Home»Economie»6 – L\’Oriental : MISE A NIVEAU DU MONDE RURAL ET RAFFERMISSEMENT DES RAPPORTS ENTRE LES CAMPAGNES ET LES VILLES

6 – L\’Oriental : MISE A NIVEAU DU MONDE RURAL ET RAFFERMISSEMENT DES RAPPORTS ENTRE LES CAMPAGNES ET LES VILLES

0
Shares
PinterestGoogle+
 

6

MISE A NIVEAU DU MONDE RURAL

ET RAFFERMISSEMENT DES RAPPORTS

ENTRE LES CAMPAGNES ET LES VILLES

6.1. La crise multidimensionnelle du monde rural

Le développement régional qui est fortement tributaire du niveau de qualification et de rendement atteint par les villes, manquera inévitablement son objectif s’il ne s’appuie pas également sur l’effort de mettre à niveau le monde rural. L’aménagement équitable du territoire régional doit donc viser le développement concomitant de l’ensemble des composantes de la Région, en prêtant toute l’attention nécessaire aux campagnes, afin de rattraper les multiples retards cumulés et de ne pas les laisser à la traîne.

Ainsi, autant la ville doit remplir les fonctions d’espace moteur pour le développement régional, autant le monde rural est appelé à se connecter solidement au processus, en promouvant les projets les plus porteurs au niveau de la production, des services, des équipements de base et de l’emploi.

Or, à l’exception de quelques îlots épars et de quelques tâches relativement continues, notamment en Basse Moulouya, qui se caractérisent par une situation dans l’ensemble assez acceptable, le reste des campagnes et des steppes de l’Oriental affichent des indicateurs presque toujours affligeants en matière d’analphabétisme, de scolarisation, de chômage et de pauvreté.

Les proportions des personnes sachant lire et écrire ne dépassent nulle part le 1/5 ou le 1/4 des populations ayant 10 ans et plus. Elles demeurent souvent en deçà de 1/10 pour les femmes. En chiffres absolus, cela représente aujourd’hui un effectif de l’ordre de 400.000 analphabètes ruraux dans la Région qui compte au moins 750.000 habitants dans ses campagnes. On remarquera que la forte migration rurale vers les villes qui amène une bonne proportion des personnes ayant acquis une certaine instruction privant ainsi les campagnes de la majeure partie de leur population plus ou moins instruite, y apporte surtout de larges contingents d’analphabètes, ce qui réduit d’autant les efforts de scolarisation déployés en milieu urbain.

Dans la quasi-totalité des campagnes de l’Oriental, la scolarisation demeure limitée, concernant à peine la moitié des enfants âgés de 8 à 13 ans, alors que le phénomène touche près de 9 enfants sur 10 de cette catégorie d’âge.

Par ailleurs, les indices de sévérité de la pauvreté dans les campagnes de l’Oriental sont les plus élevés parmi les régions marocaines : plus de deux fois supérieurs à la moyenne nationale, et même plus de trois ou quatre fois par rapport à celles des provinces du nord-ouest et du centre atlantique du Maroc.

Cette situation très critique s’explique par la permanence d’une négligence manifeste dont le monde rural a souvent fait l’objet en matière d’infrastructures et d’équipements dans les domaines de l’enseignement, de la santé, de la culture, du réseau routier, de l’alimentation en eau potable et en électricité, etc.

Les efforts de développement, fournis par le secteur public, ont été fortement sélectifs, pour souvent se concentrer sur les espaces et les sites considérés les plus immédiatement rentables, dans les zones irriguées et autour des grandes villes, reléguant les campagnes profondes dans une marginalité intolérable. Pour la plupart des ruraux, l’essentiel des maigres revenus est presque exclusivement tiré d’une agriculture médiocre et d’un élevage extensif. Seules les zones qui profitent de l’irrigation moderne bénéficient de rentrées relativement substantielles et diversifiées.

Pratiquement partout, la pauvreté des ruraux a précocement alimenté un formidable mouvement de départ à l’étranger, entraînant la dissémination des «Orientaux» dans plusieurs pays d’Europe occidentale. Presque tous les ménages ruraux, dont beaucoup se sont installés en ville, vivent en bonne partie grâce aux transferts monétaires opérés par leurs MRE. Plusieurs d’entre eux, notamment ceux qui résident non loin de la frontière avec l’Algérie ou se trouvent relativement proches de l’enclave occupée de Mlilia, se sont dirigés vers le commerce parallèle, voie essentielle de « résorption » d’une partie d’un chômage particulièrement envahissant et endémique.

Aggravée par les effets de l’aridité et des sécheresses répétées, l’indigence de la majeure partie de la population rurale nourrit des flux migratoires intenses vers les villes de la Région, mais aussi en direction des provinces aisées du pays. Ces flux, internes et externes, qui se sont exacerbés surtout à partir des années 80, prennent parfois l’aspect d’une véritable hémorragie démographique, entraînant la diminution, en termes absolus, du nombre des ruraux dans plusieurs communes.

Cela traduit, de manière éloquente, la crise profonde que vivent les campagnes de l’Oriental en général, et celles du monde bour et des steppes, en particulier, sachant qu’il s’agit le plus souvent de bour défavorable qui s’étend sur plus des 9/10 du territoire régional.
Cela signifie aussi qu’une bonne partie de ces campagnes sont soumises à un surpeuplement plus ou moins pesant, résultats de l’effet combiné de trois facteurs essentiels :

–    d’abord, les importants apports monétaires générés par les transferts des MRE ;
–    puis, l’obligation pour plusieurs ménages de garder un « pied à terre » pour conserver le droit d’exploiter une terre soumise soit au statut collectif, soit au régime foncier khalifien ;
–    enfin, le choix de nombreux ménages de rester en zone rurale pour garder leur prestige et leur ascendant social, avantages qu’ils auraient probablement perdus en migrant en ville pour se fondre dans la masse de résidents anonymes.

6.2. Les  impératifs et les défis du changement

En somme, pour des raisons exogènes et d’autres endogènes, le monde rural bour vit une situation malsaine et même artificielle, caractérisée par un peuplement plus ou moins dense et une production faible contre une consommation relativement soutenue, en raison des revenus de l’émigration et/ou du commerce parallèle. La permanence d’une telle situation est menacée par :

–    l’éventualité tout à fait probable de la diminution ou, à long terme, du tarissement des flux monétaires générés par les transferts MRE, suite au ralentissement du mouvement d’émigration vers l’Europe (contrôle et mesures sécuritaires de plus en plus sévères obligent), ainsi qu’au relâchement sensible des liens entre les émigrés résidents dans ce continent et leurs familles restées au Maroc, du fait de l’amplification des phénomènes de générations et de naturalisations ;

–    les réformes souhaitables que doivent connaître les régimes fonciers en vigueur, avec le déblocage du collectif, la clarification et l’épuration du khalifien, réformes qui pourraient favoriser les transactions immobilières, avec ce que cela entraînerait comme concentration de la propriété et comme accentuation des flux migratoires de l’excédent de population rurale ;

–    la réduction progressive et attendue du trafic commercial transfrontalier qui procure des revenus parfois consistants pour de nombreux ménages ruraux ;

–    les bouleversements profonds que devront entraîner les impératifs de la globalisation de l’économie et des échanges, en terme de libéralisation des cultures pratiquées dans les périmètres irrigués et de soumission du bour aux lois du marché. Ceci se traduira, sans doute, par un remaniement profond des structures agraires et des paysages culturaux, avec la réduction des cultures dites « banales », notamment les céréales, dont les rendements sont trop faibles en culture pluviale (rareté des précipitations, médiocrité des sols et techniques peu évoluées), et la recherche d’extension de spéculations plus rentables.

Pour ces considérations et bien d’autres, l’on peut considérer que le monde rural de l’Oriental est à la veille d’événements d’importance capitale dont les conséquences pourraient constituer un tournant vital pour les campagnes et les populations qu’elles abritent. Si l’effectif de ces populations continuera sans doute à diminuer en emportant un nombre croissant des actuels « ruraux malgré eux », les populations restantes devront trouver de nouvelles sources de revenus pour remplacer celles que représentent aujourd’hui les transferts et le commerce parallèle.

Ainsi, parallèlement à la nécessité de préparer sérieusement les villes de la Région pour accueillir leurs nouveaux arrivants ruraux, il est indispensable de créer les conditions favorables pour faire sortir le monde rural de sa léthargie économique afin que les populations restantes puissent trouver des revenus alternatifs suffisants pour se maintenir sur place, sachant bien que l’effectif de ces populations sera encore de l’ordre de 500.000 à 600.000 à l’horizon 2025.

Il faut souligner que la question se posera en termes bien différents à travers l’immense espace régional, en fonction de l’importance des densités de population rurale et du mode de production dominant. L’impact des changements en cours, sera sans doute, beaucoup plus profond et plus crucial dans la zone rifaine, montagneuse, surpeuplée, grevée du régime foncier khalifien et disposant de possibilités d’irrigation fort limitées, par rapport aux plaines de la Basse Moulouya aux potentialités hydriques importantes, et comparativement à la zone des steppes arides du Centre et surtout du Sud ou règne le pastoralisme extensif et où l’effectif de population rurale est déjà fort réduit.

6.3. Les fondements de la promotion des campagnes

Tout compte fait, la clef de voûte du processus de développement du monde rural réside dans l’ouverture de celui-ci à l’investissement. Cela est tributaire d’un certain nombre de réformes fondamentales et d’actions prioritaires qu’il est nécessaire d’entreprendre de manière urgente et décidée, pour habiliter les campagnes de l’Oriental à enclencher le mouvement de promotion économique et socioculturelle tant souhaitée.

Cette ouverture repose sur les axes suivants :

–    La résolution de la question foncière, afin de lever les nombreuses entraves et diverses hypothèques qui immobilisent l’essentiel du terroir agricole et le soustrait à la modernisation de la production. En procédant ainsi, on fait passer la terre de la situation de bien familial ou collectif à celle de capital foncier, susceptible d’être versé sur le marché et, donc, de mobiliser l’investissement. Il s’agit, donc là, d’une action fondamentale qui libère le précieux facteur de production qu’est le sol.

–    Le désenclavement des campagnes qui représente le second grand volet de l’ouverture du monde rural, dans la mesure où l’investissement qui procède de manière sélective s’oriente d’abord vers les espaces les plus accessibles, c’est-à-dire les mieux connectés au marché, qu’il soit intérieur ou extérieur. Dans ce sens, le programme de construction des routes rurales doit être intensifié et revu, afin qu’il puisse mettre davantage l’accent sur les espaces potentiellement les plus rentables et les plus compétitifs sur le plan économique, tout en intéressant ceux qui enregistrent les densités de populations les plus élevées.

–    L’amélioration des équipements de base qui s’avère la condition sine qua non de rétention des populations rurales sur place, notamment celles qui, par leur capital foncier ou financier ou par leur savoir-faire, sont indispensables à faire participer dans le mouvement de modernisation de l’activité agro-pastorale proprement dite, et dans l’initiation des services qui doivent la sous-tendre au niveau de la production, de la transformation, de la commercialisation et de la gestion. Cet objectif essentiel ne peut être atteint que si l’ensemble des services à caractère social et éducatif sont renforcés afin de permettre aux populations rurales de bénéficier de prestations satisfaisantes en matière d’enseignement, de formation professionnelle, de santé, de culture, de loisirs, d’administration, de télécommunication, d’information, etc.

Des efforts particuliers doivent également être fournis pour doter les agglomérations rurales en eau potable et en électricité. L’aridification du climat amenuise drastiquement les ressources en eau locales, par tarissement de sources et par réduction du potentiel des nappes superficielles. Des travaux de recherche, de mobilisation et d’adduction d’eau sont partout nécessaires pour fournir le précieux liquide aux populations. L’organisation de systèmes d’assainissement est indispensable pour de nombreux centres ruraux actuels et d’autres potentiels. Il en est de même pour l’électrification qui doit trouver dans le solaire notamment une source d’alimentation fort importante à exploiter à travers tout le territoire régional qui bénéficie justement d’un potentiel illimité dans ce domaine.

L’offre de services de proximité est ainsi un facteur puissant de rétention des populations en milieu rural, ce qui, d’un côté, doit modérer sensiblement les mouvements d’émigration vers les villes et permettre d’entretenir et de faire fructifier le capital foncier, de l’autre.

–    L’entreprise d’aménagements agro-sylvo-pastoraux de qualité, susceptibles de valoriser les capacités productives de la terre. Dans ce domaine, il y a lieu de souligner l’importance capitale de procéder à la mobilisation optimale de la ressource hydrique à la fois pour fournir l’eau potable aux populations, d’un côté, et de pouvoir organiser, partout où cela est possible, de petits périmètres irrigués, voie essentielle pour diversifier et augmenter la production dans un milieu aride souvent atteint de sécheresses sévères, de l’aure. En zone bour, les aménagements doivent porter sur l’extension des plantations d’arbres résistant à l’aridité (olivier, amandier surtout), sur la culture de céréales fourragères, parallèlement à l’aménagement des parcours.

–    L’encadrement et l’organisation des agriculteurs, par la reconversion de l’agriculture et de l’élevage de l’Oriental ne peuvent se faire sans une véritable requalification des agriculteurs et des éleveurs, afin de faciliter le passage de la situation de blocage actuel générée par le gel du foncier et caractérisée par une production faible (exception faite de certaines zones irriguées), axée essentiellement sur la consommation familiale, à une agriculture modernisée à hauts rendements, tournée de plus en plus vers les marchés intérieur et extérieur.

Les moyens financiers et techniques limités dont dispose chaque agriculteur et/ou éleveur militent en faveur de la consolidation des formules associatives et coopératives, que ce soit au niveau de la production, de la commercialisation ou des services. Le statut collectif de la majeure partie des terres de l’Oriental, une fois assaini, pourrait représenter localement un facteur facilitateur dans ce sens. Les organismes du Ministère de l’Agriculture sont ainsi appelés à redéployer leur dispositif d’encadrement, de vulgarisation, d’assistance, de formation, d’information, de crédit et de recherche, afin de les mettre au service direct des agriculteurs et des pasteurs, tout en cherchant à développer chez ces derniers l’initiative privée et l’esprit d’entreprise.

Ce n’est qu’au prix de ces grandes actions d’aménagement, de réforme, d’encadrement et d’équipement que la majeure partie du monde rural, actuellement en marge du système de production moderne, longtemps engourdi et entravé par des formes d’inertie plus ou moins paralysantes, qu’elles soient d’ordres foncier, social, culturel ou matériel, pourra enfin sortir de sa léthargie, libérer ses forces, mobiliser ses ressources, se réorganiser et réadapter son système de production, afin de s’intégrer dans le processus d’ouverture et d’économie de marché.

Cette dynamique ne pourra pleinement se confirmer que si elle s’appuie sur trois piliers essentiels : le développement d’activités non agricoles, la consolidation des fonctions des centres ruraux et des petites villes, et le raffermissement des relations d’échange avec le monde urbain.

·    Le développement des activités extra-agricoles. Il est vrai que dans la majeure partie des campagnes de l’Oriental, et tout particulièrement dans les zones plus ou moins proches des frontières, ces activités, notamment le transport informel, occupent une population nombreuse. Il est vrai également que l’importante production agricole réalisée dans les périmètres irrigués génère des emplois assez nombreux dans diverses activités dérivées ou annexes. Mais il est vraisemblable aussi que la maîtrise du commerce frontalier de contrebande pourra entraîner la réduction sensible de la population rurale qui s’y occupe, d’où la nécessité impérative de trouver des activités alternatives capables d’offrir des emplois qui procurent des revenus aussi consistants.

Par ailleurs, la modernisation de l’agriculture est de nature à induire différentes formes de commerce et de service, mais aussi de permettre l’apparition d’unités agro-industrielles et d’entreprises artisanales. Parallèlement, la consolidation des équipements sociaux et éducatifs constitue de larges opportunités d’emploi. Ce dernier est à élargir également par le lancement de divers chantiers de construction de routes, d’ouvrages hydrauliques, de grands équipements, d’aménagements forestiers, … L’écotourisme se présente comme un créneau bien porteur, générateur d’activités diverses et, donc, d’emplois importants. Le transport rural est également un secteur essentiel en la matière, qu’il faudra réorganiser et structurer.

·    La promotion de centres ruraux. Le réseau urbain actuel est presque partout insuffisant, très lâche et fort peu structuré, pour devenir, dans certaines zones, un phénomène marginal et insolite, comme c’est le cas justement dans les montagnes du Rif, les hauteurs des Horsts et les hauts plateaux steppiques. En effet, en dehors du triangle urbain principal Oujda-Nador-Taourirt, les villes représentent, le plus souvent, des îlots perdus dans des immensités steppiques et des masses montagneuses. Si les centres urbains entretiennent des relations relativement actives avec leur arrière-pays rural à l’intérieur du triangle restreint précité, il en est tout autrement ailleurs. C’est que, dans la plupart des cas, manquent des centres relais pouvant jouer le rôle d’interface entre le monde rural, d’un côté, et les grandes et moyennes villes, de l’autre.

L’organisation de l’espace régional devra donc s’appuyer sur une trame de plus en plus serrée de petits centres, bien ancrés dans leur environnement rural auquel ils offrent les services de base qui sous-tendent l’activité agro-pastorale, d’un côté, et la vie quotidienne des populations, de l’autre.

Les petits centres qui devront constituer cette trame primaire sont de deux types : de petites agglomérations émergentes qui se développent de façon spontanée dans certaines localisations intéressantes (carrefours routiers, petits périmètres irrigués, contacts entre deux unités naturelles, traversée d’un grand cours d’eau, point d’eau important, …) d’une part, et la création et la promotion de centres nouveaux afin de favoriser le regroupement de populations dispersées, de l’autre.

Dans les deux cas, ces centres doivent bénéficier d’un plan d’aménagement sommaire mais opérationnel afin de structurer la croissance des agglomérations de la première catégorie et d’en orienter le développement futur, et de préparer le milieu d’accueil des nouveaux arrivants pour les agglomérations de la seconde catégorie.

L’aménagement de ces centres émergents, spontanés ou planifiés, diffère très sensiblement d’une zone à une autre à travers la Région de l’Oriental, en fonction des données topographiques et climatiques, du mode de production dominant, de l’importance des densités rurales, du niveau d’accessibilité du territoire, mais également des caractéristiques socio-ethniques locales, de l’impact inégal de l’émigration à l’étranger et du poids du commerce parallèle.

·    Dans la zone des hauts plateaux pastoraux, les centres ruraux doivent être aménagés en fonction du facteur hydrique, le centre devant être avant tout un point d’eau pour l’alimentation des pasteurs et des troupeaux, d’un côté, et des populations sédentaires en accroissement, de l’autre. Il doit abriter trois catégories de services très complémentaires pour les hommes et pour le bétail :

–    dans la première catégorie, il s’agit de l’école, du dispensaire, de la mosquée, du hammam, du service postal et de certaines prestations administratives élémentaires ;
–    la seconde catégorie concerne des services d’ordre économique : points de collecte de lait, points de ramassage de la laine et de plantes médicinales et aromatiques, coopératives artisanales de production (travail de la laine et de l’alfa, distillation de plantes, gîtes d’étapes touristiques, restauration…), prestation de services divers en matière d’installation, de répartition, de pièces détachées… dans les domaines de l’eau, la plomberie, l’électricité, la construction, etc ;
–    dans la troisième catégorie, on insistera sur les services vétérinaires, le bain anti-parasitaire et le dépôt de fourrage pour la complémentation.

·    Dans les zones de montagne, le centre émergent est appelé à jouer essentiellement le rôle de point de service au niveau de l’enseignement (école), de la santé (infirmerie ou dispensaire, médecin privé), du transport, des télécommunications et des services administratifs primaires, tout en abritant des ateliers artisanaux, le souk, des gîtes touristiques, des aires de loisirs, …

A ce propos, la zone du Rif Oriental représente un espace tout à fait particulier, puisqu’en dehors de la grande conurbation de Nador-Mlilia et des petites villes du Kart (Midar, Driouch, Ben Taïeb et Tafersite), la zone n’a pas de centres urbains susceptibles d’en assurer la structuration, l’encadrement et la gestion du territoire, alors qu’il s’agit d’un espace très peuplé où les densités rurales moyennes dépassent 65 habitants au km², et devront rester supérieures à 50 vers 2025. Dans la partie septentrionale de la zone, ces densités rurales dépassent souvent 100 ou même 150 hab/ km². Cette sous-urbanisation manifeste et tenace est un obstacle sérieux pour l’aménagement d’une zone qui abritera, dans deux décennies, plus de la moitié des ruraux de l’Oriental, situation aggravée par la permanence de conditions foncières handicapantes et des potentialités de production agricole somme toute limitées.

Le développement de ces centres constitue certainement un moyen essentiel de rapprocher les services de base des lieux de résidence des populations rurales afin de leur permettre d’en disposer sur place et, ainsi, de s’intégrer dans la modernité, sans être obligées de quitter leur milieu. Ceci nécessite, bien entendu, le règlement des problèmes épineux fonciers, l’amélioration réelle de l’accessibilité du territoire, la consolidation des équipements et des infrastructures, afin que la distance par rapport à la grande ville ne soit plus un facteur handicapant.

·    La consolidation de l’économie et des équipements des petites villes, pour en faire des centres de services et d’impulsion économique pour leur arrière-pays immédiat. L’encadrement de qualité et de proximité des campagnes est tout à fait impératif, afin de les intégrer progressivement dans l’économie moderne et les faire participer pleinement à l’effort de développement requis. Il restera toujours insuffisant, sinon tout à fait inopérant, sans l’étoffement des équipements sociaux et éducatifs et le rehaussement du niveau des services rendus dans les petites villes et les centres ruraux de la Région.

La diffusion de la modernité, du bien-être et de la culture en dépend de manière vitale. Ce sont là des relais indispensables pour opérer la gestion de proximité des campagnes, au niveau desquels doit s’opérer le contact entre le monde rural, la grande ville et les espaces extra-régionaux. Ce sont là également les noyaux de cristallisation de la population et de la richesse que peuvent dégager les campagnes, afin d’éviter leur perte et leur fuite ailleurs.

6.4. Vers de nouvelles formes de rapports entre les campagnes et les villes

Habituellement au Maroc, la nature et l’intensité des rapports entre la ville et ses campagnes sont commandés par sept grands facteurs aux effets fort complémentaires : le statut foncier prédominant dans l’espace rural constituant l’arrière-pays de la ville ; le niveau de production agro-pastorale qui caractérise cet arrière-pays ; les niveaux de densité et de revenus des populations rurales ; le niveau d’équipement de la ville en ce qui concerne la capacité de production et de services ; l’ancienneté de l’urbanisation, sa permanence et sa dynamique ; l’existence d’individus ou de groupes d’entrepreneurs urbains ; et, enfin, la densité du réseau de communication mettant en relation la ville et son espace environnant.

Or, dans la Région de l’Oriental, la plupart de ces conditions ne se trouvent guère remplies dans la majorité des situations, car :

–    l’essentiel du foncier rural est grevé de servitudes juridiques diverses qui en font un patrimoine gelé, dans l’ensemble fermé à l’investissement productif, que ce soit pour ses propres populations ou pour d’éventuels investisseurs citadins ;

–    à part les périmètres irrigués, notamment en Basse Moulouya, la production agro-pastorale demeure limitée, souvent même médiocre, handicapée à la fois par un foncier non favorable et un climat fort contraignant et très aléatoire ;

–    là aussi, mises à part la Basse Moulouya et les montagnes rifaines, qui constituent la zone septentrionale de la Région, où les densités rurales sont relativement élevées, la majeure partie de l’Oriental est caractérisée par un peuplement rural de plus en plus lâche et clairsemé au fur et à mesure que l’on avance vers le sud aride et subdésertique ;

–    les revenus de la population rurale sont dans l’ensemble limités et ne connaissent une certaine amélioration que chez les ménages qui pratiquent l’agriculture irriguée, ou disposent de gros troupeaux, ou s’occupent du commerce de contrebande, ou bénéficient de transferts MRE consistants ;

–    la quasi totalité des villes de l’Oriental sont d’apparition récente, pour la plupart depuis trois ou quatre décennies seulement, ce qui n’a pas favorisé l’établissement de liens étroits avec les campagnes environnantes, relations qui se tissent dans la durée et à travers les générations. Ceci est valable même pour les grandes villes de la Région ;

–    les détenteurs de fonds et de capitaux vivant dans les villes n’ont pas orienté leurs investissements vers la campagne et l’activité agro-pastorale, en raison de leur incapacité d’accéder à la propriété du sol (soit collectif, soit khalifien), d’une part, et de l’aléa climatique qui menace toute culture non irriguée (étroitesse de l’espace d’irrigation). Une telle situation a mené plusieurs de ces investisseurs potentiels à aller fructifier leurs capitaux soit dans la contrebande, soit dans l’immobilier, soit même dans d’autres régions du Maroc, secteur agricole compris ;

–    l’appareil productif de la quasi-totalité des villes de l’Oriental est faible. Cela revient sans doute à l’envahissement des produits de contrebande qui n’encourage guère à investir dans l’industrie. Mais celle-ci est également ténue à cause du niveau limité, sinon dérisoire, de la production agricole que fournissent des campagnes plutôt arides, jugulées par un foncier défavorable de surcroît ;

–    l’enclavement plus ou moins prononcé où se trouve la majeure partie de l’espace rural ne milite nullement en faveur du développement de rapports intenses et continus entre les villes et les campagnes.

Tout compte fait, les villes et les campagnes de l’Oriental demeurent pour l’instant deux entités qui entretiennent beaucoup plus des rapports d’exclusion que de véritables relations d’échange. Les niveaux de discordance sont multiples entre ces deux mondes qui, souvent, se tournent le dos. Autant les villes sont insuffisamment, parfois même très médiocrement, équipées pour encadrer leur espace environnant et lui offrir les services indispensables, autant cet espace reste « foncièrement » clos et peu productif pour la ville.

Ainsi, dans cette région excentrée, les villes comme les campagnes sont spatialement cloisonnées et économiquement extraverties : alors que l’Europe polarise l’attention de beaucoup de jeunes comme espace de rêve de réalisation de soi et de promotion socio-économique, tout en représentant une source fondamentale de revenu pour les familles d’émigrés, la frontière avec l’Algérie ou avec Mlilia constitue un puissant moteur d’un commerce parallèle aux tentacules socio-économiques incommensurables et aux retombées culturelles dévastatrices.

Il s’agit donc bien là d’une situation anormale, dont la ténacité se justifie par la permanence de plusieurs facteurs négatifs qui empêchent le développement mutuel des villes et de leurs campagnes.

La promotion synergique de ces deux entités complémentaires du territoire régional repose, donc, et on ne le dira jamais assez, sur une volonté politique, décidée et agissante pour trancher dans les trois domaines suivants :

–    La résolution de l’épineuse question foncière, qui doit être le fer lance de l’aménagement du territoire régional,

–    La mobilisation optimale des ressources hydriques et leur utilisation rationnelle dans le contexte d’aridification régnant, afin de fournir le levier essentiel au développement économique et social,

–    L’éradication à terme de l’activité de contrebande, afin d’ouvrir les opportunités attendues à l’investissement productif.

Ces actions fondamentales ne peuvent souffrir de retard ou d’atermoiement dans leur exécution, ce qui requiert une formidable mobilisation des efforts dans le but de qualifier les centres urbains actuels, d’aménager ceux qui émergent, reformer les structures foncières et sociales des campagnes, préparer les uns et les autres à l’investissement humain et matériel, et mettre en phase, en concordance et en complémentarité, les différentes composantes du territoire régional et de ses entités humaines. Il y va totalement de l’avenir d’une région économiquement, culturellement et stratégiquement aussi pesante que celle de l’Oriental.

— ASUIVRE —

 

MédiocreMoyenBienTrès bienExcellent
Loading...

Aucun commentaire

Commenter l'article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.