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POUR MIEUX COMPRENDRE VOS DOULEURS DE DOS : LE SYNDROME DE MAIGNE

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Copie reçue du Dr Azzeddine Idrissi .

            Robert Maigne est un médecin orthopédiste largement connu pour ses travaux sur la pathologie vertébrale commune : il est entre autre, à l’origine du concept de Dérangement Intervertébral Mineur. Il a participé à la fondation de la Société de Médecine Physique et a contribué au développement de la spécialité de Médecine Physique et Réadaptation Fonctionnelle.

            M.O. : Qu’est ce que le Syndrome de Maigne ?
            Rober MaigneR.M. : Je ne suis pas responsable de cette appellation ! J’ai attiré l’attention sur l’existence et la fréquence de douleurs projetées à partir de la charnière dorso-lombaire qui sont responsables de tableaux cliniques trompeurs et j’en ai décrit la sémiologie. Je les avais groupés sous le nom de “Syndrome de la charnière dorso-lombaire”. Mais il semble qu’elles soient plus connues sous le nom que vous mentionnez ! Je ne le renie pas.

            Il s’agit d’abord d’une lombalgie basse généralement unilatérale. Elle ressemble tout à fait à une lombalgie d’origine lombosacrée avec laquelle elle est habituellement confondue.

            C’est la plus fréquente et la première manifestation que j’ai identifiée et décrite en 1972.

            Puis le tableau s’est complété avec des douleurs abdominales ou testiculaires simulant parfaitement des douleurs intestinales, urologiques et surtout gynécologiques fort trompeuses car elles conduisent à des explorations répétées, enfin plus rarement des douleurs pubiennes.

            Point important : le patient ne se plaint jamais de douleur au niveau de la charnière dorso-lombaire. Et celle-ci est d’habitude radiologiquement normale. La sémiologie est purement clinique. En revanche il n’est pas rare que la région lombosacrée présente des lésions radiologiques dégénératives importantes ou des séquelles d’intervention qui attirent l’attention… à tort. Mais les formes de lombalgies mixtes ne sont pas rares.

            M.O. : Comment avez-vous pu faire converger vers la charnière dorso-lombaire un tel faisceau de symptômes ?
            R.M. : De formation rhumatologique, j’avais été amené à m’intéresser à la dorsalgie commune, qualifiée à l’époque de “sine materia” car rien ne venait objectiver cette douleur, fréquent sujet de consultation ; et qui était bien rarement soulagée par les traitements kinésithérapiques ou médicaux.
            Il s’agissait souvent de jeunes femmes, mais elles n’en avaient pas l’exclusivité. Elles se plaignaient d’une douleur interscapulaire tenace accentuée par le travail, rendant celui-ci très pénible parfois impossible.
            La négativité des examens habituels, la description imagée qu’en faisaient les victimes : “un fer rouge dans le dos”, portaient beaucoup de nos collègues à considérer cette dorsalgie comme psychogénique. La psychothérapie, la relaxation les aidaient parfois, mais la reprise de travail ramenait la douleur.
            J’avais été frappé en examinant d’un peu plus près ces patientes de constater qu’il existait un point douloureux précis para T5 retrouvé chez toutes. La pression sur ce point reproduisait la douleur habituelle, tandis que la peau avoisinante, sur une bande allant vers l’acromion, était “cellulalgique” particulièrement douloureuse et épaissie à la manoeuvre du pincé-roulé.
            J’avais remarqué par ailleurs qu’un des incidents les plus fréquents des manipulations cervicales mal faites était précisément une telle douleur dorsale avec les mêmes signes d’examen. Je retrouvais la même chose dans le cas des névralgies cervico-brachiales, qui débutaient d’ailleurs souvent par une douleur dorsale isolée.
            Il devenait évident que la dorsalgie avait une origine cervicale basse. Je retrouvais régulièrement à l’examen une douleur portant sur l’articulaire postérieure de C5 – C6 ou C6 – C7 du même côté que le point dorsal et la cellulalgie. Les radios étaient normales ou montraient des lésions banales. Les patients ne se plaignaient qu’exceptionnellement du cou. Et pourtant, l’infiltration de cette articulation entraînait presqu’aussitôt la disparition de la douleur spontanée, du point para T5 et de la cellulalgie. Même résultat avec la manipulation si elle était possible. Cela répété sur des dizaines et des dizaines de cas.
            Il existait donc des “lésions” réversibles du segment vertébral de nature micromécanique. Elles pouvaient entraîner des douleurs à distance en déterminant des perturbations neurotrophiques dans les tissus, ici la “cellulalgie” sans doute par le biais des branches postérieures des nerfs rachidiens.
            Cela me conduisit à porter attention aux branches postérieures et à constater l’intérêt du “pincé-roulé” dans la sémiologie lorsqu’il s’agit d’une zone de cellulalgie limitée et unilatérale. Celle-ci correspond souvent à la distribution cutanée du nerf, en ce qui concerne le tronc.

            M.O. : Et vous avez appliqué le même raisonnement aux lombalgies basses ?
            R. M. : Oui mais c’est venu progressivement.
            J’avais bien constaté que certains lombalgiques présentaient à la partie supérieur de la fesse une zone cellulalgique, et que l’infiltration anesthésique de celle-ci suivie de massage en pétrissage superficiel apportait un soulagement intéressant à ces patients qui répondaient mal par ailleurs aux infiltrations épidurales et à la rééducation.
            L’idée m’était venue qu’il pouvait s’agir d’une irritation des branches postérieures, mais les traités d’anatomie qui les mentionnaient attribuaient à L2 et L3 l’innervation cutanée de la région fessière supérieure, et mon examen segmentaire ne détectait aucune douleur particulière sur ces segments.
            En revanche il existait sur la crête iliaque un point douloureux à 7 ou 10 centimètres de la ligne médiane dont l’infiltration soulageait souvent bien, passagèrement, mais bien ces patients. Les auteurs américains attribuaient ce point au ligament iliolombaire, tiraillé par la 5ème lombaire. Cela me paraissait peu vraisemblable car le ligament ilio-lombaire s’insère sur la berge interne de l’aile iliaque et de ce fait n’est pas palpable, alors que le “point de crête” est très superficiel.
            Il m’a fallu un certain temps pour constater que l’infiltration de ce point rendait également la zone cellulalgique fessière souple et indolore.
            Je revenais à l’idée d’une branche postérieure et je cherchais plus haut. Je constatais effectivement qu’il existait à l’examen un segment douloureux de la charnière dorso-lombaire. C’était T12 – L1 le plus souvent mais parfois T11 – T12 plus rarement L1 -L2.
            L’infiltration de l’articulaire postérieure douloureuse à l’examen faisait disparaître en quelques instants la douleur du patient et les signes d’examen. C’était particulièrement spectaculaire dans la forme aiguë de cette lombalgie qui a tout à fait l’allure du lumbago aigu classique avec forte contracture mais généralement sans attitude antalgique. Si elle était possible la manipulation avait le même effet.
            Deux séries de dissections faites avec mes collaborateurs nous montrèrent bien que les rameaux cutanés des branches postérieures T12 et L1 assurent avec L2 l’essentiel de l’innervation des plans cutanés fessiers supérieurs dans la zone où la cellulalgie est présente, et qu’ils croisent à angle droit la crête iliaque à 7 ou 10 centimètre de la ligne médiane, ce qui explique le “point de crête”.
            La “lombalgie basse d’origine haute” était devenue une routine du service lorsque je me décidais à publier à la Société de Médecine Physique puis à la Société de Rhumatologie.

            M.O. : Comment avez-vous été accueilli ?
            R.M. : Très bien à la Médecine Physique. J’étais d’ailleurs Secrétaire de la Société et la plupart des membres la composant connaissaient mes travaux. Certains patrons provinciaux m’envoyaient régulièrement à l’Hôtel-Dieu leurs internes ou leurs chefs pour des durées plus ou moins longues.
            Je recevais aussi des résidents étrangers venus d’un peu partout : Italie, Espagne, Pays de l’Est et, aussi Américains et surtout Canadiens. Jusqu’à mon départ de l’Hôtel-Dieu nous avons eu pendant plus de 15 ans des résidents canadiens d’une manière quasi constante.
            Il est vrai que j’avais pu créer à Paris VI grâce aux doyens Milliez et Grossiord un enseignement d’une année sous forme d’un D.U. de “Médecine orthopédique et thérapeutiques manuelles”. Cet enseignement qui comportait cours, travaux pratiques et consultations cliniques faisait que les participants vivaient la vie du service et pouvaient parfaitement s’initier à notre approche particulière du diagnostic et du traitement des douleurs communes d’origine vertébrale.
            L’accueil fut moins homogène à la Rhumatologie.
            Très favorable de la part des patrons provinciaux qui directement ou par leurs internes ou élèves avaient des contacts réguliers avec le service. Avec scepticisme pour une bonne majorité et avec franche hostilité pour quelques uns.
            Un des Maîtres de la Rhumatologie de l’époque se leva pour dire : “Si je comprends bien mon cher Maigne vous injectez une articulation postérieure et vous soulagez une lombalgie. Apprenez que le jour ou une infiltration articulaire postérieure soulagera une lombalgie, n’est pas venu.”

            M.O. : Pourquoi ?
            R.M. : Cela n’avait rien de personnel. Ce même patron avait sans que je le lui demande rédigé une préface extrêmement flatteuse pour mon premier livre dont le titre était “Manipulations vertébrales”, ce qui était un thème particulièrement délicat dans les années 60. Mais à l’époque tout était discal ! Il fallait attendre un peu pour que les articulations postérieures oubliées depuis Putti retrouvent une actualité, mais c’étaient celles du rachis lombosacré !

            M.O. : Mais quelle est la pathologie responsable au niveau de la charnière dorso-lombaire ?
            R.M. : A quoi correspond le segment de la charnière dorso-lombaire trouvé douloureux à l’examen ? C’est la question !
            Je rappellerais que l’imagerie ne montre rien de particulier. C’est très exceptionnellement qu’elle révèle une hernie discale à expression purement douloureuse lombaire ou abdominale.
            Ce segment douloureux présente ce que j’ai appelé un “dérangement intervertébral mineur”. Cela peut s’observer à tous les niveaux du rachis. Ces “dérangements intervertébraux mineurs” ou D.I.M. sont habituellement la conséquence d’efforts, faux mouvements, mauvaises positions… Ils sont la cause de la plupart des douleurs banales.
            Le D.I.M. peut être passager, disparaître de lui même, mais il peut persister des mois, des années, responsable de douleurs permanentes ou épisodiques ou même être parfaitement inactif, simple découverte d’examen.
            Son caractère particulier est d’être réversible. Il peut l’être par la mise au repos du segment. Il l’est le plus souvent par la manipulation dont il constitue la meilleure indication. Il peut être rendu indolore par infiltration articulaire postérieure…
            Une autre de ses particularités, mais elle ne lui est pas propre, est de déterminer des manifestations neurotrophiques dans le territoire du nerf rachidien correspondant du côté de la douleur articulaire postérieure. Il s’agit d’une “cellulalgie” dans le territoire cutané du nerf ; c’est le cas dans le syndrome de la charnière dorso-lombaire. Il peut s’agir de “cordons myalgiques” dans certains muscles et, enfin d’une hypersensibilité des insertions ténopériostées. Ces manifestations peuvent être le support de douleurs locales ou irradiées souvent trompeuses. Le patient n’en a pas conscience tant qu’on ne les touche pas. Elles disparaissent lorsque le segment vertébral responsable redevient indolore à l’examen.
            Tout ça c’est le constat clinique. Le mécanisme intime de ce D.I.M. est moins évident. On peut le considérer comme une mini entorse auto-entretenue du segment vertébral.

            M.O. : En tout cas vous en faites une pathologie de l’articulaire postérieure, pas vraiment du disque ?
            R.M. : Le disque n’est sûrement pas dans le coup. Il est possible que son insuffisance puisse favoriser ces D.I.M. au niveau lombaire mais c’est moins vraisemblable au niveau dorsal ou cervical. Il n’a sûrement aucun rôle direct.

            M.O. : Peut-on considérer que si la manipulation plus l’infiltration marchent c’est l’articulation postérieure qui est en cause ?
            R.M. : Il est vrai qu’il n’y a pas de D.I.M. sans douleur articulaire postérieure. Mais celle-ci est-elle la cause, la conséquence ou simplement un des éléments de la dysfonction du segment ?
            Le ligament sur et interépineux est souvent douloureux et il arrive que son infiltration soulage le patient et fasse disparaître les symptômes.

            M.O. : Le succès fréquent des infiltrations articulaires postérieures semble pourtant en faveur d’une pathologie des facettes articulaires postérieures
            R.M. : Bien sûr l’articulation postérieure joue de toute évidence un rôle important. Mais l’infiltration articulaire postérieure ne concerne pas que l’articulaire. Elle injecte aussi la branche postérieure qui innerve les éléments postérieurs du segment.
            On peut dire que le succès de l’infiltration articulaire postérieure, qui fait disparaître les manifestations réflexes est d’abord un très bon test. Elle peut aussi apporter un soulagement durable. Mais généralement elle n’apporte pas un résultat aussi complet que la manipulation lorsque celle-ci est bien faite.
            Je crois que le D.I.M. est une dysfonction du segment vertébral. Le schéma est peut-être celui-ci : un faux mouvement, une mauvaise position, entraînent un segment vertébral dans une position extrême provoquant la douleur d’un de ses éléments, l’articulation postérieure sans doute le plus souvent, ce qui déclenche une contracture des muscles profonds, les rotateurs notamment, établissant un circuit parasite dans le programme harmonieux du fonctionnement arthromusculaire. Celui-ci se maintient d’autant plus facilement que le rachis fonctionne sous le signe absolu de l’automatisme et que l’irritation est relancée à chaque mouvement qui sollicite le segment en cause ?
            L’articulation est sans doute intacte et ne présente aucune lésion. Mais étant la partie la plus innervée du segment elle est le haut parleur de ces dysfonctions. Cette interprétation est peut-être tout à fait inexacte. Mais ce qui est sûr c’est l’existense de ces dysfonctions segmentaires, de leurs conséquences réflexes et de leur rôle en matière de douleurs communes d’origine vertébrale.

            M.O. : Les gens qui sont soulagées par manipulation le sont instantanément ?
            R.M. : Oui, il y a deux cas de figures. Le soulagement instantané est à peu près la règle mais il peut y avoir un soulagement instantané très éphémère suivi d’une période un peu réactionnelle et d’un soulagement 24 h plus tard. Il y a presque toujours un changement immédiat. Dans les cas favorables une séance peut suffir, mais il faut en moyenne 2 à 3 séances, voire 5 à 6 dans les cas très chroniques.

            M.O. : D’où provient votre intérêt pour les manipulations ?
            R.M. : Certainement d’un esprit un peu anticonformiste, et de la convergence de plusieurs facteurs. Etant enfant, il y avait dans ma campagne auvergnate un rebouteux qui de toute évidence soulageait bien des éclopés. Il ne faisait bien sûr pas que des miracles, mais j’étais choqué que le médecin local ne puisse en faire autant. Plus âgé, je faisais beaucoup de judo et le maître japonais, caché derrière un rideau, utilisait quelques manoeuvres secrètes qui semblaient parfois très efficaces. Il en révélait quelques unes à ses ceintures noires, rares à l’époque. Je n’étais que marron. Quand j’ai eu le niveau, il était parti ! Mais entre temps, interrogeant Pierre et Paul j’avais reconstitué quelques manoeuvres, et en avais imaginé deux ou trois autres. Je m’étais crée un petit système qui marchait pas mal ce qui me permettait de rendre quelques services aux membres du club.
            J’étais dès lors convaincu de l’intérêt de ces procédés. J’étais d’autant plus motivé qu’on entendait porter sur eux les jugements les plus invraisemblables.
            Ce sont mes Maîtres Albert Netter et Jean Lacapère qui me poussèrent à explorer cela plus avant. Ils me confièrent d’abord des patients, puis plus tard une consultation dans leurs services.
            Parallèlement je m’intéressais aux problèmes de Rééducation. Monsieur Grossiord et Jean Pierre Held avaient fait à Garches un énorme travail dans le domaine neurologique. Mais les choses étaient moins avancées dans le domaine de la rhumatologie et de l’orthopédie, malgré les efforts de quelques uns.
            En revanche ce secteur apparaissait beaucoup plus développé dans les pays anglo-saxons. Je décidais donc, muni d’une bourse, de partir une année à Londres pour approfondir mes connaissances en médecine physique et rééducation, et aussi en manipulations, puisqu’une antenne des écoles ostéopathiques américaines venait de s’y ouvrir. Elle était réservée aux médecins européens. Mais ils n’acceptaient que cinq élèves par an ! j’eus la chance d’être admis.
            Les ostéopathes américains espéraient en développant cette école convertir les médecins européens à leurs théories, mal acceptées par les médecins traditionnels aux U.S.A. sur ce point leurs espoirs furent sans doute déçus.

            M.O. : Il n’existait pas de formation en manipulation ?
            R.M. : Il n’en existait pas aux U.S.A. dans les écoles de médecine traditionnelle. En Europe la manipulation était considérée comme une forme de charlatanisme dans les milieux hospitalo-universitaires. Et il y avait très peu de gens qui avaient quelques connaissances en ce domaine ; ils les pratiquaient en privé. Je les ai connu à la veille de mon départ pour l’Angleterre. Autour de Lavezzari ils essayaient de retrouver l’ostéopathie. J’étais d’autant plus heureux de partir pour Londres.

            M.O. : Qu’avez vous appris à Londres ?
            R.M. : Beaucoup de choses en matière de médecine physique et de rééducation et, une manière différente d’aborder la pathologie douloureuse mécanique ou dégénérative de l’appareil locomoteur, notamment avec James Cyriax.
            Avec M.C. Beal, exceptionnel enseignant, j’ai appris l’ostéopathie et ses techniques. Très vite je me suis dégagé de la “philosophie” ostéopathique, pour me concentrer sur les techniques manuelles tout en douceur que nous apprenait M.C. Beal, devenu par la suite un des personnages marquants de l’ostéopathie américaine.
            Mais ce que j’avais fait avant m’a permis d’assimiler plus vite les techniques, de prendre du recul avec les théories ostéopathiques, et même avec le mode d’application des manoeuvres que je trouvais peu rationnel.
            Je devais par la suite proposer un système différent tout en gardant les techniques, dans les indications limitées qui sont les leurs, et qu’avec Lescure et Waghmacker nous avons essayé de préciser.
            Mais grâce à la manipulation, j’ai pu développer une technique d’examen affinée du rachis, et considérer la pathologie mécanique d’un oeil différent, même quand la manipulation n’est pas la solution.
            A mon retour de Londres, je retrouvais le service Lacapère et ma consultation chez A. Netter. Quelques années plus tard René Brunet qui était le chef du service d’électrophysiothérapie de l’Hôtel Dieu me proposa sur la suggestion de Monsieur Grossiord d’organiser dans son service une unité de Médecine Physique et Rééducation. Ce service avait été créé par le célèbre Carnot qui l’avait confié à Dausset, le père du Prix Nobel.
            Peu après le départ à la retraite de Monsieur Brunet l’administration décida de nous installer dans de nouveaux locaux qui devaient par la suite être aggrandis par deux fois en fonction de son activité car nous avions un fort recrutement venu de tous les coins de France.
            Le service devint autonome et j’en assurais la direction jusqu’à ma retraite. J’ai passé près de 30 ans à l’Hôtel-Dieu.

            M.O. : On se perd un peu aux Etats Unis entre chiropractors et ostéopathes ?
            R.M. : Les ostéopathes ont été les premiers. La première école qui délivrait un titre de “Docteur en ostéopathie” (D.O.) a été créée en 1874 par A.T. Still, on y enseignait des éléments de médecine et de petite chirurgie (style officier de santé). Une large place était faite aux traitements manuels, y compris aux massages viscéraux. Ces D.O. avaient des droits de pratique limités. Ceux-ci se sont progressivement améliorés avec le niveau d’études qui se médicalisait de plus en plus. Les grandes étapes avaient été les années 30 et 50. Dernière étape il y a une vingtaine d’années, les études ont été strictement calquées sur les études médicales normales et le titre de D.O. depuis lors permet sous les mêmes conditions que pour les M.D. (Docteurs en Médecine), de pratiquer toutes les disciplines médicales et chirurgicales. Abandonnant leur philosophie concernant l’influence du fonctionnement du rachis sur celui des viscères, les jeunes ostéopathes ont parallèlement abandonné les manipulations même dans les indications qui nous paraissent intéressantes.
            Il reste néanmoins un petit groupe qui représente moins de 5% et qui tient à rester marginal. Il fait de “l’ostéopathie crânienne”, prétendant corriger entre autres les déviations du sphenoide et traitant ainsi toutes sortes d’affections y compris la Trisomie 21 !
            A signaler qu’en Grande Bretagne certaines écoles délivrent des diplômes de D.O. qui n’ont rien à voir avec les titres américains.
            Les chiropractors ou D.C. (Doctor of Chiropraxy) ont une existence légale, qui a été sujette à de nombreux épisodes. Ils ne pratiquent que des traitements par manipulation et, ne sont pas autorisés à prescrire. Pendant très longtemps ils affirmaient avec une énorme publicité que le seul traitement préventif et curatif de toutes les maladies était le traitement des “subluxations vertébrales” qu’ils diagnostiquaient à l’aide d’un couple thermo-électrique, le “neurocalometre”.
            Depuis peu les choses ont évolué. Leur formation s’est un peu médicalisée.

            M.O. : Avez-vous fréquenté les rebouteux ?
            R.M. : Fréquenté est beaucoup dire, mais quand j’ai pu en rencontrer qui avaient quelque réputation, je l’ai fait.
            Ceux que j’ai vu avaient apparemment un certain bon sens et un certain flair pour éviter les cas à risque. Comme vous le savez c’est loin d’être général.
            Les pratiques sont très diverses :
            – certains sur de faux diagnostics font avec habileté des gestes parfois utiles, comme celui qui me montrait une entorse tibiotarsienne où il prétendait que le péroné était déplacé de deux centimètres en arrière ! Mais sa manoeuvre ultra-rapide soulageait visiblement le sujet…
            – D’autres font des mouvements qui s’apparentent avec un registre évidemment limité à certaines techniques manipulatives ou à des gestes orthopédiques.
            – D’autres, apparemment plus rares, emploient des manoeuvres non traumatisantes portant sur les muscles ou les tendons. Certains font ainsi avec le pouce des frictions lentes, et peu répétées sur les muscles fessiers, les ischio-jambiers et les muscles du mollet, pour des sciatiques, ou des étirements bref des muscles paravertébraux pour des douleurs cervicales ou lombaires. Nous avons d’autres moyens de faire aussi bien et même mieux, mais cela amène à réfléchir sur le mécanisme de certaines de ces douleurs vertébrales courantes.

            M.O. : Que pensez-vous de l’évolution de la médecine manipulative en France ?
            R.M. : J’ai créé le premier D.U. en 1969 – 1970 à Paris VI. Il en existe maintenant dans une quinzaine d’Universités en France qui est d’ailleurs le seul pays européen à disposer d’un tel enseignement universitaire. Je ne peux qu’être satisfait, d’autant qu’une unification de ceux-ci est en cours.

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