De même que l’on modifiera la loi organique concernant la Chambre des Représentants pour créer des circonscriptions électorales à l’étranger et l’on pourra alors rattraper le retard.
Dans cet esprit, il ne s’agit pas seulement de renforcer le sentiment d’appartenance des MRE au Maroc, mais de créer également les conditions de l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière, tout en tenant compte de la spécificité de la situation des Marocains vivant à l’extérieur du territoire national.

Interpellation du gouvernement Benkirane

Le CCME ayant failli à l’une de ses principales missions, en ne présentant pas au Roi un avis consultatif en la matière, et le gouvernement Benkirane n’ayant pas pris d’initiative législative dans ce domaine, des groupes parlementaires à la Chambre des Représentants en l’occurrence ceux de l’USFP, de l’Istiqlal et du PJD ont pris leurs responsabilités, en déposant des amendements à la loi organique de la Chambre des Représentants tendant à permettre la députation des MRE. La discussion avait commencé fin 2014 sur ces trois propositions de lois, mais depuis plusieurs mois, le débat n’a pas repris, faute de volonté politique du gouvernement.
A l’occasion du 10ème anniversaire du discours royal fondateur du 6 novembre 2015, on souhaite vivement que la situation soit débloquée.
L’interpellation concerne présentement d’une part l’exécution par le gouvernement Benkirane en général et le ministère de l’Intérieur en particulier, chargé de la gestion du dossier électoral sur tous ses volets, des deux premières décisions annoncées le 6 novembre 2005 liées au droit de vote et d’éligibilité des Marocains à l’étranger et d’autre part, la nécessaire claire et urgente visibilité pour les élections législatives 2016 de la représentation parlementaire des citoyens marocains à l’étranger.
Où en est le gouvernement dans la démarche dite progressive, évolutive ou graduelle ? Quelles sont les mesures qui ont déjà été prises et leur évaluation politique ? De même, quel est le point de la situation par rapport à l’échéance 2016 et ce qui doit être entrepris d’ici là au plan technique, organisationnel, juridique et en matière de sensibilisation et de communication ? L’objectif est que toutes les DECISIONS royales soient entièrement exécutées, permettant aux citoyens marocains à l’étranger de bénéficier par rapport au Maroc, non pas de droits partiels ou amputés, mais de l’intégralité de leurs droits politiques et d’être représentés à la chambre des députés, conformément à l’article 17 de la Constitution rénovée de 2011, qui a besoin sur ce plan là, d’une interprétation foncièrement démocratique.
Insistons pour dire que la communauté marocaine à l’étranger, tout en étant ouverte bien entendu à son environnement immédiat dans les pays d’accueil, est d’abord et fondamentalement une question nationale et non un problème purement franco-français, néerlando-hollandais, canado-canadien, ou euro-européen, au point d’abandonner dans la pratique à ces parties, le sort des Marocains résidant à l’étranger.

Enjeu stratégique

Rappelons à ce propos l’enjeu crucial et stratégique relevé magistralement il y a une trentaine d’années par feu Hassan II qui déclarait le 29 novembre 1985 à Paris, devant des membres de la communauté marocaine résidant à l’étranger, en présence du président de la République François Mitterrand :
«  En bien restez Marocains, restez Marocains, parce que toujours dans la paix et la concorde, moi-même ou ceux qui me succéderont, pourront avoir un jour besoin de refaire une Marche Verte. Et bien, je veux qu’au nom de tous les Marocains vivant à l’étranger, pas seulement en France ou à Paris, vous me fassiez le serment que tous les jeunes Marocains qui seront nées en terre étrangères seront dédiés, dés leurs berceaux, aux marches que l’histoire leur interposera. Si telle est votre réponse, je peux dormir tranquille ».
Dans la lignée hassanienne, outre les décisions du 6 novembre 2005, d’autres engagements ont été pris. C’est ainsi qu’à l’occasion du 59ème anniversaire de la « Révolution du Roi et du Peuple », dont les citoyens marocains à l’étranger font partie intégrante, le Roi Mohammed VI a pris l’engagement solennel le 20 août 2012, d’impliquer étroitement les jeunes Marocains à l’étranger  qui sont nos « compatriotes » « à la construction du Maroc de demain », ce qui signifie à notre sens, la participation à l’édification du pays non seulement au plan économique, social et culturel, mais également au plan politique et démocratique.
Ceci veut dire que la nationalité marocaine – qui ne se perd pas- n’est pas seulement une question juridique, mais qu’elle a une dimension politique et une portée sociétale et stratégique. Ce n’est pas une simple écriture sur un passeport ou sur une carte d’identité, mais elle renvoie notamment à un ensemble de valeurs qui doivent être cultivées, entretenues et intériorisées pour se construire, être perpétuées et maintenir les liens fondamentaux avec le pays.

Une vision à bannir

La nationalité suppose notamment que tous les devoirs mais également tous les droits des citoyens marocains à l’étranger soient reconnus et puisent être exercés par rapport au Maroc, y compris le droit de vote et d’éligibilité parlementaire, sans appréhension quelconque des résultats des urnes. On n’organise pas des élections uniquement lorsqu’on est sûrs à l’avance des résultats et qu’on maitrise la situation ! Cette vision est à bannir !
Dans ce domaine, la proposition du président du CNDH dans son rapport au parlement (16 juin 2014), de remplacer pour les MRE au niveau des législatives 2016 le vote par procuration par le vote électronique ou le vote par correspondance vers les circonscriptions électorales législatives au Maroc, ne fait que perpétuer le problème. De notre point de vue, cette proposition est irrecevable.
A notre sens, la réelle alternative pour les prochaines élections législatives de 2016 est d’organiser les élections à partir des circonscriptions électorales législatives de l’étranger, comme déjà décidé par le discours royal du 6 novembre 2005.

Un souhait

Devant l’action d’opposition systématique blocage des responsables du CCME et l’attitude de tergiversation du gouvernement Benkirane qui fuit ses responsabilités constitutionnelles, la solution du problème est à entrevoir à notre sens au niveau de la ferme volonté politique de l’Etat, en terme d’arbitrage royal, qui permettrait de recadrer l’action publique en la matière. L’œuvre de Réconciliation nationale lancée en direction des citoyens marocains à l’étranger, mériterait d’être parachevée.
Cette souhaitable initiative de la plus haute autorité du pays, viendrait compléter l’initiative royale audacieuse de septembre 2013, consistant à mettre en place une nouvelle politique migratoire humaniste en direction des étrangers au Maroc.

Rabat, le 29 octobre 2015
Abdelkrim Belguendouz
  Universitaire à Rabat,
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